Enfant, ce n’était pas le théâtre qui fascinait Jean-Christophe Meurisse. C’était la télévision. Mais ce Lorientais, petit-fils de clown, découvre la magie de la scène lors d’une représentation des Vamps. Il observe le spectacle des deux mégères depuis les coulisses et reste fasciné par l’énergie des comédiennes sur le plateau. C’est une révélation : sa vocation est née. Après le lycée, il suit une formation à l’ERAC (École régionale d’acteurs de Cannes), dont il sort diplômé en 2000. Il entame ensuite une carrière sur les planches. Sa route est tracée, mais jouer pour les autres se révèle vite insuffisant. Il veut affirmer son univers, sa singularité. En 2005, il fonde le collectif Les Chiens de Navarre. Fasciné par le mouvement dada, Meurisse aime l’absurde, adore tordre la réalité pour mieux affirmer son cynisme et exploser les conventions. Pendant près de quinze ans, les créations de ce groupe pas comme les autres vont explorer tous les travers de la société française. Dans Une raclette, un dîner sympathique entre voisins dégénère en orgie. Une paisible réunion associative est cannibalisée par des extraterrestres dans Nous avons les machines. Tandis que quelques années plus tard, Quand je pense qu’on va vieillir ensemble orchestre la rencontre du film de zombies et des séances de coaching personnalisées… Chaque pièce oscille entre horreur, blasphème, sexe et tragédie politique. Ça pourrait n’être que trash et inopérant. Mais ces créations se révèlent aussi séduisantes que déroutantes. Parce que ce collectif mal élevé, composé d’acteurs et d’actrices tous adeptes de la provocation (langagière, gestuelle, sexuelle), parvient au-delà de l’outrance à donner une vraie profondeur aux sujets qu’il aborde. Et que derrière les frasques potaches et l’impression d’improvisation se cache une écriture très élaborée qui réclame un long travail de répétitions.
De la scène au cinéma
Le succès est là mais pour le fondateur du collectif, la scène de théâtre paraît trop petite. Le divertissement selon Meurisse doit être spectaculaire, grandiose, moins rigide que l’art théâtral. Il glisse en 2013 vers le cinéma avec son premier moyen métrage Il est des nôtres. Ce film de 48 minutes, récompensé par plusieurs prix, raconte l’histoire de Thomas, bien décidé à ne plus jamais sortir de sa caravane. Pour compenser, il organise des fêtes dionysiaques. Interprété avec gourmandise par le jazzman échevelé Thomas de Pourquery, cet ovni choque et séduit. Son succès critique réussit à imposer l’univers fêlé de Meurisse (entre Rohmer, Buñuel et la série B) sur grand écran. En 2016, il se lance donc naturellement dans l’aventure de son premier long, Apnée, qu’il présente à Cannes à la Semaine de la critique, en séance spéciale. On y suit Céline, Thomas et Maxence, trouple inséparable, qui décident de se marier et de vivre comme bon leur semble. Ces trentenaires parisiens vont être confrontés à toutes les galères de leur époque : trouver un job, un appartement et gérer l’amour. « Insoumis et inadaptés à une furieuse réalité économique et administrative, ils chevauchent leurs quads de feu et traversent une France accablée, en quête de nouveaux repères, de déserts jonchés de bipèdes et d’instants de bonheur éphémère » précisait le synopsis d’époque. Le film conservait la structure en saynètes des expériences théâtrales et, à travers ce patchwork, dispensait le discours critique de Meurisse sur la vie moderne, toujours avec la même énergie.
Cinq ans plus tard, sort Oranges sanguines, deuxième long présenté à Cannes en Séance de minuit, ainsi qu’à L’Étrange Festival. Jean-Christophe Meurisse continue d’y croquer la société en suivant l’histoire de différents personnages. Il y a ce couple de retraités endettés qui mise tout sur un concours de rock pour échapper aux créanciers ; cette ado sur le point de perdre sa virginité ou encore un ministre de l’Économie accusé de fraude fiscale et qui cherche à cacher ses méfaits. Une comédie à l’humour noir décapant, absurde et engagé, dans laquelle on retrouve le meilleur de la scène comique française contemporaine – on y croise par exemple Blanche Gardin, Denis Podalydès ou encore Vincent Dedienne.
Œuvre acide
Si Oranges sanguines est une œuvre acide, sur la scène de L’Étrange Festival, Jean-Christophe Meurisse décrivait son deuxième long métrage comme « un film d’amour ». Le cinéaste y réaffirme son goût pour l’absurde et, porté par un casting survitaminé, organise un jeu de massacre jubilatoire mettant en boîte toutes nos lâchetés quotidiennes. La virtuosité scénaristique (les trois histoires s’emboîtent à la perfection), sa direction d’acteurs impeccable et son art subtil de la discrétion devraient l’imposer définitivement comme une personnalité à suivre du cinéma. Pourtant, Meurisse n’en reste pas moins un homme de théâtre. Son spectacle Tout le monde ne peut pas être orphelin continue de tourner en France avec un succès qui ne se dément pas. C’est sans doute son secret, là où il puise son énergie folle : les planches et le rire. Acide, très acide.
Oranges sanguines
Scénario Jean-Christophe Meurisse, Amélie Philippe, Yohann Gloaguen
Directeur de la photographie Javier Ruiz-Gomez
Avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Alexandre Steiger…
Produit par Mamma Roman et Rectangle Productions
Soutiens du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme), Aide à l'édition vidéo (au programme éditorial)