Qu’est-ce qui a motivé votre choix d’accepter la présidence de l’ACM ?
Prune Engler : Je connaissais bien la commission d’Aide aux cinémas du monde pour en avoir été la vice-présidente du 2e collège en 2015. À cette époque, Abderrahmane Sissako, qui présidait la commission, devait régulièrement s’absenter pour la préparation de son film, Black Tea. J’ai donc été présidente par intérim. J’assistais aux comités de lecture (il y en a plusieurs chaque année pour chaque collège) qui étaient suivis un mois plus tard d’une commission plénière. Quand le CNC m’a proposé de prendre la présidence de l’ACM en 2021, je n’ai pas été effrayée par ce travail. J’étais en terrain connu. La différence, c’est que la première fois, je n’exerçais que pour un seul collège. Or, la présidence concerne les trois collèges. C’est une grosse charge de travail que j’avais quelque peu minimisée !
Quelle charge cela représentait ?
Il y a environ une quarantaine de scénarios à lire pour le 1er collège (qui concerne les premiers et deuxièmes films), 35 pour le 2e (pour tous les autres films) et une quinzaine de films à visionner pour le 3e collège (qui concerne l’aide après réalisation), ce, quatre fois par an. Le président ou la présidente est la seule personne de la commission à lire tous les scénarios des deux collèges. Cela représente une grosse implication et une grande responsabilité, même si j’étais accompagnée pour chaque collège d’un vice-président et des membres de la commission. En cela, la réforme de l’ACM effective depuis janvier 2024 va permettre une meilleure répartition de la charge de travail des membres puisque désormais, il y a des binômes de co-présidents à la tête de trois commissions.
Quel était votre rôle en tant que présidente ?
Celui d’écouter les autres. Chacun a son opinion qui dépend de sa personnalité, de sa culture cinématographique et du rôle professionnel qu’il joue dans l’ensemble de la chaîne des métiers du cinéma. C’est ce qui rend l’exercice très intéressant. Chaque lecteur, chaque membre s’exprimait librement, le temps qu’il le souhaitait. Le travail de président est un travail de coordination des avis. Je ne me suis jamais permis d’imposer des choix. Parfois, certaines décisions étaient plus difficiles à prendre et donnaient lieu à des discussions prolongées et profondes sur l’intérêt des scénarios dont on débattait. Mais les décisions ont toujours été collectives.
Quels étaient vos critères pour retenir un projet ?
Cela dépendait s’il s’agissait par exemple de statuer lors des comités de lecture – qui correspond à la première partie de l’examen des scénarios – ou lors des commissions plénières. Lors des comités de lecture, c’est la qualité artistique des projets qui retenait notre attention. Une fois les scénarios sélectionnés envoyés en plénière, les membres de la commission portaient un regard plus précis sur les conditions de production des films, c’est-à-dire leur faisabilité. La manière dont le dossier était monté était bien souvent révélatrice de l’implication du producteur dans le projet. D’ailleurs, je me réjouis une fois encore de la réforme des aides de l’ACM. Désormais, les producteurs français auront la possibilité de défendre leur projet et de répondre aux questions que les membres des commissions se posent parfois. Une journée sera ainsi consacrée à l’audition des producteurs la veille de la plénière. Rappelons que l’un des rôles majeurs de l’ACM est de soutenir les producteurs français qui travaillent sur des coproductions étrangères.
La dernière commission de l’Aide aux cinémas du monde que vous avez présidée s’est déroulée le 17 janvier dernier. Vous nous racontez ?
Cette commission concernait le 2e collège et elle était emprunte d’une grande émotion puisque c’était la dernière fois que nous étions réunis tous ensemble. Au fil de ces deux années, nous avons appris à nous connaître assez bien. Vous savez, à travers les scénarios que l’on défend, c’est une part de nous-même que nous dévoilons. Cela révèle ce que nous attendons du cinéma, de la place qu’il occupe dans notre vie, de ce qu’on attend d’un film. Le fait d’avoir cet intérêt et cet engagement communs fait que nous nous sommes attachés les uns les autres. Par ailleurs, quelques jours plus tôt, une collaboratrice très importante de l’ACM, Béatrice Rodenbour, est décédée. Elle travaillait au CNC pour le premier collège. Je voudrais lui rendre hommage car elle a fait preuve d’un dévouement et d’une intelligence incroyables. Quand j’ai pris la présidence de l’ACM, j’ai bénéficié de ses conseils, de sa disponibilité. Elle était très attentive aux autres et avait une grande conscience professionnelle. Elle a beaucoup compté, tant pour moi que pour les autres. Cette dernière plénière a donc été doublement mélancolique.
Malgré cette atmosphère teintée de chagrin, comment avez-vous déterminé quels projets seraient soutenus ?
Douze projets ont été présentés au cours de cette commission – 12 films, comme toujours très différents les uns des autres et de grande qualité. Mais nous ne pouvions aider que 5 projets sur ces 12 films que nous avions donc choisi de « monter en plénière » selon l’expression consacrée. C’est un exercice toujours compliqué. À mon sens, l’un des éléments importants – et ce, pour chaque commission – était de trouver un équilibre par rapport à l’ensemble des films aidés dans les sessions précédentes. Par exemple, si deux films présentés en commission étaient de qualité égale et venaient du même pays, nous n’en retenions qu’un seul afin de ne pas donner l’impression de favoriser une région plutôt qu’une autre. De même, j’étais particulièrement attentive au travail des femmes cinéastes. Or, dans cette plénière, le hasard a fait que tous les films présentés étaient réalisés par des femmes ! Se pose alors la question de savoir si elles ont déjà reçu l’Aide aux cinémas du monde. Si tel est le cas, on essaie de soutenir plutôt quelqu’un qui n’a jamais eu l’ACM, par souci d’équité. Autant d’arguments raisonnables que nous prenions en compte, mais qui n’entravaient nullement la qualité première que nous retenions : l’enthousiasme provoqué par un projet !
Vous est-il arrivé de douter des décisions rendues ?
Il est vrai que lorsque l’enthousiasme pour un projet était collectif, la décision à prendre n’en était que plus simple ! Mais à l’issue de chaque commission, nous refaisions un tour de table en réexaminant les projets mis de côté. C’était une façon de nous assurer que nous n’avions pas écarté trop rapidement un projet au profit d’un autre film qui finalement, nous paraissait moins évident. L’Aide aux cinémas du monde doit être cohérente et juste pour tous les membres.
Quel regard portez-vous sur ces deux années passées au sein de l’ACM ?
Elles ont été extrêmement enrichissantes d’un point de vue humain et cinéphile. Par exemple, je trouvais très intéressant de restituer un film présenté en comité de lecture ou en plénière dans une œuvre et même dans un courant. Et j’ai beaucoup appris en écoutant les autres, tout en transmettant ma propre vision. D’ailleurs, tous les membres de l’ACM sont des passionnés et nous ressortions des commissions chaque fois galvanisés et exténués ! Tous ces moments étaient d’une grande intensité. Durant mes deux années de présidente, j’ai tout de même lu entre 800 et un millier de scénarios !
Quel projet vous a particulièrement marqué au cours de votre mandat ?
Je suis surtout fière de voir que les films que nous avons soutenus ont vécu de belles carrières dans des festivals internationaux comme Cannes ou Berlin. À la lecture des scénarios, on sait assez facilement ce qui peut intéresser les festivals. En tant que présidente, je veillais d’ailleurs à ne pas tomber dans cet écueil. Il est important de privilégier la singularité des projets. Mais pour répondre plus précisément à votre question, je citerais le travail de deux cinéastes d’animation : Jiří Barta et Bill Plympton. Le premier est un cinéaste tchèque spécialisé dans l’animation traditionnelle, formé à l’école des Arts et Métiers de Prague. Malgré sa formation assez classique, il fait preuve d’une grande originalité tant sur les plans plastique, narratif que technique. Le deuxième est un cinéaste américain indépendant qui fait de sublimes storyboards au stylo à bille. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, les artistes américains peuvent aussi avoir besoin du CNC, surtout quand il s’agit de cinéma indépendant car il y a très peu d’aide financière aux États-Unis. C’est là toute l’importance de l’ACM : répondre à des besoins extrêmement variés d’un pays à un autre. Et puis, le cinéma permet aussi de revoir la carte du monde, de constater que les préoccupations changent et d’aider à mieux comprendre les sociétés d’aujourd’hui.