Vous avez une carrière prolifique en tant que comédien, dramaturge, metteur en scène… Pourquoi avoir eu cette envie de cinéma ?
Lorsque j’ai quitté le Festival d’Avignon [dont Olivier Py a été le directeur de 2013 à 2022, ndlr], ça a été un déchirement, mais que j’ai accepté, étant tenu à deux mandats non renouvelables. J’ai ensuite eu la chance d’être nommé au théâtre du Châtelet en 2023, qui est un théâtre musical, moi qui affectionne tout particulièrement l’opéra et les comédies musicales. Mais pendant le Covid, j’ai pu me rapprocher d’une autre passion : le cinéma. J’avais déjà réalisé un long métrage pour la télévision il y a vingt-cinq ans, Les Yeux fermés, puis un court métrage il y a dix ans. Entre-temps, j’ai écrit six ou sept scénarios qui n’ont pas été produits. J’ai persévéré malgré tout, et c’est durant cette période de pandémie que j’ai eu le temps d’écrire un nouveau scénario. J’avais quelques idées et c’est celle d’un film sur Molière qui l’a emporté : c’est une histoire proche de mon existence, qui correspondait bien au monde crépusculaire dans lequel j’étais.
Vous avez vous-même joué en 1994 dans Le Malade imaginaire mis en scène par Jean-Luc Lagarce. Cette expérience vous a-t-elle aidé à façonner votre vision ?
Absolument. J’ai fait cette tournée de plus de 100 dates avec un Lagarce mourant [le metteur en scène est décédé en 1995, ndlr], et je me suis toujours dit qu’il fallait qu’un jour je raconte cette histoire-là, celle d’une troupe et de son metteur en scène à l’agonie. Aujourd’hui j’ai pu la raconter, mais en remontant à la source : Molière.
En 1978, Ariane Mnouchkine retraçait l’existence du dramaturge sur plus de quatre heures. Avec Le Molière imaginaire, vous filmez au contraire ses dernières heures…
Alors qu’Ariane a filmé la jeunesse du théâtre du Soleil, moi je filme la fin d’une époque. C’est une sorte d’adieu à ma jeunesse : je me suis beaucoup plus identifié au Molière mourant qu’à la jeune troupe qui allait sur les routes. J’y rajoute aussi un élément de la vie de Molière qui a été peu commenté : son histoire d’amour avec le comédien Michel Baron, que j’avais découvert avec surprise dans des biographies et textes de l’époque.
Quelles sont les différences entre l’élaboration d’un scénario et l’écriture d’une pièce ?
Au cinéma, lorsque l’on écrit un film, on ne peut pas se contenter d’écrire des dialogues : il faut imaginer les images qui seront produites et favoriser tout ce qui ne concerne pas la parole. Au théâtre, c’est très lyrique et j’appréhende l’écriture comme une sorte de poème dialogué. Dans les deux cas, mon approche reste très narrative car je raconte une histoire, mais le procédé est différent. Par contre, en faisant un film en costumes comme Le Molière imaginaire, je me suis autorisé une langue proche de celle du théâtre, qui est plus haute que celle parlée habituellement au cinéma. Les films d’aujourd’hui s’efforcent de coller au langage quotidien, mais pas le mien. Et à vrai dire, je ne saurais même pas le faire !
Vous avez d’ailleurs fait appel à Bertrand de Roffignac à l’écriture, comédien qui incarne Michel Baron dans votre film…
J’avais déjà une première version du scénario mais je voulais rebondir, et c’est toujours intéressant que quelqu’un d’extérieur vienne poser son regard neuf sur votre œuvre. On a pu assouplir la langue, faire des recherches ensemble, se poser des questions sur les parcours des personnages, et continuer le mille-feuille pour avoir un film profond à l’arrivée.
Pourquoi avoir choisi le plan-séquence pour raconter cette histoire ?
Je ne voulais absolument pas faire du théâtre filmé, et c’est justement pour ça que j’ai choisi cette grammaire du plan-séquence qui ne peut exister qu’au cinéma. J’avais cet élément de mise en scène en tête dès le début de l’écriture. J’ai tout de suite su que ce serait l’opportunité de faire vivre aux spectateurs une sorte d’inéluctabilité. Il n’y a pas de coupure, pas d’échappatoire, on se sent comme dans un toboggan et on se dirige vers une fin que l’on connaît déjà : la mort de Molière.
Quels défis cela a-t-il induits lors du tournage ?
À cause du plan-séquence, il a fallu storyboarder tout le film. On a répété en tournant avec un téléphone portable dans la maquette du théâtre du Palais-Royal que mon décorateur avait confectionnée. Cela nous a permis d’imaginer les transitions entre les différents plans et de réfléchir à comment faire bouger la caméra à l’intérieur du décor. Les plans-séquences devaient être rattachés les uns aux autres afin que les « coutures » soient invisibles. Il a fallu préméditer le moindre mouvement et répéter la chorégraphie avec les acteurs pendant trois semaines dans ces décors qui reconstituent le théâtre. Par ailleurs, le film est éclairé à la bougie. Ce n’est plus vraiment un défi comme à l’époque de Barry Lyndon, les caméras étant maintenant très sensibles. C’est son association au plan-séquence qui a été compliqué : il fallait que tous les cadres soient couverts par la lumière. On consommait un millier de bougies par jour ! Mais la vibration qu’apporte la flamme est irremplaçable et a créé sur le tournage une ambiance vraiment singulière.
Et vous étiez entouré d’un beau casting…
J’ai mélangé allègrement des comédiens avec qui je n’avais jamais travaillé, comme Stacy Martin ou Laurent Lafitte, avec de vieux camarades. Ils viennent de tous les horizons, et ça forme une très belle troupe ! Le Molière imaginaire est un film choral, car le plan-séquence induit forcément du collectif. C’était une expérience très heureuse : on était entourés de décors et de costumes, et on a eu l’impression de vivre au XVIIe siècle pendant ces dix-sept jours de tournage.
Comment s’est déroulée la collaboration avec Atelier de Production ?
Les frères Mathieu et Thomas Verhaeghe m’ont donné une liberté immense. Qu’on aime Le Molière imaginaire ou pas, j’ai pu montrer exactement ce que je voulais et faire le film dont j’avais fondamentalement envie. Mais ce n’est pas une production au budget hollywoodien, donc il a fallu travailler d’arrache-pied !
Qu’est-ce que le cinéma vous a apporté de plus que le théâtre ?
Le cinéma est un objet qui reste, tandis que le théâtre est un moment de vie qui s’efface. Ce sont deux arts très éloignés l’un de l’autre. Il y a toujours une mélancolie chez les metteurs en scène de théâtre : celle que leurs œuvres disparaissent, ou qu’il n’en reste que quelques images peu représentatives. Il y a une volonté de laisser une trace beaucoup plus indélébile avec le cinéma. S’il m’est possible de continuer à en faire, j’en serais ravi !
Le Molière imaginaire
Réalisation : Olivier Py
Scénario : Olivier Py, Bertrand de Roffignac
Photographie : Luc Pagès
Son : François Waledisch, Thomas Desjonquière, Julien Gerber, Martial de Roffignac
Montage : Lise Beaulieu
Décors : Pierre-André Weitz
Costumes : Yvett Rotscheid
Production déléguée : Atelier de Production (Thomas Verhaeghe, Mathieu Verhaeghe)
Coproduction : 2L Productions, Memento Production
Distribution : Memento Distribution
Ventes internationales : Playtime
Sortie en salle : 14 février 2024
Soutien du CNC : Avance sur recettes après réalisation