Depuis quand travaillez-vous pour Dolce Vita Films ?
Claire Chassagne : Je vais bientôt fêter mes dix ans chez Dolce Vita où je suis arrivée comme stagiaire. J’ai donc énormément appris au contact de Marc Irmer, son fondateur, et je me suis tout de suite retrouvée dans ce qu’on pourrait définir comme l’ADN de Dolce Vita : promouvoir le cinéma d’auteur international, à travers des films accessibles possédant une dimension politique, et ce dans tous les sens du terme. Je pense à Un fils de Mehdi Barsaoui qui parle des contradictions de la société tunisienne ; à Goodbye Julia du Soudanais Mohamed Kordofani ; au film d’animation Linda veut du poulet ! de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, Cristal du long métrage à Annecy en 2023 ou aux Filles du Nil, le documentaire d’Ayman El Amir et Nada Riyadh, récompensé de l’Œil d’or au dernier Festival de Cannes. Comme le disait Nada à propos des Filles du Nil, nous essayons de faire des films qui sont très politiques sans jamais en avoir l’air. À titre personnel, j’adore travailler à l’international : chaque collaboration m’a permis de découvrir des cultures différentes, ainsi que de nouvelles manières de produire et de tourner.
Girls Will Be Girls s’inscrit pleinement dans cette lignée de films. Comment avez-vous entendu parler du projet ?
À l’occasion du Film Bazaar, un marché organisé chaque année à Goa, qui présente des projets venant d’Inde et des pays voisins… Le scénario était encore en développement mais j’ai eu un coup de foudre immédiat, conforté par ma rencontre avec Shuchi Talati et sa productrice Richa Chadha (Pushing Buttons Studio). Je me suis donc engagée sans attendre.
Qu’est-ce qui vous a séduite précisément à cette première lecture ?
La grande qualité de l’écriture pour laquelle Shuchi s’est inspirée de moments profonds de son histoire personnelle. La richesse et la complexité des personnages féminins, à mille lieues des clichés. La variété des situations rencontrées par les personnages. Mais aussi le fait que cette histoire fasse écho à des moments que j’ai aussi pu vivre dans mon adolescence. Ce fut comme une évidence.
Par quoi commence votre travail de coproductrice ?
Avec Shuchi et Richa, nous avons réfléchi à la meilleure manière de structurer la coproduction et de trouver des partenaires financiers supplémentaires. Girls Will Be Girls nécessitait un budget conséquent et ne pouvait en aucun cas être tourné en quinze jours avec une équipe minuscule. Mon premier objectif a donc été de donner les moyens financiers à Shuchi de faire le film qu’elle avait en tête. À ce moment-là, elle avait déjà réalisé un court métrage, mais je lui ai suggéré d’en faire un autre qui soit plus proche des thématiques qu’elle allait aborder dans Girls Will Be Girls, afin d’accompagner le dossier de présentation pour la recherche de financement. Shuchi a tout de suite rebondi sur cette proposition. Un mois plus tard, elle avait déjà écrit le scénario de Period Piece, auquel j’ai apporté un financement complémentaire – grâce à l’aide après réalisation de la région Île-de-France – en faisant la postproduction du son en France, à distance car Shuchi ne pouvait pas se déplacer. Ce court métrage a été sélectionné au festival South by Southwest et a beaucoup aidé au financement car il a permis de montrer les capacités de mise en scène de Shuchi.
Quel a été le moment décisif de cette étape du financement ?
Le marché de coproduction Berlinale Talents car le projet y a remporté deux prix qui nous ont ouvert énormément de portes. Une investisseuse américano-taiwanaise, Alex C. Lo, et le vendeur international du film, Luxbox, nous ont rejoints. Ces avancées majeures ont donné le go définitif pour la mise en production concrète du projet.
Comment vous répartissez-vous les tâches avec la productrice Richa Chadha (Pushing Buttons Studio) ?
Au vu de la spécificité des tournages en Inde, il était évident que Richa se chargerait de cette partie et que je superviserais l’intégralité de la postproduction sur le sol français.
De quelle manière recrutez-vous les chefs de poste concernés ?
Nous avons commencé à chercher un monteur ou une monteuse qui saurait s’emparer de l’écriture du film et la prolonger. Je me suis tournée vers Amrita David, d’origine indienne, qui vit en France depuis plus de trente ans et qui est la monteuse des films d’Alice Diop. J’avais envie de quelqu’un qui soit capable de défendre le point de vue de la mère de la jeune héroïne. Or Amrita est maman et sa fille s’appelle Mira… comme l’adolescente de Girls Will Be Girls ! Il y a des signes qui ne trompent pas… (Rires.) Shuchi, de son côté, apprécie énormément le cinéma d’Alice Diop. Le contact a donc été évident, facilité par l’histoire personnelle d’Amrita qui a grandi en Inde et connaît parfaitement la culture de ce pays. Le montage s’est fait en parallèle du tournage. Ce fut une collaboration vraiment passionnante entre elles. Le scénario étant assez long, pas mal de choses ont été réarrangées, coupées…
Une fois la monteuse trouvée, il fallait aussi créer l’équipe son…
Shuchi souhaitait un maximum de cheffes de poste. À la fois pour une question de sensibilité et de mise en valeur du travail des femmes. Je me suis donc mise en quête d’une mixeuse française. Laure Arto (Un pays qui se tient sage) s’est imposée par l’approche qu’elle proposait. C’est elle qui a suggéré la monteuse son et responsable du sound design du film, Carole Werner, car elles collaborent depuis longtemps. Elles ont fait un travail remarquable car l’Inde est un pays où il y a énormément de bruits en permanence. Dans ce film tourné quasiment en décors naturels, la prise de son directe, ponctuée de coups de klaxon en tout genre, tournait régulièrement au cauchemar. Laure et Carole ont anticipé ce problème en se mettant très tôt en relation avec l’ingénieur du son. Je trouve leur travail de reconstruction des ambiances et de nettoyage des dialogues impressionnant. Nous avons cependant dû refaire certaines scènes en post-synchro…. à distance. Je me suis donc retrouvée assez impliquée à cette étape car je participais à ces différentes réunions pour fluidifier le dialogue. Quand je me suis rendue sur le tournage, la monteuse son m’a même confié un petit appareil pour enregistrer des sons supplémentaires. En parlant de collaboration enrichissante, je voulais aussi souligner celle entre l’étalonneuse française Mathilde Delacroix (Eugénie Grandet) – que j’avais suggérée à Shuchi pour avoir déjà eu l’occasion de travailler avec elle – et la cheffe opératrice Jih-E Peng qui a signé la lumière de Period Piece, le court métrage que j’évoquais plus tôt.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappée en vous rendant sur le plateau de Girls Will Be Girls ?
Il faut savoir qu’en Inde, les équipes sont pléthoriques. Mais Richa Chadha a réussi à créer une sorte d’hybride avec une équipe plus réduite et moins hiérarchisée que les productions indiennes habituelles. La volonté de Shuchi d’avoir une majorité de cheffes de postes a aussi eu un impact sur l’atmosphère du tournage. L’exigence était là mais l’idée était de créer un espace où tout le monde se sente bien. J’ai pour ma part passé énormément de temps avec les jeunes acteurs du film. Comme ils étaient assez impressionnés par Richa, qui est aussi une actrice très connue en Inde, ils pouvaient avec moi faire preuve d’une familiarité qu’ils n’auraient jamais osée avec elle.
Quel rôle avez-vous joué dans le choix du distributeur français du film ?
J’avais évidemment en tête le marché et les distributeurs potentiellement intéressés par Girls Will Be Girls, mais Nour Films nous a fait un retour tellement enthousiaste que ce fut une évidence. Et ce d’autant plus que Marc [Irmer] avait connu plusieurs expériences très heureuses avec eux sur d’autres coproductions Dolce Vita. Il existait donc un lien de confiance. Évidemment, nous n’avons pas décidé seuls. J’en ai discuté avec Shuchi et Richa mais j’ai beaucoup insisté pour que ce soit eux car je ne voyais pas de meilleures personnes pour accompagner le film en France.
GIRLS WILL BE GIRLS
Réalisation et scénario : Shuchi Talati
Photographie : Jih-E Peng
Montage : Amrita David
Musique : Sneha Khanwalkar et Pierre Oberkampf
Production française: Dolce Vita Films
Productions étrangères : Pushing Buttons Studio, Cinema Inutile, Crawling Angels Films
Distribution : Nour Films
Ventes internationales : Luxbox International
Sortie le 21 août 2024
Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)