Marine Le Guennan : « Maquiller, c’est avant tout mettre en confiance »

Marine Le Guennan : « Maquiller, c’est avant tout mettre en confiance »

22 novembre 2019
Cinéma
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Marine Le Guennan
Profession, maquilleuse… A l’occasion du Mois du film documentaire, nous avons rencontré Marine Le Guennan, qui travaille pour le cinéma et la télévision. Maquillant aussi bien des personnages de fiction (elle intervient sur la série Scènes de ménages, diffusée sur M6) que des non-comédiens dans des films documentaires, elle nous explique ce métier de l’ombre.

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En quoi consiste le métier de maquilleuse de cinéma ?

Mon métier est constitué de deux facettes : la première, bien connue, est l’approche esthétique, c’est-à-dire préparer un acteur à passer devant la caméra pour qu’il capte au mieux la lumière. Mais cette préparation s’effectue également sur un plan psychologique. Le fait de maquiller une personne, qu’il s’agisse d’anonymes ou de personnalités, de comédiens ou de non-professionnels, implique une relation de proximité immédiate, pas toujours évidente à appréhender. Maquiller, c’est un acte loin d’être anodin : dès lors que vous touchez au visage d’une personne, vous accédez à l’intime. Le visage raconte beaucoup de choses : les cernes d’une mauvaise nuit, le teint d’un lendemain de soirée festive, les cicatrices…  C’est pourquoi un maquilleur doit savoir mettre tout de suite en confiance. D’ailleurs, cette confiance vient nourrir le travail de l’acteur, qui, une fois mis en valeur esthétiquement et psychologiquement, sera à même de donner le meilleur de lui-même au moment de tourner.
 

Peu à peu vous vous êtes spécialisée dans le documentaire. Pourquoi ?

Cela s’est fait un peu par hasard. Dans mon métier, comme dans de nombreuses professions artistiques, on se fait connaître grâce au bouche-à-oreille. Et j’aime beaucoup travailler avec des non-professionnels, je trouve qu’il y a quelque chose de gratifiant. Cela me demande d’être particulièrement prévenante et rassurante avec « mes acteurs du jour » comme j’aime les appeler, qui ont davantage besoin de moi que des comédiens confirmés, habitués aux plateaux, à la caméra...  Sur le documentaire, le maquillage ne sert pas à transformer les personnes mais à les mettre dans les meilleures conditions possibles pour qu’elles puissent être à l’aise dans ce qu’elles ont à raconter, sans chercher à être quelqu’un d’autre. Je travaille le maquillage en transparence, je gomme quelques imperfections, je leur demande aussi si elles veulent que je masque telle ou telle cicatrice ou au contraire, si on la laisse apparente, car les cicatrices peuvent apporter quelque chose au récit.Un documentaire se construit sur des témoignages. L’idée est donc de recueillir ces témoignages en filmant les gens tels qu’ils sont, sans artifice factice. Il faut respecter leur authenticité. Par ailleurs, leurs parcours m’intéressent. C’est cette curiosité pour les gens qui a motivé mon désir de devenir maquilleuse. Sur les documentaires, je découver à chaque fois des personnes incroyables, qui  me font grandir. S’ouvrir à l’autre est une dimension primordiale de mon métier.  J’ai travaillé sur des documentaires divers, avec des personnes handicapées moteur dans Ya Basta, un court métrage de Gustave Kervern), avec des femmes victimes de viol (Viol, elles se manifestent d’Andréa Rawlins-Gaston), ou avec des enfants (Gosses de France). C’est chaque fois une expérience forte, qui me rappelle à quel point le rapport humain est exceptionnel dans mon métier.

Maquiller pour une fiction ou pour un documentaire requiert-il une technique différente ?

Pas vraiment. Le maquillage naturel demandé dans le documentaire est aussi de plus en plus recherché au cinéma actuellement. Il y a un retour à un certain réalisme. Quand on y réfléchit, la plupart des personnages de fiction ne sont pas censés être maquillés. Le maquillage doit raconter l’histoire du personnage et ne pas se voir. Evidemment tout dépend du sujet, ou s’il s’agit d’un film d’époque. Par exemple, pour Les Vacances du Petit Nicolas (de Laurent Tirard - ndlr), les visages devaient être plus structurés, les teints halés, les bouches rouges bien marquées, pour coller à l’esprit rétro du film. Il fallait s’intégrer au décor, évoquer l’époque des années 1950-60, jouer sur les couleurs chatoyantes mais avec parcimonie. Pour l’acteur, le maquillage, au même titre que le costume, est un moyen d’entrer tout de suite dans son personnage. Ce n’est pas un hasard si on intervient au bout de la chaîne lors du tournage. Mon rôle, en tant que maquilleuse, est d’écouter et de rassurer le comédien qui, quelle que soit sa notoriété, et qu’il s’agisse d’une fiction ou d’un documentaire, est toujours en proie aux doutes.

Sur le documentaire, le maquillage ne sert pas à transformer les personnes mais à les mettre dans les meilleures conditions possibles pour qu’elles puissent être à l’aise dans ce qu’elles ont à raconter, sans chercher à être quelqu’un d’autre.

Finalement, ce qui peut s’avérer compliqué, c’est le fait de passer d’un documentaire dont le sujet est assez lourd à une série humoristique telle que Scènes de ménage, sur laquelle j’interviens, dans la même journée. Je me retrouve à gérer des émotions, des énergies complètement différentes, et la transition est parfois ardue ! Mais naviguer dans tous ces univers variés, ça me plait énormément.  

Sur le documentaire Gosses de France d’Andréa Rawlins-Gaston, comment avez-vous travaillé avec les adolescents ?

Andréa, avec qui j’ai collaboré plusieurs fois – et nous allons nous retrouver bientôt sur un documentaire autour des jeunes et du cannabis – m’a donné carte blanche, comme à son habitude.

Sur Gosses de France, les adolescents étaient âgés de 13 à 21 ans. Un panel hétéroclite qui nécessitait de s’adapter à chaque sensibilité. Par exemple, Brocéliande, la jeune fille de 21 ans, était assez réticente à l’idée de se faire maquiller, m’expliquant qu’elle avait des allergies. Je lui ai dit que j’utilisais une crème hypoallergénique adaptée à son type de peau et que le maquillage serait très léger. On a donc travaillé le maquillage peu à peu, ensemble. Je lui ai expliqué ma démarche et elle me donnait son avis. A l’inverse, la jeune Sofia était particulièrement à l’aise avec les cosmétiques. J’ai dû réfréner quelque peu ses ardeurs en lui rappelant qu’il était important de garder sa fraîcheur et sa spontanéité, qu’on ne souhaitait surtout pas en faire une lolita ! Maquiller un adolescent demande encore plus de délicatesse que de travailler avec un enfant. C’est une période où l’on se construit et où l’on accorde beaucoup d’importance à l’image que l’on a de soi. D’autant plus que l’image a pris une place prépondérante dans la société actuelle. Encore une fois, on en revient à la notion de confiance : travailler avec les adolescents nécessite d’entrer dans leurs univers, que ce soit par le biais de la musique comme avec Brocéliande, ou la cuisine comme avec Benjamin. C’est une façon de nouer le contact.

Vous êtes intervenue sur des films au sujet parfois difficiles. Qu’est-ce que cela implique de maquiller ces personnes que l’on imagine fragilisées, avec des histoires douloureuses ?

Cela nécessite beaucoup de douceur et même une certaine forme d’empathie. Il faut savoir que le maquillage,  c’est du visuel, de la matière mais aussi du toucher. Lorsqu’il m’arrive de ressentir la fragilité de la personne que je maquille, j’adapte mes gestes en conséquence. Je vais alors appuyer un peu plus le pinceau, qui exerce comme une caresse, effectuer un petit massage du visage ou des tempes pour apaiser la personne… Je suis là pour les aider à livrer leurs émotions, à raconter leur vécu, sans crainte et les libérer de toute appréhension. D’ailleurs, le maquillage peut aussi être une façon de se protéger, de mettre une barrière face aux autres. C’est le cas de certains animateurs de télévision qui me demandent de réaliser un maquillage assez lourd, comme un masque qu’ils porteraient.

Remarquez-vous une évolution de votre profession ?

Il y en a plusieurs. Par exemple l’apparition de la Haute Définition. Avant, on pouvait camoufler les défauts plus facilement avec les films sur pellicule, on s’amusait avec la matière, on collaborait avec les chefs opérateurs pour jouer sur les couleurs complémentaires… Avec la HD, la moindre imperfection sur le visage se voit tout de suite. Le travail en transparence est donc risqué car tout ce qui se voit à l’œil nu ne passera pas à la caméra. Le spectateur peut alors sortir du film en se focalisant sur un détail, sur les pores de la peau par exemple ou sur des rougeurs apparentes… Les gros plans au cinéma, ça ne pardonne pas. Heureusement, la HD, la 4k permettent en contre partie des retouches à l’écran désormais plus faciles.

Un autre sujet relativement récent, c’est le fait d’être sensibilisé aux perturbateurs endocriniens présents dans certaines marques de cosmétique. Les gammes bio commencent à se développer mais c’est encore insuffisant.

On imagine que votre profession est majoritairement exercée par les femmes. Est-ce le cas ?

Eh bien non ! Figurez-vous que la question de la parité se pose aussi chez les maquilleurs et les maquilleuses car, contrairement aux idées reçues, il y a beaucoup d’hommes qui maquillent et qui ont même leur petite notoriété dans le milieu du cinéma ou dans la mode. Certaines actrices, conscientes du rapport de séduction qui se joue souvent à l’écran, préfèrent avoir un regard masculin qui saura les mettre en valeur, et privilégient ainsi de travailler auprès d’un maquilleur. Mais heureusement, les mentalités évoluent dans le bons sens !