Gosses de Tokyo (1932)
De la même façon qu’il mettra du temps à se convertir à la couleur, Ozu a longtemps retardé son passage au cinéma parlant – un peu comme Chaplin aux Etats-Unis. Gosses de Tokyo (déjà son 21ème film, alors qu’il n’a commencé sa carrière que cinq ans auparavant !) illustre la veine la plus comique de son auteur, ici inspirée par les burlesques américains comme Harold Lloyd, et raconte la rébellion d’enfants qui, mécontents de leurs parents, décident de faire une grève de la faim. Derrière la façade souriante, Ozu dépeint un Japon frappé de plein fouet par la crise économique et pose les bases de quelques-unes de ses obsessions thématiques : relations intergénérationnelles tourmentées, insolence et ingratitude de la jeunesse… En 1959, avec Bonjour, le cinéaste livrera d’ailleurs une variation sur le même thème. A noter que Gosses de Tokyo fut le premier long métrage d’Ozu à avoir été élu meilleur film de l’année par l’influent magazine de cinéma japonais Kinema Junpo.
Printemps tardif (1949)
Un autre film que la critique japonaise sacrera comme le « meilleur de l’année ». L’histoire d’une jeune femme et de son père veuf, vivant ensemble, et qui vont peu à peu se détacher l’un de l’autre… En 1949, Printemps tardif pose d’une certaine manière les bases de ce qu’on décrira bientôt comme le « style Ozu ». Plans fixes et rigoureusement composés, disposition méticuleuse des corps et des objets dans l’espace, caméra « à hauteur de tatami » scrutant les rituels familiaux… Le tout au service d’une méditation bouleversante sur la façon presque imperceptible dont les liens humains se défont puis se recomposent.
Voyage à Tokyo (1953)
Sans doute le film le plus célèbre et acclamé d’Ozu. Son chef-d’œuvre « officiel », que le reste du monde ne découvrira en réalité que tardivement. Il n’est par exemple sorti en France qu’en 1978, et marqua alors le début de la lente découverte par les cinéphiles français de ce cinéaste longtemps considéré à tort comme « trop japonais », contrairement à ses confrères Kenji Mizoguchi ou Akira Kurosawa, dont les sujets paraissaient plus universels et « exportables ». Voyage à Tokyo raconte les vacances tokyoïtes d’un couple de retraités provinciaux, invités à passer quelques jours chez leurs enfants, mais qui vont peu à peu réaliser à quel point ils gênent leur progéniture débordée et accablée par les exigences de la vie moderne. Seule leur belle-fille, dont l’époux a été tué à la guerre, semble prête à leur consacrer du temps… Un chef-d’œuvre de poésie, d’une sagesse infinie.
Fleurs d’équinoxe (1958)
Une jeune fille souhaite épouser un homme contre l’avis de son père… En 1958, Ozu passe – enfin ! – à la couleur. C’est cette période composée de six longs métrages que Carlotta propose aujourd’hui de redécouvrir en salles : Fleurs d’équinoxe, donc, puis Bonjour (1959), Herbes flottantes (1959), Fin d’automne (1960), Dernier Caprice (1961), Le Goût du saké (1962). « Si l’abandon du noir et blanc ne va pas changer en profondeur sa grammaire cinématographique, elle va lui permettre d’enrichir sa vision formaliste de la mise en scène, écrit Pascal-Alex Vincent dans Ozu en couleurs, l’automne d’un cinéaste, un livre édité par Carlotta pour accompagner cette nouvelle rétrospective. Ces six longs métrages sont ceux d’un cinéaste au sommet de son art, qui, par ailleurs, revisite sa filmographie antérieure : ils sont en effet, pour la plupart, des remakes ou des relectures de son propre travail. » Ce premier film en couleurs va être l’occasion pour Ozu de tester les possibilités de la pellicule Agfacolor et de sublimer la flamboyance de la Lycoris rouge, ou « fleur d’équinoxe ».
Dernier caprice (1961)
L’avant-dernier film d’Ozu, avant Le Goût du saké puis la mort du cinéaste, en 1963, à l’âge de soixante ans. Dernier Caprice a la particularité d’être le premier film de son auteur à voyager en Occident, puisqu’il est sélectionné au Festival de Berlin en 1962. La même année, Bonjour sort à New York. Le début d’un lent chemin vers la postérité. C’est à nouveau l’incompréhension entre générations que l’auteur explore ici, à travers le portrait d’un vieux veuf qui, en renouant avec une ancienne maîtresse, provoque la désapprobation de ses enfants. Un thème classique pour Ozu, traité ici sur un mode léger. A noter que ce film tourné pour la maison de production Toho est l’un des rares pour lesquels le cinéaste a fait une infidélité à la Shochiku, société au sein de laquelle il a façonné la quasi-totalité de son œuvre.