Respecter la vision de l’auteure
Le réalisateur et l’écrivaine se connaissent depuis 2008 : ils se sont rencontrés au Salon du Livre de Montréal. Enthousiaste à l’idée de travailler sur l’adaptation de Notre-Dame du Nil, Scholastique Mukasonga a participé de près au film en tant que consultante, en insistant particulièrement sur un aspect du tournage : sa localisation dans les lieux exacts de l’action, « dans le contexte même de la conception du livre », indique l’écrivaine. « Ce qui m’importait le plus est que le film soit tourné au Rwanda. Tout le monde était d’accord avec ça. »
Ecrire un scénario qui ne soit pas le roman
Atiq Rahimi avait reçu en 2008 le Prix Goncourt pour son roman Syngué Sabour - Pierre de patience. Conscient de la différence profonde entre papier et pellicule, il avait écrit l’adaptation avec le scénariste et écrivain Jean-Claude Carrière. « Un scénario de film n’est pas un roman », affirme de son côté Scholastique Mukasonga. « Il faut faire des choix et synthétiser au maximum. Réécrire le livre à l’écran aurait été aussi impossible que vain. Atiq a globalement respecté le ton du livre tout en y mettant sa propre personnalité de créateur. » Pour Notre-Dame du Nil, le cinéaste a travaillé le scénario non pas avec Scholastique Mukasonga mais avec Ramata Toulaye-Sy, qui a déjà coécrit Sibel (2019) de Guillaume Giovanetti et Çağla Zencirci, qui se déroule dans un village de Turquie où une jeune femme s’exprime dans une langue sifflée.
Refuser le réalisme pour trouver le cœur du livre
« Je ne sais pas reconstituer les réalités historiques et sociales par une narration réaliste et naturaliste. J’aime réinventer un monde fondé sur mes propres expériences et réflexions », explique Atiq Rahimi. Le défi était de trouver sa place dans le roman de Scholastique Mukasonga : « je ne parle pas de légitimité mais d’inspiration. Je ne voulais pas répéter ce que Scholastique a si bien écrit dans son livre. » La clef, selon le cinéaste, a été de partir « du fait historique précis pour créer un récit universel autour de la tragédie humaine. Car le cinéma, contrairement à la littérature, est plus fragile face à ce genre de récit ; il peut tomber facilement dans l’anecdotique. » Le réalisateur se défend d’avoir voulu faire un documentaire ou une œuvre historique à vocation véridique : « Il y a déjà eu des films très réussis et forts traitant du génocide rwandais de 1994. Mais ce qui m’intéressait dans le livre de Scholastique, c’était de remonter aux origines, afin de bien voir que cette opposition interethnique avait d’abord été conçue par les premiers colons allemands. Ce sont eux qui au XIXe siècle, avaient décidé de séparer farouchement les Rwandais. Avant, ce peuple se distinguait simplement par leurs classes sociales et leurs métiers ; et non guère par leurs origines. »
Etre plus littéraire que le livre
Le film est divisé en quatre « chapitres », nommés « L’innocence », « Le sacré », « Le sacrilège » et « Le sacrifice ». Le spectateur qui n’a pas lu le roman pensera qu’il s’agit d’une reprise littérale du texte, mais il n’en n’est rien : il s’agit d’une création d’Atiq Rahimi pour le film. « C’était une façon de me réapproprier les choses car je travaille depuis un certain temps autour de ces thèmes-là. Ces chapitres n’en sont pas au sens strict, ils ne viennent pas rompre la fluidité narrative », explique le cinéaste. « On pourrait d’ailleurs les supprimer mais j’y tenais, c’est important de nommer les choses. »
Notre-Dame du Nil, qui sort ce mercredi 5 février, a reçu l’Avance sur recettes après réalisation du CNC.