« Il était élégant, il était distrait, il nageait avec un style très particulier, il était excessivement cultivé. Il était un comédien merveilleux aimé de toutes et tous. Il a profité du feu d’artifice du 14 juillet pour partir danser sur les étoiles… Il était mon ami, si attentif et délicat, nous avons tant fait ensemble ! » Rien mieux que ce message posté sur Facebook par Ariane Ascaride à l’annonce de la disparition de Jacques Boudet ne saurait résumer celui qu’il était. Un homme de bande chaleureux qui a toujours préféré le « nous » au « je ».
Se partageant entre la scène - passant avec aisance de Shakespeare, joué par deux fois à Avignon sous la direction de Benno Besson, à Molière, Brecht, Pinter, Beckett, Dostoïevski, Labiche ou Queneau avec Exercices de style, qui fut l’un de ses plus grands succès en 1980 - et le cinéma, Jacques Boudet avait débuté sa carrière dans les années 60. Il est apparu chez Zulawski (L’important c’est d’aimer), de Broca (Tendre poulet aux côtés de Philippe Noiret, dont il jouera des années plus tard le frère dans Père et fils de Michel Boujenah) ou encore Schlöndorff (il fut le duc de Guermantes d’Un amour de Swann) avant que sa carrière et sa vie basculent au début des années 80 quand il croise la route de Robert Guédiguian.
Celui-ci vient de réaliser son premier long métrage, Dernier Été, et l’engage pour le suivant, Rouge midi, une chronique sur trois générations dans le quartier de l’Estaque, inspirée par ses propres souvenirs. Un coup de foudre professionnel et amical. Jacques Boudet entre dans la famille Guédiguian, aux côtés d’Ariane Ascaride et Gérard Meylan. Il ne la quittera plus, apparaissant dans quasiment tous les films du Marseillais, jusqu’au dernier en date Et la fête continue !, sorti en novembre dernier.
De Shakespeare à The Crown
Sachant se montrer tranchant sous ses airs bonhommes, reconnaissable entre mille et pourtant capable comme peu de disparaître derrière ses personnages, Jacques Boudet n’avait aucun esprit de chapelle. Celui qu’on a aussi vu chez Nicole Garcia (Un week-end sur deux), Luc Besson (Nikita), Bertrand Tavernier (L627), Claude Lelouch (Les Misérables du XXe siècle), Claude Chabrol (L’Ivresse du pouvoir) et le duo Toledano-Nakache (Nos jours heureux) n’a ainsi jamais snobé le petit écran. De Plus belle la vie à The Crown (où il incarna dans la deuxième saison Charles de Gaulle qu’il avait déjà campé en 1979 dans Churchill and the Generals), il y fit preuve de cet éclectisme qui ne le quittait jamais, comme le prouvent ses deux ultimes apparitions au cinéma : il campait le grand résistant Daniel Cordier dans Little Girl Blue de Mona Achache (2023) et un évêque dans Paternel de Ronan Tronchot (2024) face à Grégory Gadebois. À l’annonce de sa disparition, bien au-delà de la famille Guédiguian, c’est toute celle du cinéma et de la télévision française qui est en deuil.