Comment naît Un beau voyou et cette volonté, pour votre premier long métrage, de jouer avec la figure du voleur ?
Lucas Bernard : Le point de départ remonte à une bonne dizaine d’années. J’habitais alors dans une chambre de bonne parisienne et j’ai dessiné la silhouette d’un voleur qui s’échappait par les toits. Cette image a tout de suite trouvé un écho en moi. Et petit à petit, j’ai commencé à imaginer les aventures de ce petit voleur. Quelqu’un qui travaillerait de façon classique sans faire appel à la technologie et en dérobant des tableaux pas vraiment en vue. Ce qui allait pouvoir le placer pendant un certain temps hors des radars. Bref, un voleur qui envisagerait son travail comme un artisan. Et qu’on saurait dès le départ coupable.
En ce sens, vous êtes donc plus de l’école Simenon que de celle d’Agatha Christie ?
Je suis en effet un grand admirateur de Simenon et tout particulièrement du rapport empathique qu’entretient son Commissaire Maigret avec les voleurs qu’il traque. Dans chacune de ses aventures, le plus important semble pour lui bien plus de les comprendre que de les arrêter. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, contrairement aux Agatha Christie, on connaît généralement le nom du coupable dès les premières pages. Il n’y a aucun suspense. La question n’est pas de savoir qui a commis le larcin mais pourquoi et comment. C’est précisément ce que j’ai voulu développer avec cette histoire et ce personnage de flic, campé par Charles Berling, qui, proche de la retraite, semble très vite bien plus passionné par la personnalité de ce jeune voleur que par la nécessité de mettre fin à ses larcins…
Comment fait-on pour trouver et faire entendre sa singularité dans une de ces histoires qui nourrissent le cinéma depuis les origines ?
On sait d’abord ce qu’on n’a pas envie de faire. Car à force de voir des polars, vous finissez par repérer ce qui vous agace y compris dans des grands classiques. Et en premier lieu, la manière dont les personnages féminins y sont traités, souvent cantonnées à des emplois de cruches qui vont s’énamourer - sans qu’on sache trop pourquoi - de mauvais garçons dont on ne saisit d’ailleurs guère mieux les sentiments qu’ils éprouvent pour elle. Prenons le cas du génial Heat de Michael Mann. J’adore la relation entre Val Kilmer et sa femme qui le trompe et cette idée d’un braqueur devant affronter des problèmes de couple. Elle m’intéresse mille fois plus que l’histoire d’amour vécu par le personnage de De Niro qu’on a déjà vu mille fois. Donc si singularité il y a dans mon travail, elle se trouve, pour commencer, dans l’écriture de Justine, l’amoureuse du petit voleur. Je voulais à tout prix éviter de la faire tomber dans ces travers que j’avais identifiés.
Cette singularité se trouve aussi dans cette idée d’un polar totalement déshabillé de ses ingrédients habituels…
Oui, dans Un beau voyou, il n’y a nulle trace de valise de billets, de prostituées, d’armes automatiques... Et ce parti pris de départ influence jusqu’aux costumes du personnage de Swann Arlaud. Lui aussi échappe aux codes du genre. Il ne porte ni veste de cuir, ni chemise bleue un peu délavée comme nombre de ses pairs. Il est propre, bien rasé et s’habille même en chemises hawaïennes !
Tout ceci influe aussi sur le travail sur la lumière d’Un beau voyou ? Comment l’avez-vous envisagé avec votre directeur de la photo Alexandre Léglise ?
Quand vous réfléchissez à la manière de filmer les toits de Paris, une évidence vous vient tout de suite à l’esprit. C’est le seul endroit de la capitale où vous voyez le ciel, l’horizon. Et surgissent alors des images de western. Je pourrais donc citer John Ford comme influence. Mais avec Alexandre, nous sommes amis d’enfance et avons fait la même école donc on parle de cinéma depuis toujours. On n’avait donc même pas à formuler nos références communes tant elles infusaient en nous depuis des années…
Quand on pense course-poursuite sur les toits de Paris, un film sonne comme une évidence : le Peur sur la ville d’Henri Verneuil avec Belmondo traquant le serial-killer qui terrorise la capitale…
Evidemment et je l’ai d’ailleurs revu pendant la préparation d’Un beau voyou pour décortiquer comment Verneuil et son équipe s’y étaient pris à l’époque. Mais mon expérience de chef opérateur m’a aussi appris le côté chausse-trappes des références. On peut vite se perdre à tenter de recréer quelque chose d’inatteignable puisqu’aucun tournage ne ressemble à un autre. Mais ce personnage qui vole des tableaux m’a aussi permis de jouer avec un univers artistique différent du cinéma. Or les références à la peinture n’enferment jamais, elles, l’imaginaire d’un chef opérateur car il ne pourra jamais reproduire ces œuvres à l’identique. On peut réellement s’amuser avec. Et ce fut le cas dès les premiers plans d’Un beau voyou. Quand le film s’ouvre sur le plan d’un immeuble, on peut imaginer qu’il s’agit d’un détail d’un Mondrian avec ces quadrillages à l’écran. Puis un dézoom arrière nous fait alors sortir d’une fenêtre comme on sortirait d’un tableau….
Cet univers joliment décalé nécessitait des comédiens capables de la même imprévisibilité dans leur jeu. Est-ce un hasard que votre trio majeur – Swann Arlaud, Charles Berling et Jennifer Decker, Pensionnaire de la Comédie Française - ait chacun une solide expérience de théâtre ?
On le doit à ma directrice de casting Tatiana Vialle qui a un regard très pointu sur le théâtre. Mais j’y trouve mon compte car j’avais voulu développer dans ce scénario une langue et des effets de dialogues où leur expérience à se faufiler dans le langage d’auteurs majeurs constitue un atout inestimable. Quand on passe après Corneille et Shakespeare, tout va bien ! On n’a aucun doute sur leur manière de respecter la langue proposée. Et mes comédiens ont su donner vie à mes dialogues, au ton - je l’espère singulier - de leurs échanges avec un naturel de chaque instant. Comme metteur en scène, c’est toujours fascinant de constater sur le plateau puis sur la table de montage que votre film prend vie de cette manière. Mes comédiens ont apporté énormément à la musicalité de l’ensemble.
Un beau voyou a bénéficié d’une avance sur recettes avant réalisation de la part du CNC.