LA COLLECTIONNEUSE (1967)
Alors que dix ans auparavant ses camarades des Cahiers du cinéma passés à la réalisation (Chabrol, Truffaut, Godard…) ont modifié le paysage cinématographique, il faut attendre 1967 et cette Collectionneuse pour que le nom d’Eric Rohmer vienne s’ajouter à la tonitruante Nouvelle Vague. Le discret et patient cinéaste avance à pas feutrés et malgré plusieurs essais (courts, moyens et longs métrages), ce troisième volet des « Six contes moraux » (nom du cycle autour duquel sont réunis plusieurs films), l’impose aux yeux du public et de la critique. Tout y est : exploration et auscultation du sentiment amoureux, éloge de la parole, fascination pour le féminin… L’action se passe dans une maison près de Saint-Tropez où deux amis se sont retirés pour les vacances. L’arrivée inopinée d’une invitée va bouleverser leur séjour. Le film obtient l’Ours d’argent au Festival de Berlin.
MA NUIT CHEZ MAUD (1969)
Dans la foulée de sa solaire Collectionneuse peuplée de jeunes gens modernes, ce nouveau volet des contes moraux en noir et blanc autour de personnages sérieux qui dissertent sur la pensée de Blaise Pascal et la morale chrétienne, a de quoi surprendre. C’est que chez Rohmer la modernité n’est pas un accessoire clinquant qui se laisse appréhender facilement. Ma nuit chez Maud redéfinit pourtant les contours de la comédie romantique au cinéma et sous des atours « vintage », ce récit où la parole devient le moteur de l’action et ensorcèle les âmes prend le pouls de l’époque. Maud (Françoise Fabian) renvoie à l’homme hésitant (Jean-Louis Trintignant), sa liberté d’esprit et sa détermination. Le film dépasse le million d’entrées en France et figure sur la liste des Oscars.
PAULINE A LA PLAGE (1983)
Les années 80 seront marquées par un nouveau cycle « Comédies et proverbes ». Après La Femme de l’aviateur et Le Beau Mariage, voici venue Pauline à la plage. Ce film solaire prend pour appui une saillie de Chrétien de Troyes : « Qui trop parole, il se mesfait. » Un choix ironique pour Rohmer passé maître dans l’art du bavardage. Ce film se déroule le temps d’un été dans une petite station balnéaire où des hommes et des femmes se regardent, se séduisent, se désirent, se fâchent… Le tout observé par la jeune Pauline (Amanda Langlet) impliquée malgré elle dans ce tourbillon des sentiments. Rohmer retrouve cinq ans après l’épopée Perceval le Gallois, sa muse qu’il a largement contribué à révéler : Arielle Dombasle. Le film obtient l’Ours d’Argent à Berlin.
LES NUITS DE LA PLEINE LUNE (1984)
Dans la foulée de Pauline à la plage, voici Les Nuits de la pleine lune. Dans le cadre à priori froid d’une ville nouvelle (Lognes en Seine-et-Marne) Eric Rohmer passionné par « l’organisation de l’espace » au cinéma, va explorer avec sa caméra les évolutions de l’architecture de l’habitat. Ici Louise (Pascale Ogier) entend partager son temps entre le centre de Paris où elle peut sortir à loisir et l’appartement qu’elle partage avec son fiancé en banlieue. Une décision dont elle ne mesure pas toutes les conséquences. Au centre de ce film, sorte de manifeste de la jeunesse française de l’époque, la présence de Pascale Ogier qui a également contribué à la décoration, aux costumes et au choix de la musique (Elli & Jacno) donne un supplément d’âme à l’ensemble. L’actrice couronnée à la Mostra de Venise décédera quelques semaines seulement après la sortie du film, à l’âge de 25 ans. Au générique également Fabrice Luchini, grand habitué du cinéaste.
CONTE D’ETE (1996)
L’autre grand cycle rohmérien est celui des « Contes des quatre saisons », qui rythmera les années 90. Après le printemps et l’hiver, l’été, la saison des amours, sied parfaitement à la plume et à la caméra d’Eric Rohmer qui retrouve pour l’occasion Amanda Langlet découverte dans Pauline à la plage, 13 ans plus tôt. Ou comment le jeune Gaspard (Melvil Poupaud) en vacances à Dinard, va se retrouver au centre de ses propres indécisions amoureuses. Là encore, Eric Rohmer, 75 ans au moment du tournage, prouve qu’il reste le meilleur porte-voix de la jeunesse dont il parvient à saisir toute la profondeur d’esprit caché sous l’apparente légèreté des gestes et des petits drames de l’existence.
LES AMOURS D’ASTREE ET CELADON (2007)
Si le nom d’Eric Rohmer est largement associé au contemporain, le cinéaste fin lettré (il ambitionnait au départ de devenir écrivain) a transposé à l’écran des textes anciens. Ce sera d’abord La Marquise d’O d’après von Kleist en 1976 puis Perceval le Gallois de Chrétien de Troyes en 78. Deux films qui assument leur ancrage classique voire volontairement théâtral avec le second. En 2001, L’Anglaise et le Duc s’inspire des mémoires d’une aristocrate britannique durant La Révolution Française. Il immerge pour l’occasion ses protagonistes dans de véritables tableaux vivants. La carrière du cinéaste s’achève avec ces Amours d’Astrée et Céladon d’après Honoré d’Urfé, un récit du XVIIe siècle qui se déroule dans la France du Vème siècle. Ce récit interroge la pureté de l’amour entre un jeune bourgeois et une bergère. Eric Rohmer décède trois ans après la sortie de cet ultime film, à l’âge de 89 ans.