Tënk, le documentaire en coopérative

Tënk, le documentaire en coopérative

08 novembre 2024
Cinéma
tenkvisuel
Zoom sur la plateforme Tënk Tënk

Plateforme de streaming dédiée au documentaire de création, Tënk aide également financièrement les films à voir le jour. À l’occasion du Mois du doc, son directeur général, Mohamed Rochdi Sifaoui, revient sur l’histoire et les évolutions de ce service de SVàD pas comme les autres, géré par une coopérative.


2016. Deux ans après l’arrivée de Netflix sur le territoire français, une plateforme de streaming d’un genre nouveau fait son apparition. Entièrement dédiée aux documentaires, Tënk naît sous l’impulsion du secteur grâce notamment à un financement participatif. « La filière a souhaité développer son propre diffuseur, après avoir fait le constat que le documentaire n’avait pas toute sa place en matière de programmation sur les chaînes télévisées nationales », résume Mohamed Rochdi Sifaoui, directeur général de Tënk depuis trois ans et demi. Le projet de cette coopérative met quelques années à germer et s’ancre logiquement à Lussas, en Ardèche, où ont lieu depuis trente-six ans les États généraux du film documentaire. La mission est simple : diffuser du documentaire au sens large et toucher un public aussi vaste que possible. « Sans formatage », précise Mohamed Rochdi Sifaoui, qui souligne que « dès sa création, Tënk souhaitait être un diffuseur et une plateforme vertueuse, en contribuant à soutenir des films en production. Deux ans après notre lancement, à partir de 2018, nous avons commencé à préacheter des films, ce qui se rapproche d’un système de coproduction, sans l’être réellement. Depuis six ans, Tënk a apporté son soutien à plus de 110 films. La moitié d’entre eux est terminée, l’autre est toujours en cours de production. En moyenne, nous soutenons chaque film à hauteur d’environ 13 000 à 15 000 € ».

La plateforme dispose de studios, également situés à Lussas, qui accueillent les équipes des films qu’elle préachète mais qui peuvent aussi être loués pour tout autre type de projet cinématographique. Ces studios permettent aux réalisateurs de « travailler sur toutes les étapes de postproduction, du montage d’images au mixage, en passant par l’étalonnage et le montage sonore, explique Mohamed Rochdi Sifaoui. Nous n’avons pas encore de laboratoire pour l’instant, mais nous y réfléchissons ».

Une programmation codifiée

Tënk trouve environ un tiers de ses abonnés chez les professionnels du documentaire ou du cinéma : « En majorité des fidèles. Ils sont présents depuis le lancement de la plateforme, ou l’ont rejointe au fil du temps et sont restés. Nous recevons par ailleurs des demandes régulières de réalisateurs ou producteurs qui souhaitent voir leurs films diffusés sur la plateforme. Malheureusement, nos réponses peuvent souvent être décevantes : notre manière de programmer reste singulière et ne permet pas toujours d’accepter toutes les propositions. »

Dès sa création, Tënk a en effet formalisé la façon dont sont sélectionnés les films, qui doivent passer par un comité de programmation (quinze personnes, des professionnels du secteur non-salariés) et une direction artistique (trois salariés) ayant le dernier mot. « Ils choisissent les œuvres en s’appuyant principalement sur leur expérience, leur mémoire et les événements auxquels ils participent, notamment les festivals, où ils découvrent de nouveaux films, précise le directeur général. Nous réfléchissons à d’autres mécanismes qui pourraient aider à atténuer la frustration de ne pas pouvoir traiter toutes les propositions. »

Si la plateforme est dédiée aux documentaires d’auteur, la fiction peut pourtant y trouver sa place, « particulièrement quand elle sert la documentation du réel. Récemment, nous avons d’ailleurs diffusé un nombre record de fictions, avec trois ou quatre films en même temps ». Mais la ligne directrice principale repose avant tout sur l’absence de commande. « L’intention doit venir de l’auteur, de sa réflexion et de son propos, qu’il soit explicite ou implicite. Le point de vue personnel est essentiel, même si cela peut aussi inclure des œuvres issues d’un collectif. », souligne Mohamed Rochdi Sifaoui. Tënk entend laisser une certaine marge artistique et un espace de liberté aux réalisateurs afin que ces derniers puissent explorer les limites de ce qui peut être considéré comme du documentaire. « Nous estimons avoir une singularité forte dans notre approche de la programmation. Par ailleurs, pour nous, ce ne sont pas uniquement les films eux-mêmes qui font la force de la plateforme, mais également la manière dont ils sont regroupés en programmations. Des lots de films qui, ensemble, expriment un propos réfléchi et cohérent. C’est un élément fondamental de notre identité : notre sélection et notre programmation tiennent un discours collectif, qui va au-delà de la simple addition de films. »

Améliorer la visibilité

Loin du modèle des start-up, la plateforme compose avec un budget modéré. « Comme nous sommes une coopérative, nous n’avons pas d’actionnaire capable d’injecter des millions pour le développement. Mais la coopérative est aussi la garantie de tenir nos valeurs communes et de prendre les décisions collectivement, sans qu’elles soient dictées par des intérêts financiers. » L’année dernière, des applications pour Android TV et Apple TV se sont ajoutées aux moyens de visionner les dizaines de documentaires inclus chaque mois dans l’abonnement à la plateforme. Des applications mobiles devraient être disponibles d’ici quelques semaines, et Tënk arrivera l’année prochaine sur les télévisions connectées Samsung.

Mohamed Rochdi Sifaoui a par ailleurs pour priorité de développer la communication autour de la plateforme afin d’améliorer sa visibilité. Cette dernière passera également par la construction de partenariats et l’organisation d’événements. La VàD est un autre axe de développement : « Jusque très récemment, Tënk proposait uniquement, pour deux euros par film en plus de l’abonnement, des documentaires qui avaient déjà été diffusés par la programmation. Une forme de rattrapage pour les abonnés. Mais nous avons récemment commencé à inclure des films qui viennent de sortir en salle, et que nous jugeons compatibles avec notre ligne éditoriale. Ce sont des films que nous programmerons tôt ou tard dans l’offre incluse dans l’abonnement. Désormais, ces films-là arrivent environ trois à quatre mois après leur sortie cinéma, conformément à la chronologie des médias, et nous les proposons généralement à 4 €. Sur le marché de la VàD, ils sont généralement vendus un euro de plus. Élargir le catalogue est une sorte de vitrine : nous avons constaté que plus le catalogue est riche, plus nous attirons des gens qui viennent spécifiquement pour ces films, ce qui est très positif. Nous savons qu’un certain public, surtout depuis deux ans, vient uniquement pour un film, s’abonne pour le voir, puis se désabonne dans la foulée. Mais au moins, il est passé par la plateforme. Notre espoir est que la prochaine fois, il restera abonné. »

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Tënk s’ouvre également de plus en plus aux cartes blanches à des cinéastes, des chercheurs ou des structures. Et depuis l’été dernier, une expérimentation, financée par des fonds européens et le soutien du CNC dans le cadre des aides aux plateformes VàD du Centre, a été lancée autour d’un programme de sous-titrage des films pour les rendre accessibles aux personnes sourdes et malentendantes sur la plateforme. Cette expérimentation concerne au minimum un nouveau film par semaine. « Au total, il y a constamment entre 6 et 8 films en version SME disponibles avec l’abonnement, sans compter ceux qu’il est possible de louer », souligne Mohamed Rochdi Sifaoui précisant que les équipes de Tënk « travaillent avec les associations spécialisées dans les handicaps sensoriels, et des testeurs ont désormais accès gratuitement à la plateforme. Nous sommes ravis d’avoir ouvert cette porte, cela faisait des années que nous souhaitions nous lancer dans le sous-titrage SME. Et nous espérons évidemment que le public concerné répondra présent ».

Tënk bénéficie du soutien du CNC.