C’est une tendance qui a d’abord commencé à transparaître dans les séries et le cinéma américain : le retour manifeste des années 80 à l’écran depuis le début de la dernière décennie. Qu’on pense à Super 8 de JJ Abrams, Call Me by Your Name de Luca Guadagnino ou aux séries Stranger Things et The Americans, entre autres, sans parler des nombreux remakes ou suites de succès de l’époque : Total Recall, Blade Runner, Alien, Les Griffes de la nuit, etc… Cette période de nouvelles promesses et d’espoirs déçus fait un retour remarqué sur les écrans.
De notre côté de l’Atlantique, un parfum indéniable de retour aux années 80 s’étend progressivement, depuis le début des années 2010, et cela au sein même de films d’auteurs intimistes. Retour sur six film phares des dix dernières années :
Camille redouble, Noémie Lvovsky (2012)
Ce film est sans doute le plus représentatif de ce qui est en jeu derrière cette tendance au retour des années 80 sur nos écrans français : la quête pour les réalisateurs et réalisatrices d’une fontaine de jouvence, d’un moyen de retrouver (et de faire retrouver à leur public) leurs années de jeunesse et de découvertes.
Ici, pour doubler cette sensation, Noémie Lvovsky incarne elle-même le rôle-titre de Camille, quarantenaire qui va se retrouver projetée en 1985, à ses 16 ans, âge de la rencontre avec son futur (ex-)mari, Éric (Samir Guesmi). Camille redouble reprend la formule d’un autre film qui opérait, lui aussi, un retour vers une époque révolue : Peggy Sue s’est mariée (1986) de Francis Ford Coppola, où le personnage titre revivait sa dernière année de lycée, en 1960. À la différence près que, Lvovsky assume totalement ce passé idéalisé et cette expérience inespérée : revivre ses premiers émois et amours, les moments entre amis et en famille, en ayant pleinement conscience de leur préciosité et fragilité.
Aides obtenues auprès du CNC : Avance sur recettes avant réalisation , Aide sélective à l'édition en vidéo physique, Majoration VàD et Soutien sélectif à l’exploitation en vidéo à la demande (VàD)
Trois souvenirs de ma jeunesse, Arnaud Desplechin (2015)
On retrouve un peu de cette dimension nostalgique dans le dixième long métrage de Desplechin, où son personnage alter égo, Paul Dédalus (interprété par Mathieu Almaric, adulte et Quentin Dolmaire, adolescent), se remémore de trois souvenirs différents ayant construit l’homme qu’il est aujourd’hui. Or, si l’intégralité de l’intrigue ne se déroule pas dans les années 80, contrairement à de nombreux films de nostalgie, celui-ci n’est pas sourd à l’Histoire et s’inscrit fortement dans son contexte.
Ainsi, dans le deuxième souvenir du film, Paul et un ami, lors d’un voyage scolaire en Russie (alors encore l’URSS), vont aider des ennemis du régime soviétique à fuir le pays en leur procurant son passeport. Tandis qu’une scène marquante de la troisième partie le met en scène, avec sa famille, regardant la chute du mur de Berlin à la télévision. « Je regarde la fin de mon enfance ». Cette phrase prononcée par Paul devant l’écran témoigne bien de ce moment de rupture qu’a pu incarner la chute du mur et la manière dont les destins individuels peuvent aussi être bousculés par le vent de l’Histoire.
Mais, au-delà de cet ancrage historique, le cœur du film reste, comme souvent dans ces voyages temporels, la rencontre du premier amour. Il prend ici les traits d’Esther (ici Lou Roy-Lecollinet, sosie adolescente d’Emmanuelle Devos qui joue ce rôle adulte dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle)) et se concrétise lors d’une séquence de soirée, où le film devenu jukebox, crée à partir de morceaux plus ou moins obscurs, une véritable frise musicale de l’époque.
Aides obtenues auprès du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme), Aide sélective à l'édition en vidéo physique, Aide à la musique de films de long métrage, Aide à la prospection pour la vente à l’étranger
La Dernière Vie de Simon, Léo Karmann (2019)
Cette fois, il ne s’agit pas tant pour le réalisateur de faire revivre l’époque de son enfance mais bien les films qui l’ont marquée. D’ailleurs, ce premier long métrage ne se déroule pas explicitement dans les années 80, mais est ce qui s’approche le plus en France des pastiches des classiques de Spielberg et Zemeckis (tels Super 8, Midnight Special, ou Stranger Things aux États-Unis). À première vue, pourtant, nuls extraterrestres, vaisseaux spatiaux ou voyages dans le temps, mais une atmosphère visuelle et narrative qui emprunte avec voracité aux codes de ce cinéma où riment enfance et étrange.
La Dernière Vie de Simon raconte ainsi, avec un mélange d’enchantement et de tristesse (qui n’est pas sans rappeler le ton du E.T. de Spielberg), le destin de Simon, jeune orphelin ayant le pouvoir de prendre l’apparence de chaque personne qu’il a touchée et qui après un tragique accident va adopter l’apparence et la vie d’un de ses amis, quitte à y perdre sa propre identité.
Comme en témoigne le réalisateur dans une interview, le désir moteur de retourner à l’influence des films des années 80 ayant forgé l’imaginaire de toute une génération correspondait à « une envie de rêve et d’évasion », une forme de fuite de la représentation naturaliste omniprésente dans le cinéma français contemporain, qui ne lui semblait possible qu’à travers ce virage temporel empreint de mélancolie.
Aides obtenues auprès du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme), Aides à la création visuelle ou sonore (CVS)
Été 85, François Ozon (2020)
L’aura qu’il a pu avoir, avant sa sortie, de Call Me by Your Name français tient uniquement à son emplacement temporel dans une saison estivale des années 80. Autrement, le film d’Ozon taille sa propre route, en contrastant les lumières colorées, les musiques et la sensualité donnant une image idéalisée de cette époque avec les ombres de la déchirure sentimentale et de la mort planant sur le récit de cet amour d’été entre deux jeunes hommes.
Il s’agit également à nouveau d’un projet empreint de souvenirs de jeunesse pour son metteur en scène. En effet, le film est l’adaptation d’un roman (La Danse du coucou, d’Aidan Chambers, paru en 1982), qu’Ozon a découvert adolescent et affirme, en interviews, avoir rêvé d’en faire son premier film. De plus, ce long métrage est aussi l’occasion du clin d’œil nostalgique ultime : la reprise quasi identique de la scène du walkman de La Boum (Claude Pinoteau, 1980), film générationnel, mais avec Benjamin Voisin et Felix Lefebvre en lieu et place de Sophie Marceau et Alexandre Sterling et « Sailing » de Rod Stewart remplaçant « Reality » de Richard Sanderson, comme hymne de ce moment suspendu.
Aides obtenues par le CNC : Aide sélective à l'édition en vidéo physique, Aides à la création de musiques originales.
Louloute, Hubert Viel (2021)
Le film met en scène une certaine nostalgie des années 80, en choisissant comme personnage principale, Louise (Erika Sainte, adulte, et Alice Henri, enfant), quarantenaire et mélancolique incurable, qui resasse son enfance, en apparence heureuse, durant cette décennie. Hubert Viel propose une reconstitution au peigne fin, amassant une galerie impressionnante de détails (des gros pulls en laine colorés aux programmes du Club Dorothée) afin d’assurer la crédibilité de ce voyage dans le temps.
Mais derrière le vernis nostalgique des premiers souvenirs se cache un regard beaucoup moins naïf qu’il n’y paraît sur cette décennie. À la mélancolie douce se mêle ainsi une amertume directement liée au contexte historique et économique. En effet, les années 80 marquent aussi la fin des Trente Glorieuses et le début d’une récession économique, illustrée par la faillite de la ferme familiale dans le film. Faillite qui aura pour conséquence l’éclatement du cocon familial qui enrobait si allègrement Louise alias Louloute. En faisant revivre ces années-là à travers les yeux d’une petite fille, Viel illustre autant l’ignorance innocente du regard enfantin, que la naïveté aberrante de certaines représentations idéalisées d’une époque aussi dure que les autres.
Aides obtenues par le CNC : Avance sur recette après réalisation, Aides à la création de musiques originales, Aide à la distribution (aide au film par film)
Les Magnétiques, Vincent Maël Cardona(2021)
Comme Louloute, le récit s’ancre dans la France rurale de l’époque, « là où on a l’impression que rien ne se passe, mais où tous les grands changements ont lieu », selon les mots du réalisateur. Les années 80 sont souvent convoquées par le prisme de la musique, mais il est plus rare que les films sur cette décennie traitent explicitement du rapport des jeunes de l’époque avec celle-ci. Ici, elle représente un espoir d’évasion pour Philippe (Thimotée Robart) et Jérôme (Joseph Olivennes), les deux frères au centre du récit qui animent une radio pirate, une porte de sortie de leur milieu social, de leur travail au garage paternel ou encore du service militaire en Allemagne auquel Philippe se retrouve contraint. Mais aussi, un moyen d’expression de ses sentiments refoulés pour ce jeune homme un peu refermé, vivant dans l’ombre d’un frère trop écrasant, trop expressif et magnétique.
À la bande-son, les morceaux et artistes cultes de l’époque, de Joy Division aux punks français de Camera Silens en passant par le groupe allemand Malaria, accompagnent et rythment les péripéties de Phillipe et son triangle amoureux avec la petite amie de son frère, Marianne (Marie Colomb). Tandis qu’à l’écran, défilent postes de radio, cassettes, bobines, micros et walkmans, afin, comme le cinéaste nous l’a confié, de « célébrer le crépuscule du monde analogique » et, avec un brin de nostalgie, l’entrée dans notre monde numérique.
Aides obtenues par le CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la coproduction franco-allemande, Aide sélective à la distribution (aide au programme)