« L’Innocent », ou l’art de faire rimer polar et comédie par Louis Garrel

« L’Innocent », ou l’art de faire rimer polar et comédie par Louis Garrel

10 octobre 2022
Cinéma
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Louis Garrel et Noémie Merlant dans « L’Innocent ».
Louis Garrel et Noémie Merlant dans « L’Innocent ». Les Films des Tournelles

Dans son quatrième film en tant que réalisateur, Louis Garrel mêle comédie et thriller pour raconter l’histoire d’un jeune homme, qu’il interprète, dont la mère est sur le point de se marier avec un ancien détenu. Une situation à l’origine d’une série de rebondissements « abracadabrantesques ».


La comédie affleurait lors de vos trois précédents longs métrages, mais L’Innocent donne le sentiment que vous en faites pour la première fois le cœur d’un film. Était-ce une volonté assumée de votre part ?

J’ai en effet pensé L’Innocent comme une comédie de braquage, mais sans vouloir me restreindre au seul registre comique. J’avais avant tout envie d’un mélange des genres : comédie de situation, comédie romantique, comédie de boulevard, mais aussi thriller, film d’espionnage… Dans mon esprit, le divertissement devait naître de ces changements de registre, pas d’une course aux gags effrénée. Avec comme fil rouge un regard humoristique sur les choses, pour accompagner l’aventure extraordinaire, au sens premier du terme, qui arrive à mes personnages. Je voulais aussi que le public s’en empare et s’amuse en jouant lui-même avec le film et une situation de départ – un fils qui veut protéger sa mère de son nouveau compagnon. Il se méfie de cet ancien détenu qu’elle a rencontré en prison où elle donne des cours de théâtre – qui aurait pu tout aussi bien être abordée sous un angle tragique.

C’est aussi dans cette idée de mélange des genres que vous avez coécrit le scénario avec l’écrivain Tanguy Viel, peu habitué à évoluer dans le registre comique ?

J’ai d’abord été séduit par le fait que Tanguy soit vierge sur le terrain de l’écriture scénaristique. Mais aussi par la langue de ses romans qui correspondait pile à ce que j’avais en tête, loin de tout naturalisme et mue par un grand sens du romanesque. Mais là encore, la comédie n’a jamais été notre obsession. C’est sans doute pour cela qu’elle a pu naître au fil de l’écriture, de manière spontanée et que, peu à peu, L’Innocent a basculé vers une idée de noir comique. Et ce, grâce aussi à l’apport essentiel de Naïla Guiguet, mon autre coscénariste, déjà présente sur La Croisade

[...] dans L’Innocent, la comédie naît de situations décalées

 

Une volonté qu’on retrouve aussi dans vos choix des comédiens. Aucun d’eux – à commencer par vous – n’est estampillé comique. On imagine que c’est tout sauf un hasard…

En effet, et ce pour deux raisons. D’abord parce que dans L’Innocent, la comédie naît de situations décalées. Je n’ai donc pas besoin d’acteurs de comédie possédant une technicité particulière. Et ensuite parce que j’ai vraiment pensé ces personnages comme des matières à performance pour ceux qui allaient les incarner. C’est pour cette raison qu’on a attaché une attention particulière aux dialogues avec Tanguy, et que je faisais venir régulièrement des amis pour qu’ils les jouent pendant toute la phase d’écriture afin d’entendre ce qui ne fonctionnait pas côté rythme. Les performances que je recherchais allaient être d’autant plus réussies que les spectateurs n’associaient pas spontanément mes acteurs à la comédie : Roschdy (Zem), Anouk (Grinberg), Noémie (Merlant) et moi-même. 

Comment s’est déroulé votre travail de directeur d’acteurs ?

Je vais prendre un exemple particulier : celui de Noémie Merlant. Il y a vraiment quelque chose de jouissif pour un metteur en scène à révéler chez une actrice quelque chose dont elle n’a pas spontanément conscience. Pour moi, il y a du Jacqueline Maillan chez elle. Et mon travail a consisté à créer un terrain propice pour permettre à cette part hilarante de comique en elle de s’exprimer. À créer de la confiance pour qu’elle accepte le ton que je lui demandais : jouer plus fort qu’elle n’en a l’habitude. Évidemment et c’est normal, il peut y avoir des freins au départ car le risque du ridicule existe. Mais j’étais tellement sûr de moi que Noémie a accepté de me faire confiance et je lui en suis infiniment reconnaissant. L’Innocent est pour moi un vrai film d’acteurs. Et pour elle, comme pour les autres, je me suis tenu à une règle que je crois immuable : une fois qu’on sait qu’on fait le même film, moins on parle à un acteur, mieux c’est. La direction passe par des détails.

Il y a un plaisir particulier chez vous à jouer la comédie ?

Oui, surtout quand mon rôle permet de faire le contrepoint à la situation dramatique du récit. En fait, comme dans la mise en scène, ce sont les contrastes qui me plaisent. Car, au fond, qu’est-ce que l’humour sinon une manière de relativiser les choses, de rendre plus légères des situations graves ? D’ailleurs, dans L’Innocent, mon personnage n’est pas comique en soi, il est celui des contrechamps inquiets de la situation. Mon écoute devait être drôle et je crois que je ne m’étais jamais autorisé à ce point à faire devant une caméra ce que je fais tout le temps dans la vie : j’aime faire l’idiot. Même si sur le plateau, quand on tourne dans son film, on n’en profite pas vraiment. On est obsédé par le rythme à donner et on n’a pas le temps de prendre du plaisir. C’est ce qui explique que dans mes films, je ne compose pas des personnages très différents de moi. 

Louis Garrel, Roschdy Zem et Noémie Merlant Les Films des Tournelles

Une fois sur le plateau, avez-vous eu tendance à tourner plus de prises pour vous « couvrir » ?

Non, il ne me serait pas venu à l’idée de faire plus de prises avec des scènes comiques qu’avec des scènes dramatiques. Mais sur ce film, j’ai pu compter sur Pierre Deschamps, un monteur avec qui je n’avais jamais travaillé, et qui montait au fur et à mesure du tournage. Il m’a permis d’être ultra-réactif. Dès que je voyais une scène montée qui ne marchait pas, je savais que ce n’était pas de son fait, mais du mien – en mise en scène ou en écriture –, donc je refaisais une prise le lendemain. C’est la première fois que j’en tourne autant d’ailleurs. Cela étant, il faut prendre garde aux rires de plateau, y compris aux siens. Car j’en ai eu des fous rires, je vous assure ! Il faut toujours avoir conscience que même si l’équipe ne rit pas sur un plateau, cela ne signifie pas que c’est raté et je dirais même que si l’équipe n’arrête pas de se marrer, il y a pas mal de chance pour que cela ne soit pas très bon. La caméra observe en voyeur, ce qui n’a rien à voir avec ce qui se déroule pendant des répétitions de théâtre. Là, si les gens présents dans la salle se marrent, on peut être à peu près sûr que ce que vous venez de jouer fonctionne.

L’INNOCENT

Réalisation : Louis Garrel
Scénario : Louis Garrel, Tanguy Viel et Naïla Guiguet
Photographie : Julien Poupard
Montage : Pierre Deschamps
Musique : Grégoire Hetzel
Production : Les Films des Tournelles
Distribution : Ad Vitam. Sortie le 12 octobre 2022
Soutiens du CNC : Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial), Avance sur recettes avant réalisation