Vous collaborez régulièrement ensemble, mais plus souvent au scénario qu’à la mise en scène. Pourquoi avoir choisi de coréaliser ce film ?
Christine Paillard : Cela fait effectivement dix-sept ans que l’on travaille ensemble. En 2007, nous avions coréalisé un documentaire, Cash, sur les gens de la rue, autour d’ateliers d’improvisation que Chad [Chenouga] animait et que j’avais filmés. Ensuite, nous avons collaboré sur De toutes mes forces (2016), où j’étais non seulement coscénariste mais également collaboratrice artistique. Nous n’étions déjà pas loin de la coréalisation ! Avec Pourquoi tu souris ?, nous avons décidé de prendre un chemin différent et de réaliser une comédie.
Chad Chenouga : Le projet s’est fait très naturellement. Nous ne nous sommes pas dit : « Et si nous faisions celui-ci ensemble ? » Nous l’avons fait, c’est tout ! Mais effectivement, ce n’est pas évident et c’est assez rare. D’autant plus que nous sommes un couple dans la vie. Et c’est peut-être aussi parce que nous sommes un couple que nous nous connaissons bien et que nous sommes sur la même longueur d’onde – même si, bien sûr, il y a parfois des différences de points de vue. Mais sur le plateau, nous faisons tout à deux.
Christine Paillard : Ce qui donne un supplément d’énergie.
Qu’est-ce qui de votre première coréalisation, Cash, perdure dans ce nouveau film ?
Christine Paillard : Je pense que Cash est la petite graine qui nous a donné l’idée de Pourquoi tu souris ?. Nous avions travaillé assez étroitement avec des personnes sans domicile fixe. À travers les improvisations que leur faisait faire Chad, elles ressentaient l’envie de parler d’elles, de leurs problèmes, mais en y ajoutant énormément d’humour. Nous ne nous attendions pas à rire autant. Le fait de traiter ce sujet sur le ton de la comédie vient de cette expérience.
Chad Chenouga : Il s’agissait de parcours de vie assez chaotiques, et pourtant, à chaque fois, dans leurs improvisations, elles fuyaient le misérabilisme et recherchaient le décalage humoristique. Rire ensemble crée du lien. C’était un atelier assez particulier. Je jouais à l’époque au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, et on nous avait proposé d’animer un atelier au centre d’accueil des soins hospitaliers de la ville. Personne ne voulait le faire, j’y suis allé. J’ai proposé à Christine de me rejoindre, elle était partante. Bien sûr, c’était parfois plombant, mais ce qu’on en retient, c’est la joie et l’humanité. Christine et moi préférons afficher une forme de positivité.
Christine Paillard : Le besoin de rire était frappant. Je suis tombée sur un texte de [Gilles] Deleuze qui dit que le pouvoir exige des corps tristes, qu’il en a besoin parce qu’ainsi il peut les dominer. La joie est résistance. En tant que puissance de vie, la joie nous pousse vers des endroits où la tristesse ne nous mènerait jamais. C’est une bonne manière d’expliquer notre envie de traiter des sujets graves avec de l’humour.
D’où le titre du film…
Christine Paillard : Oui, parce que le sourire, c’est une façon d’aborder la vie. Cela peut être une pudeur, mais aussi une volonté d’espérer malgré tout. Ce sourire, c’est celui du personnage de Wisi [Jean-Pascal Zadi], qui irrigue le film, et grâce auquel il va finir par dérider un peu son partenaire, Jérôme [Raphaël Quenard].
Chad Chenouga : Mais le sourire cache aussi des blessures. Dans la scène où il est saoul, Wisi raconte son passé d’enfant noir dans un village du sud de la France et le racisme qu’il y a subi. Le personnage joué par Raphaël Quenard exprime aussi une grande détresse dans son rapport à sa mère. Mais, comme dans le cinéma italien, nous avons voulu aborder cette gravité avec le décalage de la drôlerie.
Christine Paillard : J’ai été touchée par une réaction d’adolescents qui, après une projection, m’ont dit : « On a envie de rire mais on ne sait pas si on a le droit ou pas. » Pour nous, c’est important de pouvoir rire de tout du moment qu’il y a de la bienveillance derrière.
En plus des comédies italiennes que vous citez, Pourquoi tu souris ? s’inscrit dans la tradition des films français sur des duos de « galériens », comme Marche à l’ombre ou Les Apprentis. Étaient-ce des références que vous aviez en tête ?
Chad Chenouga : Absolument. Une époque formidable, également. Ou même, dans un registre un peu plus sombre, des films américains comme Macadam Cowboy ou L’Épouvantail. Nous venons de recevoir deux doubles prix d’interprétation à Aix-les-Bains et La Baule, pour Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard. Comme si on ne pouvait pas les dissocier ! C’est assez rare. Il faut dire que leur complicité transpire à l’écran.
Aviez-vous déjà Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard à l’esprit en écrivant votre scénario ?
Christine Paillard : Non. Nous avions déjà une version bien avancée du script quand nous avons rencontré Jean-Pascal. A priori, le rôle ne lui correspondait pas totalement, mais nous avons eu un coup de cœur. Nos humours correspondaient. Nous avons donc continué à écrire pour lui. Quant à Raphaël, il est arrivé dix jours avant le tournage. Chien de la casse n’était pas encore sorti, nous ne l’avions pas vu, nous ne le connaissions que par un court métrage et son rôle dans Coupez !. Quant à Emmanuelle [Devos], elle aussi est arrivée dix jours avant, pour remplacer une actrice malade. C’était assez chaotique mais les étoiles ont fini par s’aligner.
Comment fonctionne l’énergie sur le plateau entre Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard ?
Christine Paillard : Leur complicité est incroyable. Leur énergie et leur vitalité ont servi le film. Ils ont tous les deux la même appétence pour l’inattendu qui va donner de la vie à une scène. Même si le scénario était très écrit et qu’il fallait rester dans les clous, il y avait régulièrement des moments où l’on pouvait glaner des pépites.
Chad Chenouga : Des m&m’s comme ils disent. Ils « semaient des m&m’s » ! Aucun des deux ne pensait que l’autre allait lui voler la vedette. Ils jouaient ensemble. Et c’était la même chose avec Emmanuelle Devos.
Pourquoi tu souris ?
Photographie : Jacques Girault.
Montage : Heloïse Pelloquet.
Musique : Arthur Simonini.
Production : TS Productions.
Distribution : Ad Vitam.
Sortie le 3 juillet 2024