Dans Le Château des singes, un jeune singe décidait de quitter son monde, une luxuriante canopée, pour découvrir le mystérieux « monde d’en bas ». Dans Le Voyage du prince coréalisé avec Xavier Picard, un singe échoué sur un rivage est retrouvé par le jeune Tom et recueilli par ses parents, deux chercheurs exclus de l’Académie des sciences parce qu’ils ont osé croire à l’existence d’autres peuples. « C’est une suite sans être une suite, explique le réalisateur. Plutôt une histoire en miroir. J’ai repris un des personnages du Château des singes que j’emmène dans un autre monde. » Lien vers article : Les mondes animés de Jean-François Laguionie.
Singer les hommes
Le Château de singes et Le Voyage du prince partagent le même univers et, surtout, ils sont habités par des singes. « Toute ressemblance entre les hommes et les singes de mon film serait fortuite », plaisante Jean-François Laguionie. Bien que les personnages des deux films soient des singes, leurs comportements montrent en tout cas plusieurs similarités avec ceux des humains. Ils ont la capacité de communiquer par des mots, ils savent lire, ils portent des vêtements, ils bâtissent des villes, bref, ils se sont constitués en sociétés. Cet univers trouve ses origines à la fois dans Les Lettres persanes de Montesquieu (qui met en scène Usbek et Rica, deux Persans qui racontent leur voyage à Paris et observent naïvement la société et le mode de vie des Français) et dans La Planète des singes de Pierre Boulle qui met en scène une civilisation de singes très développée et profondément autoritaire où des astronautes vont être capturés et étudiés comme des bêtes curieuses.
Premier enjeu : la communication
A l’arrivée du prince, dans Le Voyage du prince, la première question qui se pose aux scientifiques est de savoir comment comprendre cet inconnu, comment établir une communication. C’est en cherchant ce lien que Tom décide d’apprendre la langue du prince. Dans Le Château des singes, Kom, le jeune singe du Monde d’en haut apprenait aux Laankos son langage fait de cris, pour la douleur, la colère, la joie… Le cri est le langage qui permet de partager des émotions. « On peut crier n’importe quoi, si on a vraiment envie de le faire savoir, car le cri va tout droit au cœur, ça peut être le retour de la lune, ou celui de ton amie… ou les deux à la fois, si la lune et ton amie sont de retour en même temps ! », expliquait ainsi Kom au Roi. Dans Le Voyage du prince, l’enseignement de Kom a fait son chemin puisque le prince fait usage du cri qui paralyse.
Les frontières de la connaissance
Dans les deux films, nous assistons à la rencontre de plusieurs peuples ainsi qu’à leurs diverses réactions vis-à-vis de cette « découverte ». Il y a d’abord le constat des différences, dans l’habillement, le langage, les usages… Le réalisateur invite ses protagonistes à sortir de chez eux pour affronter le monde et se débarrasser du carcan des préjugés et de l'ignorance pour rencontrer l'Autre. Dans Le Château des singes, Kom, le jeune singe de la tribu des Woonkos vit dans la canopée. Il est élevé avec la recommandation expresse d'éviter à tout prix de quitter les hauteurs de la jungle, car le Monde d'en bas serait, paraît-il, peuplé de monstres malfaisants. Dans Le Voyage du prince, c’est aussi l’inconnu, symbolisé par la figure de l’étranger, qui fait peur. Cette peur se manifeste par plusieurs attitudes : le scepticisme, la fuite ou encore la violence. Le comportement hostile d’Elisabeth et la réaction des académiciens vis-à-vis du prince sont agressifs face à quelque chose dont ils ignoraient l’existence et qu’ils ne comprennent donc pas. « Dans ce monde nouveau, explique Jean-François Laguionie, nous avons pensé, Anik Le Ray et moi, qu’il serait plus amusant de ne pas donner le pouvoir à une autorité militaire ou politique, mais à l’Académie des Sciences. » Pour les Nioukos, leur civilisation est la seule à exister. Le prince étranger doit être caché par ceux qui résistent à cette théorie dans un laboratoire clandestin au cœur d’un vieux muséum d’Histoire naturelle. Le réalisateur questionne ici la notion de vérité scientifique. Il met en avant les chercheurs qui ont eu raison contre leurs contemporains comme Galilée.
Culture contre nature
L’axe de réflexion des deux films, enfin, c’est l’opposition entre la culture et la nature. Dans Le Château des singes, le Monde d'en bas correspondait à la culture, à la sophistication, alors que le Monde d'en haut représentait davantage la nature, la simplicité. Dans Le Voyage du prince, c’est la coexistence de la nature sauvage et de la ville qui est au cœur de l’intrigue. La ville de Tom est en effet progressivement envahie par une forêt qui reprend ses droits sur la ville. Il y a cependant une évolution. Dans Le Château des singes, l’univers est probablement celui d’une civilisation de la Renaissance où l’espace habité et la nature coexistent. Au XIXè siècle, époque figurée dans Le Voyage du prince, l’industrialisation a anéanti la nature ou l’a adaptée aux besoins des hommes. « Nous avons choisi la fin du XIXème siècle, une époque où jamais dans l’Histoire, l’Homme ne s’est senti aussi supérieur à la nature et à ceux qui n’étaient pas parvenus, selon lui, au même degré d’évolution. C’est le règne du progrès, des découvertes industrielles, de l’électricité rayonnante et des expositions coloniales où l’on présentait les « sauvages » dans des cages analogues à celles du Jardin des Plantes... » La fiction permet à la nature de se rebiffer. Et finalement, le lien ultime entre le deux films se situe dans la canopée, cet espace à la cime des arbres où les singes vivent libérés des contraintes.
Réalisé par Jean-François Laguionie et Xavier Picard, Le Voyage du prince sort ce mercredi 4 décembre. Il a reçu l'aide au développement de projets de long métrage, l'avance sur recettes avant réalisation, l'aide sélective à la distribution (aide au programme) et l'aide à la création visuelle ou sonore du CNC.