Pourquoi avoir choisi de mettre en lumière cette année les relations entre la science et le pouvoir ?
La première raison c'est qu'il y a de la matière ! (rires). Le fait qu'il y ait de la matière donne à réfléchir. De nos jours, les couloirs de la Maison Blanche sont par exemple encombrés de créationnistes, de lobbys qui remettent en question énormément de choses scientifiquement acquises. Il nous semblait donc intéressant de nous pencher sur la question. L’histoire est assez riche de collusions ou de rapports très compliqués entre les différents pouvoirs politiques et scientifiques. Je pense notamment à l’instrumentalisation de la science par certains politiques, à la remise en question de certains dogmes par les scientifiques… On se rend compte quand on creuse un peu, que les rapports conflictuels entre la science et le pouvoir sont constants. Tous les lobbys qui ont fait en sorte que la cigarette paraisse bien pour la santé, sont par exemple allés sur le terrain des scientifiques en créant des revues, des faux instituts de recherche pour produire des contre-vérités sous couvert d'études scientifiques.
Votre festival est notamment tourné vers le jeune public. Avec cette thématique, vous souhaitez les sensibiliser à l’importance de préserver la science ?
Bien sûr. On souhaite également sensibiliser à l'importance de développer un esprit critique qui est capital, notamment pour faire face aux fake news très présentes sur les réseaux sociaux. Je pense que l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche met tellement les choses en évidence que ce sujet-là devient non seulement pertinent mais urgent à traiter. On espère que le festival aura un rôle d'alerte pour le public. Le pouvoir n'est pas que politique. Il est aussi sociétal, religieux, économique - l’aspect religieux est d’ailleurs très fort avec les fondamentalistes de toutes religions qui ont une vision du monde altérée par rapport à ce que la science nous raconte. C'est d’ailleurs pour ça que nous n’avons pas choisi la thématique « science et politique » qui était presque réductrice… On a fait une sélection large, pour voir tous les volets qui pouvaient lier science et pouvoir. Ça va de Mai 68, la science s'affiche (de Guillaume Darras, Cédric Piktoroff et Baudouin Koenig) qui revient sur la remise en question, à l’époque, des pouvoirs des unités de recherche, à Prédire les crimes (de Monika Hielscher et Matthias Heeder) sur les logiciels permettant de prévenir les crimes et délits.
La science est aujourd’hui régulièrement remise en question par les fake news et les théories du complot qui influencent certaines politiques. C’est un danger à combattre, comme le fait Bill Nye dont on suit l’engagement dans le film Bill Nye : Science Guy, présenté au festival ?
Il est indéniable que la croyance bafoue la science et c’est extrêmement dangereux. Bill Nye va voir les gens qui sont croyants pour discuter avec eux. Ce qui est intéressant dans son discours, c'est qu'il essaie de les battre sur leur propre terrain. Pour lui, les créationnistes et les personnes qui croient aux fake news ne sont pas Satan. Par l'éducation, la science et le dialogue, on peut démonter les mécanismes de leur prophétie. A chaque fois qu'il y a un débat, il provoque un duel rhétorique. Il faut avoir du courage pour se frotter à ces gens-là. Je ne sais pas quelle est l'efficacité de son action, mais on lui doit tous une fière chandelle…
Si la science influence le pouvoir, elle peut également aider à le comprendre comme le montre Le Pouvoir nuit-il gravement au cerveau ? d’Hélène Fresnel et Hélène Risser sur des recherches en psychologie et neurosciences autour de l’influence du pouvoir sur les comportements...
Ce film montre comment le pouvoir altère le jugement. C'est une étude sur les trois précédents présidents, qui traite de manière ethnologique leur comportement à partir du moment où ils arrivent à l'Elysée. C'est traité sur le mode scientifique et humoristique. Il y a un grand parallèle avec les singes. A partir du moment où le mâle dominant est mis en danger par d'autres, il ne peut plus s'occuper que de ça et pas du reste. C'est assez passionnant. Dans Géants de science de Jérôme Blumberg, on découvre l'histoire de 4 physiciens français, précurseurs de la recherche atomique. Dans une séquence, je crois que l’on voit l'un d’entre eux dire à Charles de Gaulle : « Vous devriez absolument faire en sorte qu'on ne néglige pas l'étude du nucléaire en France ». De là est née toute la politique qui a amené les centrales nucléaires en France pour que le pays soit indépendant énergétiquement face à la montée du prix du pétrole. Charles de Gaulle a favorisé les recherches qui sont arrivées à des solutions. Et ces solutions ont été mises en avant avec tout le parc de réacteurs nucléaires mis en place. Tout est parti de trois mots échangés dans un couloir entre un scientifique et Charles de Gaulle. Une aussi petite chose à cet endroit-là du pouvoir, ça a des conséquences énormes au niveau du pays. C'est passionnant à observer et ça fait frémir.
Pariscience 2018