Quand rencontrez-vous pour la première fois Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha ?
Étienne de Ricaud : Il y a une dizaine d’années, à Téhéran, alors qu’ils étaient en train de travailler sur un documentaire sur un homme d’affaires iranien excentrique qui voulait réconcilier l’Iran et les États-Unis ! Nous avons tout de suite sympathisé. Deux ans plus tard, le scénario de leur premier long métrage, Le Pardon est arrivé sur mon bureau. Sorti en salles en 2021, le film racontait l’histoire d’une erreur judiciaire et d’une femme dont la vie est tragiquement bouleversée quand son mari est condamné à mort et qu’elle se retrouve seule avec leur fille à élever. Une œuvre déjà engagée, et par l’intime, comme Mon gâteau préféré. Ce fut une superbe aventure. Le film a été sélectionné en compétition à Berlin avant de sortir dans de nombreux pays à travers le monde. L’envie de repartir ensemble sur un nouveau projet a été immédiate.
Cet hymne à l’émancipation féminine leur a cependant valu d’être assignés en justice en Iran. Avaient-ils déjà connu des difficultés au moment du tournage ?
Il n’y avait pas eu de gros problèmes sur le tournage. Tout a vraiment démarré après la présentation du film à Berlin. Ce qui a vraiment dérangé dans Le Pardon, c’est qu’il s’agissait d’un des premiers films mettant en scène un homme du régime qui, soudain, n’y croit plus. À partir de là, tout est devenu très compliqué pour Maryam et Behtash. Ils ont eu à subir un procès qui a duré très longtemps. Ils ont fini par s’en sortir. Mais aujourd’hui, ils vivent dans l’attente d’un nouveau procès pour Mon gâteau préféré. C’est sans fin !
Comment est né Mon gâteau préféré ?
Après avoir été acquittés de leur procès initial, Maryam et Behtash ont eu de nouveau la possibilité de voyager. Nous nous sommes ainsi retrouvés à Berlin qui, cette année-là, en 2021 organisait un « festival d’été » puisqu’à cause de la pandémie de Covid, il n’avait pas pu avoir lieu en février. C’est là où nous avons commencé à échanger sur leur nouveau long métrage. Nous nous sommes tout de suite dit que nous n’allions pas partir sur un film aussi sérieux que le précédent, qu’il fallait trouver une autre approche et essayer d’être un peu plus léger, même si le fond resterait toujours aussi grave. D’où cette idée d’une apparente comédie romantique autour d’une femme d’un certain âge que nous montrerions aussi avec ses amies. Un film sur la rencontre entre une femme qui ne veut pas vivre seule et un homme qui ne veut pas mourir seul. Un sujet universel que Maryam et Behtash traitent en montrant la vie telle qu’elle est en Iran, de façon quasi documentaire. Ce contraste entre la chape de plomb qui existe à l’extérieur – dans les rues comme les couloirs de votre immeuble où votre voisin peut à tout moment vous dénoncer – et cet espace de liberté que constitue l’intérieur de votre appartement. Maryam et Behtash sont ensuite rentrés en Iran pour commencer à écrire et nos échanges ont dès lors été presque quotidiens.
Quelles sont les difficultés à produire à distance, sans pouvoir se rendre sur les lieux de tournage ?
Ce qui importe dans ce genre de situation contrainte, c’est d’avoir appris à se connaître en amont. Comme nous avons eu la chance de le faire en Iran, à Berlin ou à Paris, où Maryam et Behtash sont venus à plusieurs reprises. Cela a créé entre nous cette confiance absolument indispensable quand nous nous engageons dans un tournage aussi compliqué où, très concrètement, nous envoyons beaucoup d’argent dans un pays extrêmement instable. Le tournage de Mon gâteau préféré a eu lieu pendant les grandes manifestations dénonçant les violences exercées contre les femmes par les autorités, après la mort de Mahsa Amini [en septembre 2022, NDLR].
Comment se construit le financement du film ?
Le point de départ a été le Marché de la coproduction à Berlin en 2022, où le film a remporté le prix Eurimages au développement. Le scénario était alors terminé et nous avons tout de suite agrégé deux producteurs européens : un Suédois et un Allemand, suivi du producteur iranien Gholamreza Moosavi, déjà présent sur Le Pardon. C’est ensemble que nous avons pu monter le financement du film. Pour la partie suédoise, le fait que Maryam soit à la fois suédoise et iranienne a facilité les choses. Pour la partie allemande, obtenir ce prix à Berlin a immédiatement suscité l’intérêt de la chaîne ZDF. En France, nous avons pu compter sur l’Aide aux cinémas du monde, dispositif essentiel pour le financement de ce genre de film, et sur le fonds de soutien international de la région Île-de-France, ainsi que sur l’apport de notre vendeur international Totem Films avec un minimum garanti conséquent. Tous ces partenaires – publics comme privés – ont parfaitement compris la situation et ont vraiment été avec nous jusqu’au bout.
Le tournage s’est-il déroulé sous haute surveillance ?
Nous avons voulu prendre toutes les précautions possibles. Voilà pourquoi il s’est étalé sur une durée extrêmement longue en équipe réduite. Le fait qu’une grande partie du tournage ait eu lieu en intérieur a facilité le travail. Mais les scènes d’extérieur furent beaucoup plus délicates à tourner. Nous avons louvoyé pour les autorisations. Nous avons pu nous appuyer sur notre producteur iranien pour toute la production exécutive. Sachant que lui aussi est désormais interdit de sortie du territoire et en attente de son procès. Car les problèmes ont surgi pendant le montage.
Pour quelle raison ?
Le régime a eu vent du film et ils ont opéré un raid chez le monteur d’images où ils ont confisqué les rushes. Heureusement, nous en avions une copie en France. Mais ce jour-là a marqué le début des ennuis.
Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha avaient-ils commencé à monter pendant le tournage ?
Oui et ils avaient fait un premier ours très rapidement pour que nous puissions démarrer la discussion tous ensemble. Grâce à cela, nous avions heureusement pu effectuer une première partie de la postproduction en France, en leur présence. Mais après le raid, ils n’ont plus été autorisés à sortir d’Iran et nous avons donc dû finir la postproduction à distance. Ce qui n’est jamais simple. D’autant plus quand il s’agit, comme ici, d’un film d’une grande simplicité tout en étant constitué d’énormément de plans-séquences. Le montage s’est étalé sur une bonne année. C’est la phase qui a pris le plus de temps.
À quel moment votre distributeur Arizona est-il entré dans la boucle ?
C’est Totem Films qui s’est chargé de vendre le film aux distributeurs de chaque pays. Arizona Distribution a vu et adoré le film avant sa projection à Berlin. Ils effectuent un travail formidable depuis la sélection du film à la Berlinale, il y a un an, où les réalisateurs n’avaient pas pu venir puisqu’ils étaient déjà assignés à résidence. Aujourd’hui, j’accompagne le film comme je peux, aidé d’intervenants spécialisés en cinéma iranien. Nous sommes les porte-parole de leurs déclarations.
Les cinéastes travaillent-ils déjà sur un nouveau film ?
Ils sont actuellement trop empêtrés dans leurs soucis judiciaires avec des audiences à répétition, des interrogatoires qui n’en finissent pas… Ils ont évidemment des projets pour l’avenir, mais pour l’instant ils n’en parlent pas.
MON GÂTEAU PRÉFÉRÉ
Réalisation et scénario : Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha
Production : Caractères Productions
Distribution : Arizona Distribution
Ventes internationales : Totem Films
Sortie le 5 février 2025
Soutien sélectif du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation