Cette année, le festival du film fantastique de Gérardmer fêtait ses trente ans. Et chaque projection débutait par un petit clip où des grands noms du genre (Guillermo Del Toro, Jan Kounen, Hideo Nakata) rappelaient les spécificités du festival géromois. Mais c’est Jean-François Rauger (critique et directeur de la programmation de la Cinémathèque française) qui a le mieux synthétisé l’intérêt de ce rendez-vous : les sélections sont comme des « biopsies annuelles » du fantastique. Chaque année on voit dans la perle vosgienne un état des lieux du genre. Et en 2023, le fantastique et l'horreur semblaient en pleine mutation. Traversés par des questions qui agitent la société (la place des femmes, notre rapport à la nature, la catastrophe écologique annoncée...), on a pu constater que la plupart des films sélectionnés apportaient des regards singuliers, très personnels sans forcément respecter les règles de l'horreur. Peu de « jumpscares », peu d’effets gores, mais des œuvres (et plus de la moitié des premiers films) qui préfèrent flirter avec l'art contemporain (les expériences plasticiennes et sensorielles de Piaffe, le pop art de La Pietà), malaxer les textures (acteurs et marionnettes dans Zeria). Si les sorcières étaient bien là (Philippines dans The Nocebo Effect) et les zombies également (Blood en ouverture), la nouvelle génération opte pour de nouveaux chemins en explorant des formes hybrides et en revenant au fond au principe du septième art pour mieux questionner le fondement de l'être (Dieu ou le spirituel comme thématiques privilégiées), l’altérité et la condition humaine.
Parmi la sélection La Pietà remporte trois prix majeurs : le Grand Prix, le Prix du public et le Prix du jury jeunes de la Région Grand Est. Le film d'Eduardo Casanova évoque les premiers films d'Almodóvar, la provocation de John Waters ou les éclats des premiers Lánthimos, et raconte la relation toxique entre un jeune homme atteint d'un cancer et sa mère oppressante. Traité sur le mode de la farce et de l’outrance (avec une séquence d’ouverture digne des chorégraphies de Busby Berkeley), le film a ainsi réussi l'exploit de réunir le jury, le public, et les jeunes spectateurs.
Aux antipodes de ce cinéma, La Montagne de Thomas Salvador repart avec le prix de la Critique et l'un des Prix du jury. Le film qui sort mercredi sur les écrans raconte comment un ingénieur parisien ressent l'appel de la montagne et se met en tête de devenir alpiniste. Mais lors d'une de ses ascensions, il découvre une entité étrange qui va le transfigurer... Après Vincent n'a pas d'écailles, le deuxième long de Salvador investit le naturalisme hexagonal pour faire advenir le merveilleux dans des scènes minimalistes et métaphoriques. Piaffe, une odyssée entre BDSM, surréalisme buñuelien et pulsions scopiques, repart avec le second prix du Jury. Watcher, un « Fenêtre sur cour » de l’époque MeToo au classicisme impeccable, repart avec le Prix du trentième festival de Gérardmer.
