Vous avez entamé votre carrière au cinéma en 1999 avec Peut-être de Cédric Klapisch. Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir costumier ?
J’ai toujours aimé la couture. Plus jeune, j’ai vécu en Algérie, où je suis installé aujourd’hui, et j’y avais mon propre atelier. Quand je suis rentré en France, à la fin des années 1980, Marie Beltrami, une amie qui travaillait avec Jean-Paul Goude, me l’a présenté. J’ai donc commencé à créer des costumes pour ses publicités. Ensuite d’autres réalisateurs sont venus me chercher, comme Michel Gondry. Bref, pour moi, tout a été une question de rencontres. Je n’avais jamais pensé faire du cinéma par exemple, mais c’est arrivé comme ça, une rencontre en a amené une autre et je me suis retrouvé sur le plateau du film de Cédric Klapisch.
Comment s’est faite la rencontre avec Damien Ounouri et Adila Bendimerad, les deux réalisateurs de La Dernière Reine ?
J’avais déjà travaillé sur des films embrassant l’histoire algérienne du XXe siècle, mais jamais la période abordée dans La Dernière Reine [le XVIe siècle]. Damien et Adila rencontraient des difficultés à trouver un chef costumier. On leur a conseillé de me rencontrer et ça a tout de suite fonctionné entre nous, dès ce premier rendez-vous dans le centre d’Alger.
Comment vous ont-ils présenté leur projet ?
Ils m’ont tout de suite expliqué que cela allait être difficile car ils n’avaient pas beaucoup de moyens, ils envisageaient notamment de réduire au maximum les décors. Après avoir lu le scénario, je leur ai dit que ce qui me paraissait impossible, vu l’ambition du projet, c’était de réduire le nombre de costumes ! Le dépouillement ne pouvait pas être de mise, ça allait à l’inverse de ce qu’ils avaient écrit. Donc je leur ai proposé de travailler avec des tissus plus simples et de les agrémenter de passementeries et de broderies, de jouer avec différents types de coupes…
Par quoi avez-vous débuté votre travail ?
Comme toujours, par des recherches. Mais je me suis vite rendu compte qu’il existait peu, voire pas du tout, de documentation sur les costumes de cette époque. Ce qui me laissait une certaine liberté de création. J’ai commencé par dessiner les différents costumes en choisissant de faire dialoguer des ambiances méditerranéennes et de partir des coupes et des couleurs que l’on pouvait trouver à la cour de Florence au XVIe siècle, agrémentées de « loukoumeries ». L’orientalisme était à la mode à cette époque, je pense à ces caftans passementés en losange par exemple. J’ai mêlé ces inspirations florentines à des costumes algériens du XVIIe et du XVIIIe siècle. Le maître mot, c’était le mélange : l’Italie, la France, la route des Indes… Mais il y avait énormément de costumes à créer – pas moins de 3000 pièces différentes – et je sentais la pression sur mes épaules. Je savais que si l’on n’y croyait pas à l’écran, cela pénaliserait directement le récit de Damien et Adila.
Combien étiez-vous pour créer ces 3000 pièces ?
Une toute petite équipe vraiment : six couturiers, trois personnes dédiées à la partie cuir pour les habits, les ceintures, les bottes des corsaires… et deux stagiaires ! Je coupais tout, je faisais les patronages. Mais je n’y serais jamais arrivé sans l’implication sans faille d’Adila. Tout au long du processus de création, j’avais une obsession : la patine. Là encore pour des questions de crédibilité. Pour qu’on n’ait jamais l’impression que les costumes sortent directement de l’atelier de couture. Je pense notamment aux passementeries tant l’or est clinquant en Algérie ! Damien et Adila ont forcément maudit le Covid-19 qui est venu percuter le tournage et les a contraints à tout arrêter. Mais de notre côté, cela nous a donné quatre mois de plus pour peaufiner notre travail. Tout en nous obligeant à nous adapter aux changements de rôles car, entre-temps, certains acteurs n’étaient plus libres. On a dû refaire entièrement certains costumes et adapter ceux des enfants qui avaient grandi ! Ça a été très rock’n’roll !
Et comment avez-vous vécu le tournage ?
Au départ, faute de budget, je ne devais pas venir sur le tournage ! Mais tout le monde s’est aperçu que ma présence était indispensable pour les réajustements permanents que nécessitent les costumes. Lorsque le tournage a repris, après l’interruption due à la pandémie, j’ai travaillé directement sur le plateau. Car on a continué à fabriquer des costumes. J’avais un petit atelier volant avec deux ou trois machines… Le cinéma, c’est parfois du masochisme. Il faut vraiment aimer ça.
Est-ce qu’à un moment vous avez pensé que vous n’y arriverez pas ?
Non, parce que je suis de nature très optimiste. Toujours ! (Rires.) De toutes les expériences que j’ai pu vivre au cinéma, La Dernière Reine est à ce jour la plus marquante. C’est la plus passionnante et celle qui m’a le plus usé ! Mais je suis prêt à recommencer quand ils veulent si Adila et Damien me le demandent !
LA DERNIÈRE REINE
Réalisation et scénario : Damien Ounouri et Adila Bendimerad
Photographie : Shadi Chaaban
Montage : Matthieu Laclau
Costumes : Jean-Marc Mireté
Production : Taj Intaj, Agat Films, Le Centre algérien de Développement du Cinéma, The Red Sea Film Festival Foundation, Yi Tiao Long Hu Bao International Entertainment Co., Birth, 2 Horloges Production
Distribution : Jour2Fête
Ventes internationales : The Party Film Sales
Sortie en salles le 19 avril 2023
Soutien du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation