C’est une légende du cinéma grec qui vient de disparaître. Considéré comme le père du documentaire dans son pays Robert Manthoulis s’aventura aussi régulièrement sur le terrain de la fiction avant de raccrocher les gants, après plus de 100 œuvres à son actif, en 2002.
Ce n’est pourtant qu’à l’aube de la trentaine que ce natif de Komotini, dans le nord de la Grèce, en 1929, passe pour la première fois derrière la caméra. Car ses jeunes années, il les a d’abord consacrées à la résistance de son pays contre l’occupant allemand pendant la seconde guerre mondiale puis à l’étude des sciences politiques avant de partir à New-York suivre tout à la fois des cours de théâtre, de cinéma et d’histoire de l’art.
A son retour, Robert Manthoulis décide de transmettre ce qu’on lui a enseigné. Un acte citoyen, aimait-il à répéter. D’élève, il devient donc professeur à l’école de cinéma d’Athènes. Puis après avoir maintes fois exprimé ses regrets de voir l’observation du réel cantonnée aux seuls reportages télé dans son pays, il se retrouve chargé par le Ministère de la Presse de créer un département documentaire au sein dudit ministère et d’en prendre la tête. C’est dans ce cadre qu’il va passer pour la première fois de la théorie à la pratique en 1958 en réalisant le tout premier film documentaire de l’histoire du cinéma grec, un court métrage de 17 minutes, Lefkada, l’île des poètes.
Dès lors celui qui travaille aussi pour la radio et la télé publique ne cessera jamais de tourner, en alternant documentaires (Acropole d’Athènes, La Plus grande force, Des Hommes et des Dieux…) et fictions (Madame la maire, son tout premier long métrage en 1960, une comédie autour d’une élection sur fond de la montée du féminisme en Grèce…). Ses films se retrouvent de plus en plus souvent sélectionnés en festivals et sa réputation grandit. En 1962, Haut les mains Hitler ! (les retrouvailles de deux amis résistants se remémorant leurs exploits sous l’occupation) lui vaut son premier grand succès en Grèce. Et cinq ans plus tard, Face à face, une satire féroce sur la société athénienne et la montée du fascisme dans son pays, va marquer une rupture à double titre. Rupture artistique par son style expérimental qui fait entrer le cinéma de son pays dans la modernité. Rupture personnelle car le jour-même de sa présentation au festival d’Hyères en France, les colonels prennent le pouvoir en Grèce.
Robert Manthoulis ne rentrera pas chez lui avant la fin de la dictature. Il s’installe d’abord en Suisse puis très vite en France où il va travailler pour les chaînes de télé publiques. Il marque les esprits avec deux séries documentaires consacrés à l’histoire du blues aux Etats- Unis, En remontant le Mississipi et Le Blues entre les dents sans délaisser le terrain de la fiction avec, en 1984, la série Cités à la dérive. Adaptée du best-seller de son compatriote Stratis Tsirkas, cette fresque romanesque située pendant la seconde guerre mondiale entre le Proche-Orient, Jérusalem et l’Egypte explore les fondements de la guerre froide et de la guerre civile grecque des années 1946-1949. Réunissant notamment Marina Vlady et George Corraface, elle fera les belles soirées de TF1, pas encore privatisée, qui la diffusera plus de cinquante fois
Après la fin de la dictature, Robert Manthoulis rentre régulièrement en Grèce mais ne cessera jamais de travailler en France avant de réaliser son dernier film en 2002, L’Histoire de Lilly, un long métrage inspiré par sa propre vie d’expatrié qui raconte l’histoire d’un groupe d’intellectuels grecs en pleine préparation d’un film sur une résistante hellène. Un projet vieux… de 30 ans qui aurait dû voir le jour en 1971 avec Melina Mercouri dans le rôle principal et Jules Dassin en producteur exécutif. L’Histoire de Lilly sera l’unique sélection à la Mostra de Venise de Robert Manthoulis. Dans une section parallèle nommée « A contre- courant ». Un terme qui ne saurait mieux définir le parcours de ce cinéaste majeur.