Un duo de réalisateurs atypiques
Aux commandes de Kongo, on retrouve deux hommes aux parcours différents mais parfaitement complémentaires. D’un côté, Hadrien La Vapeur qui fut l’assistant de Philippe Garrel pendant dix ans avant de se lancer dans la réalisation de films super 8 expérimentaux. De l’autre, Corto Vaclav, anthropologue de formation. Leur première rencontre se fait autour de la Ayahuasca, cette boisson de la forêt amazonienne qui provoque des hallucinations visuelles chez ceux qui la consomment. Hadrien La Vapeur se retrouve dans une cérémonie rituelle au cœur du Brésil et, comme il l’explique dans le dossier de presse de Kongo : « cette expérience m’a ouvert au monde invisible ». C’est de retour à Paris, au festival Jean Rouch, que sa route croise pour la première fois, en 2013, celle de Corto Vaclav qui s’apprêtait à faire pour la première fois l’expérience de cette fameuse Ayahuasca. Le sujet les rapproche. La Vapeur lui explique dans la foulée avoir déjà signé plusieurs courts métrages documentaires au Congo sur des guérisseurs qui communiquent avec les esprits pour chasser les mauvais sorts. Alors qu’il s’apprête à repartir en Afrique pour tourner son premier long métrage documentaire, Vaclav décide d’embarquer avec lui. De simple preneur de son de Kongo, il en deviendra coréalisateur. « Ce fut mon école », résume-t-il.
Deux apôtres, guérisseurs et sorciers comme source d’inspiration
Kongo est né du tout premier voyage en solo au Congo d’Hadrien La Vapeur. A cette occasion, il s’est rapproché d’une confrérie de guérisseurs de Brazzaville, les Ngunzas. « J’y ai vu des femmes et des hommes en transe qui vibraient, sautaient sur place, possédés par des esprits ». Avec sa caméra, il accumule des images qui le troublent lors de son retour en France. A-t-il filmé la vérité ou a-t-il été le jeu d’une manipulation ? Pour en avoir le cœur net, il retourne sur place et décide de suivre au quotidien un de ces guérisseurs – l’expérience va confirmer sa fascination pour le sujet. Il tient alors la colonne vertébrale de son documentaire. C’est donc pour retrouver cet homme qu’il repart en Afrique en 2013 avec Corto Vaclav. Sur place, les deux hommes découvrent qu’il est mort, terrassé par la sorcellerie. Le duo ne renonce pas pour autant à son idée et se met alors en quête d’un autre apôtre à suivre. Un véritable casting s’ensuit dont sort vainqueur l’apôtre Médard. « Parce que Médard ne représente pas l’image de l’homme spirituel retiré du monde : il a, au contraire, les deux pieds dans la vie. Il fréquente les bars, adore courtiser les femmes… On voulait aussi faire sentir qu’il exerce ce métier pour gagner de l’argent. C’est cette ambivalence qui a validé notre envie de faire ce film avec lui », précise Vaclav.
Six années de tournage
Pour creuser leur sujet, se départir de leurs regards d’Occidentaux et de leur prisme cartésien sur ce qu’ils observent, ils filment (guérisons étranges, rituels…), longuement. Les deux réalisateurs feront ainsi plusieurs voyages et rentreront régulièrement à Paris pour traduire et sous-titrer leurs images au fil d’un montage qu’ils vont organiser au fur et à mesure des événements se déroulant sous leurs yeux. Après avoir consacré son existence au bien en guérissant les malades victimes de mauvais sort, l’apôtre Médard se retrouve accusé de pratiquer la magie noire et est traduit devant un tribunal spécialisé en affaires de sorcellerie. Jusqu’à ce qu’un déclic se produise chez La Vapeur et Vaclav. « Un jour nous avons arrêté de nous poser des questions pour simplement filmer », explique le premier. Ils trouvent alors cette bonne distance, à mille lieues de tout exotisme, pour raconter une histoire qu’aucune fiction ne pourrait surpasser. « En laissant l’irrationnel arriver sans que notre rationnel ne soit en conflit avec lui. En « décolonisant » notre regard. »
L’Afrique montrée sous un prisme original
L’Afrique que décrivent les deux réalisateurs n’a du coup rien d’une collection d’images d’Epinal. Vaclav et La Vapeur insistent sur la capacité de résistance de ses habitants. Comme un juste retour des choses. « Cette tradition magique remonte au temps du Royaume Kongo mais depuis l’arrivée des Européens au 15ème siècle, elle n’a cessé d’être malmenée et ses pratiquants pourchassés et assassinés. » Kongo met donc en lumière une tradition qui a survécu envers et contre tout. Un élément essentiel d’une culture. Avec la responsabilité qui va avec.
L’invisible… qui devient visible
Le but d’un tel documentaire est a priori inatteignable : montrer à l’écran ce qu’on ne peut pas voir. La présence des esprits. Mais les deux cinéastes réussissent ce tour de force en filmant la transe, « le moment où l’esprit d’un mort descend et vient s’incarner dans le corps d’un homme ou d’une femme pour s’inscrire dans le monde des vivants », précise Vaclav. La manière dont ils captent ces instants raconte plus que mille mots comment ils se glissent dans les pas d’un des maîtres du genre, Jean Rouch, sans avoir à rougir, loin de là, de cette comparaison. En 70 minutes intenses, ils offrent un dépaysement garanti.
Kongo, qui sort mercredi 11 mars, a reçu l’aide à l'écriture et l’aide au développement FAIA Documentaire du CNC.