Vous êtes président du jury Sang Neuf de Reims Polar, quel est votre rapport au genre ?
Je suis un dingue de cinéma policier depuis mon enfance. J’appartiens à la génération Eddy Mitchell. J’ai grandi avec La Dernière Séance. J’y ai découvert les grands films : les westerns classiques, les films d’aventures, et évidemment les polars et les thrillers. Par la suite, je me suis fait ma propre culture cinématographique, assez large, qui va des classiques des années 60 aux chefs-d’œuvre des années 90. Par ailleurs, je suis romancier mais je crois que dans une autre vie, j’aurais adoré être cinéaste – c’est pour ça que j’ai monté ma boîte de production il y a quelques mois, pour ne pas avoir de regrets.
Quelle serait pour vous la spécificité du genre au cinéma ?
Je dirais qu’il s’agit d’un genre permettant le renouvellement constant du médium. J’adore l’idée que le cinéma cherche constamment à trouver de nouveaux moyens de se raconter, de raconter une histoire. Ça passe à la fois par des révolutions narratives (par exemple raconter l’histoire à l’envers), mais aussi par l’utilisation de nouveaux outils comme le digital ou le numérique. Et j’ai l’impression que le polar est le lieu idéal pour ces innovations. Sa structure, ses codes offrent paradoxalement beaucoup de liberté et laissent une grande marge de manœuvre aux auteurs et aux cinéastes. Par ailleurs, d’un point de vue plus personnel, j’avoue que la nécessité de condenser un mystère ou une histoire en deux heures est assez impressionnante pour un type comme moi, incapable d’écrire un roman de moins de 400 pages.
Vous êtes écrivain, et vous êtes donc le président du jury Sang Neuf. On imagine que votre palmarès privilégiera les films au scénario solide.
Eh bien c’est faux ! (Rires.) Je connais la citation qu’on attribue à Hitchcock : « Un bon film c’est trois choses : un bon scénario, un bon scénario et un bon scénario », mais je ne suis pas du tout d’accord avec ça. Un bon script réalisé platement, ça va horriblement m’ennuyer. Moi, j’ai besoin de me sentir emporter et ça passe, pardon pour le truisme, par la mise en scène, surtout la technique, le jeu des comédiens et le montage. Mais c’est comme en littérature : une bonne histoire, ça ne suffit pas et je pense que c’est encore plus cruel au cinéma. Cela dit j’ai un très bon contre-exemple, celui de La Prisonnière espagnole de David Mamet. Le film repose uniquement sur son script. Les comédiens ne sont pas dingues, la réalisation est au mieux générique. Mais c’est un bijou scénaristique et ça suffit à me rendre fou du film.
Quels sont les polars qui comptent vraiment pour vous ?
Je ne vais pas être très original : Seven, Le Silence des agneaux, 8 mm de Joel Schumacher… J’ai 9000 Blu-ray, DVD 4K, et compagnie… J’ai cette passion du concret et je me suis fait une espèce de vidéoclub avec beaucoup de classiques.
Reims Polar met le film noir français à l’honneur cette année. Est-ce que c’est une cinématographie qui compte pour vous ?
Évidemment : il y a les classiques comme Garde à vue, mais j’ai l’impression que le genre a explosé au tournant des années 2000. Pour moi dans les grands films policiers récents, il y a Scènes de crimes de Frédéric Schoendoerffer, un film superbe, très proche de la réalité, très subtil et qui parvient à ne jamais sacrifier l’authenticité à la tension. Je dois reconnaître que les films d’Olivier Marchal restent en haut de mon Panthéon, même s’ils me foutent un bourdon pas possible. 36, quai des Orfèvres, vingt ans après, reste un modèle du genre, hyper efficace. Il reprend la tradition du polar français, mais en y injectant des touches de modernité. Et puis, plus proche de nous, il y a eu L’Affaire SK1, un film qui réussit le pari d’être à la fois le récit d’un fait divers tout en gardant une narration fictionnelle très prenante. Novembre de Cédric Jimenez fait ce pari également.
C’est amusant : vous ne citez que des procedurals. Est-ce que cela veut dire que le genre se réduit aux histoires de flics ?
Non, mais il est vrai que j’adore le processus de l’enquête. Le flic est la porte d’entrée évidente du genre, car c’est plus compliqué de raconter des enquêtes sans les policiers. C’est un accélérateur : vous n’avez pas à perdre du temps pour justifier la légitimité de vos héros qui se mettent à enquêter. Ça ne veut pas dire qu’un bon polar doit forcément avoir des flics pour héros. Dans un autre genre, par exemple, j’aime beaucoup le cinéma coréen et particulièrement la Trilogie de la vengeance de Park Chan-wook. Ici il n’y a pas de flics et le cinéaste fouille les profondeurs de l’âme humaine. C’est effrayant.
Vous connaissez visiblement bien le cinéma, qui est par ailleurs, on le sait, l’une de vos sources d’inspiration principales. Comment expliquer qu’il y ait eu si peu d’adaptations de vos romans ?
Parce que pendant longtemps, les propositions qu’on me faisait n’étaient pas pertinentes. Je ne cours pas après l’adaptation. Je n’avais pas envie qu’on vienne me voir avec un chèque, j’avais envie qu’on vienne me voir avec une vision. La plupart du temps, soit la proposition était cynique, soit les gens arrivaient avec trop de respect par rapport au livre. Comme s’ils n’osaient pas changer mon canevas. Or je n’ai aucun problème avec ça. Je cite toujours le cas de Stephen King qui déteste le Shining de Kubrick. Pourtant il a tort : le film est aussi génial que son roman. C’est le même fond, mais raconté autrement, avec les obsessions personnelles de chacun. Ce sont deux œuvres quasiment complémentaires pour moi. Et c’est ça qui m’intéresse dans une adaptation. Il fallait sans doute que je fasse les bonnes rencontres et c’est ce qui s’est passé récemment, notamment avec Le Signal qui va être adapté en série et dont le tournage débute ce mois-ci.
Votre structure de production produira-t-elle des adaptations de vos romans ?
Ça n’était pas l’idée première. J’ai beaucoup d’envies et pas assez de temps pour toutes les transformer en livres. J’irai peut-être piocher dans ces idées-là. Par ailleurs, j’ai aussi envie de travailler avec des gens différents, venant du cinéma ou de la télé, et de développer des projets qu’on m’apporte. Donc on verra bien ce que ça donne.
Ça fait maintenant deux ans que vous êtes à la tête de la commission d’aide des jeux vidéo pour le CNC. Quel bilan en tirez-vous ?
Les gens du CNC sont venus me chercher parce qu’ils avaient lu quelque part que j’aimais les jeux vidéo. J’avoue qu’au début je me sentais un peu illégitime, mais je crois que l’institution aimait bien le fait que je ne sois pas véritablement du sérail. Je ne fais pas partie de l’industrie, mais je sais raconter des histoires, je peux me projeter dans une narration. Et je suis un vrai gamer, je connais les jeux. Si je ne suis pas du milieu, la commission est constituée de membres de l’industrie qui, eux, chacun à leur poste, apportent leur légitimité et une expertise dans un domaine particulier. La commission se réunit plusieurs fois par an et statue sur des jeux vidéo français, des boîtes de production françaises, pour les aider à toutes les étapes de la fabrication – de l’écriture à la préprod jusqu’à la production. On est là pour accompagner toutes les structures qui ont besoin d’un coup de main. Sur le plan financier évidemment, mais également à travers des expertises ou des retours techniques (les membres de la commission peuvent donner des conseils ou formuler des suggestions). C’est d’autant plus important que le marché est constitué de gros mastodontes. Notre but est donc de mettre en avant le vivier du jeu vidéo français, soutenir les plus petits et les plus fragiles.
Les derniers prix Pégase ont effectivement rappelé le bouillonnement de l’industrie française.
Exactement ! Derrière les grosses licences AAA (d’Ubisoft ou de Quantic Dream), il y a une foule de tout petits jeux très ambitieux et très importants portés par des petites structures (parfois même des personnes seules) qu’il faut soutenir. Le monde entier sait que la France est une terre de jeux vidéo, d’où l’importance du FAJV (Fonds d’aide au jeu vidéo) qui intervient aussi pour que toutes ces structures restent en France !