Vous êtes né en 1975. L’idée des Passagers de la nuit vient-elle d’abord de l’envie de parler des années de votre enfance ?
C’est en effet l’impulsion première. J’ai souhaité m’y replonger, non pas dans une perspective de nostalgie ou de paradis perdu, mais simplement parce qu’elles me constituent. J’ai donc essayé de retrouver et de partager les sensations qu’elles m’ont inspirées. Les Passagers de la nuit est un film paradoxal. Il est très autobiographique – j’ai mis un peu de moi dans tous les personnages –, pour autant, il ne raconte pas mon histoire. Ensuite, j’ai désiré explorer d’autres envies : portraiturer une femme d’une cinquantaine d’années quittée par son mari, explorer le milieu de la radio de nuit, filmer le quartier parisien de Beaugrenelle dans le 15e arrondissement.
Comment avez-vous traduit cette période dans l’écriture ?
La manière dont les années 1980 infuse le scénario possède quelque chose d’impalpable. Je n’aurais pas souhaité traiter cette même histoire de nos jours. J’avais surtout en tête en écrivant un film impressionniste et sensoriel, pas une reconstitution muséale. Je souhaite immerger le spectateur dans cette période particulière. Cela a été possible grâce au travail sur l’image, notamment le mélange de différents formats à l’écran, tels les plans tournés avec la petite caméra mécanique Bolex qui permet un rendu granuleux proche du Super 8, ou encore les archives amateures récupérées à l’INA (Institut national de l’audiovisuel) et sur internet.
Comment parvient-on à mettre en scène cette immersion sur le plateau ?
Il faut évidemment un travail de reconstitution sans toutefois saturer l’espace. Pendant les repérages, nous avons essayé d’identifier les rares îlots parisiens restés intemporels. Nous avons aussi fait venir des véhicules de l’époque. Finalement, tout s’est joué au montage, notamment la ligne mélodique du film. Je peux avoir tendance à oublier des points essentiels en sortant de tournage. J’ai été chanceux de pouvoir m’appuyer sur Marion Monnier, ma monteuse. Elle est force de proposition et sa hauteur de vue m’est primordiale.
Durant la fabrique du film, le rapport des futurs spectateurs à la décennie 1980 vous a-t-il influencé ?
Le film n’est pas une reconstitution historique pure. Cet aspect n’est donc pas intervenu dans le processus créatif. Evidemment, je me suis imprégné d’archives, mais le récit porté par Les Passagers de la nuit reste une retranscription personnelle, quelque peu fantasmée. C’est une vue des années 1980 depuis notre époque contemporaine. Réaliser un film intime permet de toucher davantage de personnes : cela peut sembler un poncif, mais j’y crois réellement.
Charlotte Gainsbourg et Emmanuelle Béart ont profondément marqué cette décennie. C’est l’une des raisons de ce choix de casting ?
Pas du tout. Je me suis rendu compte de cette évidence une fois le film terminé. Il s’agit presque d’une mise en abyme. Outre leur talent, je les ai choisies car elles avaient l’âge de leurs rôles respectifs, mais je n’ai pas cherché à faire dialoguer les époques à travers elles.
Le film rend un hommage à Pascale Ogier, l’héroïne des Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer disparue en 1984 à seulement 25 ans. Pourquoi ?
Elle a été l’une des premières actrices que je voyais à l’écran comme une véritable personne. J’ai été immédiatement fasciné par sa façon de bouger, par sa musicalité. Elle est inspirante, j’aurais vraiment aimé la diriger… Dans Les Passagers de la nuit, je l’ai imaginée comme un fantôme qui parcourt le film. Le personnage campé par Noée Abita est construit en effet miroir.
Était-il important d’aborder le cinéma dans le film ?
Oui, mais à aucun moment de manière révérencieuse. C’est pourquoi je l’ai introduit avec la séquence dans laquelle les ados rentrent par inadvertance dans la salle de cinéma consacrée aux Nuits de la pleine lune alors qu’ils pensaient aller voir Birdy. Dans les années 1980, je regardais des blockbusters américains comme E.T., Indiana Jones ou des comédies françaises à succès à l’image des Spécialistes ou de La Chèvre. En parallèle, régulièrement, mon père m’emmenait au Quartier latin découvrir des classiques comme les Hitchcock, les Kazan…
Votre goût pour le cinéma de Rohmer est-il arrivé plus tard ?
Oui, bien plus tard, par la télévision. Je ne me suis pas trompé de salle, comme mes personnages, à l’époque ! (Rires.)
Les Passagers de la nuit
Réalisation et scénario : Mikhaël Hers.
Photographie : Sébastien Buchmann.
Musique : Matthieu Sibony, David Sztanke et Anton Sanko.
Montage : Marion Monnier.
Production : Nord-Ouest Films, Arte France Cinéma.
Distribution : Pyramide Distribution.
Ventes internationales : MK2 International
Soutiens du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme), Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial)
