Les Quatre Cents Coups (1959)
Tout commence par un triomphe. L’image est connue, en plein Festival de Cannes, Jean-Pierre Léaud, quinze ans à peine, endimanché avec nœud papillon et chemise bien repassée, est porté en triomphe. Le président d’honneur Jean Cocteau, remet à François Truffaut, vingt-huit ans, le Prix de la mise en scène. Bientôt, ce film en noir et blanc, le premier long métrage de son auteur cumulera plus de deux millions d’entrées en France. Les Quatre Cents Coups acte l’éclosion de La Nouvelle Vague. Une journaliste du magazine Elle peut alors écrire : « Le XIIe Festival du film a le grand honneur de vous annoncer la renaissance du cinéma français. » Antoine Doinel vient seulement de naître. Enfant rebelle, mal aimé, égaré, il lutte contre l’autorité aveugle du monde des adultes. Truffaut n’ayant pu mener à bien son film Temps Chaud avec Bernadette Lafont - sa « muse » découverte dans Les Mistons - il s’est replongé dans les souvenirs de sa jeunesse et a repris une nouvelle autobiographique écrite quelques années auparavant, La Fugue d’Antoine. Antoine se nomme d’abord Loinod avant de devenir Doinel, référence inconsciente à la secrétaire de Jean Renoir, Ginette Doinel. Dans une note préparatoire, Truffaut décrit son personnage ainsi : « Il a hérité de sa mère un sens critique très développé (…) De son père, il a hérité le fou-rire facile. Il est à l’aube de la révolte, déjà cynique, sans scrupules et glissant vers la sournoiserie. » Mais, l’arrivée du jeune Jean-Pierre Léaud va obliger le cinéaste à repenser le caractère de son héros, passant de double fictionnel à miroir (peu) déformant de son jeune interprète.
Antoine et Colette (1961)
Le succès des Quatre Cents Coups enterre d’abord Antoine Doinel. Truffaut ne veut pas « surfer » sur un succès et être ainsi taxé d’opportuniste. Le cinéaste pense déjà à Jules et Jim, son nouveau film après Tirez sur le pianiste. Et puis, arrive cette proposition de film à sketches, L’amour à vingt ans. L’idée de retrouver Jean-Pierre Léaud devant sa caméra devient plus forte que ses réticences initiales à ressusciter Doinel. Revoici donc Doinel-Léaud le temps d’un court métrage. Antoine entre alors dans l’âge adulte. Le jeune garçon, échappé d’un centre de redressement, que nous avions laissé perdu sur une plage, vend désormais des disques Place de Clichy à Paris et fréquente la salle Pleyel.
C’est là qu’il rencontre et tombe amoureux fou de Colette. La réciproque n’est pas vraie et Antoine connait les premières désillusions de l’amour. Truffaut trouve sa Colette en la personne d’une jeune fille de seize ans, Marie-France Pisier qui « avait cette désinvolture des filles nées après la guerre qui entrent dans les endroits à la mode sans dire ni Monsieur, ni Madame. Moins d’humilité que ce que je recherchais, mais aussi plus de courage, plus de vaillance. Elle attendait plus de la vie que je pouvais l’imaginer », explique ainsi le cinéaste le 3 janvier 1973 dans un entretien donné à Agathe Godard pour le magazine 20 ans. Quant au film, il comble son auteur : « J’aime Antoine et Colette. Il est plus léger et en même temps plus simple, je crois même plus près de la vie. Je l’ai fait dans un moment d’insouciance ; je me rendais au travail pour L’amour à vingt ans avec beaucoup de gaité. »
Baisers volés (1968)
A l’aube de l’année 1968, François Truffaut n’est pas complétement satisfait de ses expériences récentes marquées notamment par son seul film réalisé en langue anglaise, Fahrenheit 451 d’après le roman d’anticipation de Ray Bradbury. Revenir à Antoine Doinel c’est retrouver une certaine légèreté dans l’exécution, accepter que le réel – et donc l’imprévu - redéfinisse les choses. Truffaut écrit donc un film en forme de récit d’apprentissage, dont le titre provisoire est : Un jeune homme à Paris. Finalement, le cinéaste opte pour un hommage à la célèbre chanson de Charles Trenet, Que reste-t-il de nos amours ? dans laquelle on peut entendre : « Bonheur fané, cheveux au vent, baisers volés, rêves mouvants. Que reste-t-il de tout cela ? Dites-le-moi. » Antoine Doinel a terminé son service militaire, devient veilleur de nuit dans un hôtel avant de jouer les agents secrets. Il rencontre surtout Christine (Claude Jade), une jeune fille plutôt rangée qui tombe sous le charme de ce dilettante. « J’ai failli abandonner Baisers volés quinze jours avant le tournage, confiait plus tard le cinéaste, tellement j’avais honte de ce film qui ne racontait rien ! » Tourné avant les révoltes étudiantes de mai 68 et l’affaire dite « Henri Langlois », ce Baisers volés paraît hors du temps et son héros imperméable aux assauts du présent. Ce décalage plaide paradoxalement en faveur du film, qui trouve son public.
Domicile Conjugal (1970)
Comme pour l’opus précédent, Antoine Doinel ressurgit au moment où François Truffaut semble avoir besoin d’un appel d’air. Domicile conjugal se trouve « coincé » dans sa filmographie, entre deux films d’époque âpres : L’enfant sauvage et Les Deux Anglaises et le Continent. Cela n’enlève rien au pessimisme qui colle à cet épisode. La vie de couple est, en effet, vue comme un leurre. Christine déçue par un Antoine volage conclut amère : « Je m’aperçois que la vie est dégoutante. » Domicile conjugal est à double vitesse : léger et grave à la fois, moderne et replié sur un passé pas si lointain…
Doinel est un soleil dont on craint à tout moment l’éclipse. Il s’exerce à la teinture de fleurs dans la cour de son immeuble et se retrouve soudain propulsé à téléguider des bateaux miniatures pour le compte d’une multinationale ; Il joue les maris et pères modèles mais s’amourache d’une jeune japonaise. « Qui est Antoine Doinel ?, se demande François Truffaut en préface de son livre Aventures d’Antoine Doinel (Mercure de France). N’est-ce pas ce qu’on appelle un personnage exemplaire, il est rusé, il a du charme et en abuse, il ment beaucoup et dissimule plus encore, il demande plus d’amour qu’il n’en a lui-même à offrir, ce n’est pas l’homme en général, c’est l’homme en particulier. » Le film aux allures de comédie douce-amère enchante la critique et un public qui voient en Doinel un reflet sur lequel chacun peut y trouver un bout de lui-même.
L’amour en fuite (1979)
« Après Domicile conjugal François [Truffaut] était frustré, explique Jean-Pierre Léaud en 2001 dans les colonnes de Libération. Il n’avait plus envie de raconter son histoire. Il avait tout dit, et Doinel ne pouvait pas continuer tout seul, puisqu’il n’avait pas de vraie vie dans la société, avec les autres. Et puis un jour Truffaut a vu tous les Doinel à la suite… » Si le cinéaste s’est replongé dans la vie de son héros, c’est qu’il compte sur lui pour redorer le blason de sa société de production – les Films du Carrosse - dont les caisses sont vides après l’échec de La Chambre Verte. Doinel revient donc en sauveur. Cet Amour en fuite permet surtout de récapituler la vie de cet éternel enfant que son créateur aimerait enfin voir en adulte. Truffaut utilise d’ailleurs plusieurs extraits des films précédents qu’il intègre à ce récit introspectif. Ce sera aussi l’occasion pour Antoine de retrouver Colette (Marie-France Pisier), amour non assouvi de sa jeunesse. En fait non, le cinéaste veut du nouveau, un amour inédit, ce sera finalement Sabine, rôle confié à celle qui présente avec succès des émissions pour la jeunesse à la télévision, Dorothée. De film-somme qui devait d’ailleurs s’appeler Les Aventures d’Antoine Doinel, ce dernier volet devient un courant d’air envoyant valser le passé aux quatre vents. L’amour en fuite donc, avec en guise de conclusion une chanson d’Alain Souchon : « Nous, on n’a pas tenu le coup, ça roule sur ta joue. On se quitte et y’a rien qu’on explique. C’est l’amour en fuite… » Et Doinel nous quitte sur la tombe de sa mère. Cette mère dont le petit Antoine des Quatre Cents Coups réclamait l’amour. François Truffaut meurt cinq ans plus tard, laissant à jamais son Antoine Doinel orphelin.
LEs aventures d'antoine doinel
A lire : Les Aventures d’Antoine Doinel par Antoine de Baecque (Carlotta)