Comment vous est venue l’idée de créer votre société de production lancée en 2011 ?
Nidia Santiago : Nous avons toutes deux eu des expériences en production. Je venais de travailler pour Polaris Film Production & Finance où j’avais produit un premier film d’animation. Ce qui m’avait beaucoup plu car cet univers est vraiment différent de la production des films en prise de vues réelles. En lançant notre société, nous avons instinctivement décidé de travailler dans l’animation. Nous avons produit un premier projet - Chulyen, histoire de corbeau de Cerise Lopez et Agnès Patron (2015) – dont nous sommes vraiment tombées amoureuses. Les réalisatrices nous ont d’ailleurs déposé leur dossier dans notre casier du Festival de Clermont-Ferrand. Nous ne l’avons vu que le dernier jour de notre présence sur place. Ce dossier parlait tellement bien de ce qu’allait devenir le film que nous les avons appelées. C’est vraiment à partir de ce projet que nous avons défini la ligne éditoriale de notre structure.
Edwina Liard : J’ai travaillé deux ans pour Les films du Bélier et je suis ensuite partie vivre en Espagne où j’ai officié pour un festival de moyens métrages. Le rapport avec le public est différent dans un tel événement. Je ne pensais pas forcément retourner vers la production mais Nidia a été un moteur dans ma décision. Avec Ikki Films, lancé au moment où je rentrais d’Espagne, nous voulions choisir les projets à accompagner et produire comme nous avions envie de le faire.
Comment choisissez-vous justement ces projets ?
N.S. : Par coups de cœur pour des projets ou les personnes qui les présentent. Notre manière de travailler est très instinctive. Parfois, il suffit d’une image, d’un dessin ou d’un petit synopsis pour nous donner envie de le développer. La manière dont le réalisateur ou l’auteur s’exprime et la passion qu’il véhicule entrent aussi en compte. Nous sentons rapidement si nous sommes sur la même longueur d’ondes.
E.L. : Il est important pour nous d’avoir la même vision du film que son auteur, de partager les mêmes sentiments à sa lecture. Si nous voulons aller dans un sens et lui dans un autre, ça ne fonctionnera pas. Développer un projet, particulièrement en animation, est un travail de longue haleine. Il est donc essentiel d’avoir un bon ressenti avec le porteur du projet.
Vous produisez essentiellement des films d’animation. Pourquoi ?
E.L. : C’est un moyen d’expression plus libre.
N.S. : Les histoires racontées en animation permettent plus de liberté et ont moins de contraintes que les films en prise de vues réelles. Il est possible de partir dans des mondes complètement fous en animation. Cette dernière demande de travailler sur des périodes plus longues avec les auteurs, les liens tissés avec eux sont donc plus forts. La temporalité peut être difficile pour la production car il faut tenir en trésorerie, mais en termes humains nous prenons vraiment le temps de voir l’œuvre se créer.
E.L. : Nous travaillons l’animatique en amont car il est impossible de se lancer sans cette étape avec le budget que représente l’animation. Il y a donc un travail sur l’image et les mots à faire dès le départ, ce qui est très agréable. Pour la narration, les auteurs ne se mettent pas de barrière car il y en a beaucoup moins que pour une production en prise de vues réelles. La liberté est donc incroyable.
Envisagez-vous de faire la bascule du court au long métrage ?
E.L. : Nous avons envie de faire les deux.
N.S. : Le court métrage laisse la liberté de pouvoir vraiment soutenir des œuvres singulières, ce qui est plus compliqué à faire avec les longs métrages. Mais nous commençons à en produire, notamment Sick, Sick, Sick d’Alice Furtado (2019) présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2019. Nous en avons deux autres en projet : Les Autonautes de la cosmoroute de Leslie Menahem et Olivier Gondry (le film est en fin de développement et va passer au financement) ainsi que notre premier long d’animation – et premier film de son réalisateur -, Métaphysique des tubes de Liane-Cho Han coproduit avec Maybe Movies.
E.L. : Nous trouvons intéressant d’aller vers d’autres narrations, d’autres formats et d’autres défis en termes de production. Nous avons d’ailleurs aussi en développement une série d’animation. Nous savions dès le début d’Ikki Films que nous irions vers les projets qui nous plairaient et que nous arriverions à produire tout ce que nous avions envie de produire parce que…
N.S. : Parce que nous sommes des passionnées ! (rires)
E.L. : Et il en faut de la passion pour faire ce métier.
N.S. : Voir les œuvres vivre, être vues et reconnues dans les festivals, et voir nos réalisateurs grandir est ce qui nous fait tenir. Certains sont passés à la série après avoir fait leur premier film avec nous. C’est agréable de dire que le court métrage n’est pas qu’un tremplin et que leur travail est considéré.
Ikki Films a notamment produit Negative Space de Max Porter et Ru Kuwahata (2017) nommé à l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2018. Comment est née cette collaboration ?
N.S. : Nous avons rencontré la réalisatrice Ru Kuwahata au Festival de Clermont-Ferrand 2015 (c’est vraiment un lieu de rencontres pour nous !) où elle était venue présenter son projet à la Maison des Scénaristes. Edwina avait prévu de prendre rendez-vous avec elle mais notre première rencontre s’est faite par hasard. Elle est venue assister à une séance de pitchs où nous présentions Lupus de Carlos Gomez Salamanca (2016) et je l’ai aidée lorsque son café s’est renversé sur elle. Je crois qu’elle a beaucoup aimé ce premier contact (rires).
E.L. : Max Porter et Ru Kuwahata avaient aussi envie d’être produits en France après avoir travaillé aux Etats-Unis pour leur précédent film. Ils voulaient avoir cette liberté éditoriale plus grande en étant accompagnés et financés ici.
N.S. : Il est effectivement plus difficile là-bas de produire un film entièrement en stop-motion. Ils l’avaient déjà fait une fois mais pour ce nouveau projet, ils avaient besoin d’un budget plus important et d’une équipe de techniciens confirmés.
Le système et les professionnels français étaient donc plus intéressants pour eux ?
E.L. : Nous avons produit des réalisateurs venus de Colombie, du Danemark, de Slovénie, d’Afrique du Sud… Il n’y a pas de barrière de nationalité en France. Pour les auteurs, notre système et la possibilité de travailler avec des équipes françaises, c’est une richesse incroyable.
N.S. : Les équipes travaillant sur nos productions sont françaises, ce sont les réalisateurs qui viennent ici et qui s’adaptent à la manière de faire en France. Mais c’est un vrai plaisir pour eux de collaborer avec des animateurs français qui disposent de très bonnes formations.
Quel a été l’impact pour vous de la pandémie de la Covid-19 sur le monde du court métrage ?
E.L. : Avec l’animation, nous avons pu continuer à travailler à distance sur les projets en cours même si nous avons pris du retard. Ce n’est pas la même chose pour un réalisateur d’être avec son équipe et que chacun travaille de son côté. La pandémie a également bousculé la diffusion des films. Les réalisateurs qui travaillent depuis des années sur des projets n’ont pas pu les accompagner en festivals car ceux maintenus se tiennent majoritairement en ligne. Aller à la rencontre du public nourrit l’auteur. Les films voyagent également beaucoup grâce aux organismes de régions tels que Ciclic (l’agence régionale du Centre-Val de Loire pour le livre, l’image et la culture numérique) qui organisent des rencontres très précieuses avec le public. Ce qu’on ne peut plus faire.
N.S. : Nous avons eu la chance de ne travailler que sur des films en 2D et pas en stop motion ce qui nous a permis de continuer les productions en cours. Il y a eu évidemment des dépassements de budgets. Quant à la diffusion, c’est déjà compliqué de faire voir nos films ailleurs que dans des festivals… Les quelques fenêtres de diffusion que nous avions – comme les projections organisées par L’Agence du court métrage – sont fermées et nous ne savons pas jusqu’à quand. Moutons, loup et tasse de thé... de Marion Lacourt a pu sortir en salles cet automne dans un programme de courts métrages distribué par Les Films du Préau mais sa carrière au cinéma s’est arrêtée. La situation est difficile pour les distributeurs de courts métrages qui comptent sur une exploitation dans la durée. Il y a des répercussions qui se verront aussi à long terme.
E.L. : La distribution en festivals n’a pas été facile non plus. Chaque événement avait son dispositif et sa plateforme. Nos films sont en général achetés ou préachetés par des diffuseurs, il y avait donc des chaînes de droits et des fenêtres de diffusion. C’était un peu la jungle…
N.S. : En particulier à l’étranger où ils n’ont pas de chaînes spécialisées comme en France. Ils se disent donc que ce n’est pas un problème de mettre en ligne un film et de le rendre accessible dans le monde entier alors que pour nous ce n’est pas toujours possible pour des questions de droits. Nous avons donc dû refuser certains événements car ils ne voulaient pas que les films soient géobloqués.
Ikki Films est présent au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand qui se tient en ligne cette année. Que représente cet événement pour vous ?
N.S. : Pour nous ainsi que de nombreux autres producteurs, c’est un événement important à ne pas rater : c’est l’un des principaux festivals de courts métrages au monde. Des diffuseurs du monde entier (plateformes, chaînes de télévision) sont présents et viennent faire des achats.
E.L. : Le côté professionnel permet de tous nous retrouver mais il y a également un volet public assez impressionnant avec des spectateurs très fidèles que l’on prend plaisir à retrouver chaque année.
N.S. : Pour notre « carte blanche », nous avons choisi huit films qui nous ont touchées à un moment précis de nos vies ou de la vie d’Ikki Films.
E.L. : Nous pouvons les voir et les revoir sans fin et nous nous disons à chaque fois que c’est ce genre de projets que nous voulons produire. Sans y prêter attention, nous avons sélectionné pas mal de premiers films ou de réalisations étudiantes.