Comment est née cette exposition ?
À la mort de notre mère en mars 2019, Frédéric Bonnaud, le directeur de la Cinémathèque française, nous a contactés, mon frère Mathieu [Demy] et moi, pour imaginer une exposition autour de son œuvre. Cela nous a semblé beaucoup trop tôt. Nous avions besoin de temps notamment pour remettre de l’ordre dans sa maison de la rue Daguerre qu’elle habitait depuis 1951. Nous avons commencé à tout ranger, classer et nous avons trouvé des archives exceptionnelles. Ma mère avait la manie de tout conserver dans des boîtes… Nous avons donc commencé à y réfléchir. Florence Tissot, la commissaire de l’exposition Viva Varda ! nous a ensuite aidés à concrétiser le projet et à concevoir le meilleur parcours possible pour voyager au cœur de cette œuvre plurielle.
En quoi était-il particulièrement pertinent d’exposer l’œuvre d’Agnès Varda ?
J’évoquais à l’instant les nombreuses archives qu’elle n’a cessé d’accumuler. Tout cela dessine de manière tangible un parcours, une trajectoire. Agnès Varda n’était pas seulement une cinéaste. Elle a d’abord travaillé comme photographe, s’est intéressée à l’art contemporain... Cette pluralité des supports, il fallait la transmettre aux jeunes générations.
Comment avez-vous déterminé le parcours de l’exposition ?
C’est un choix forcément subjectif, celui de Florence Tissot et moi. La question était de savoir ce qui pouvait intéresser les visiteurs. Il y a donc différentes étapes autour de son travail purement visuel comme la photographie et le cinéma. Il est aussi question de ses combats, ses voyages, sa famille, ses proches, ses amitiés, ses amours… Il y a un côté puzzle.
Un puzzle très coloré…
J’espère que l’on a réussi à transmettre cette vitalité ! Agnès était libre, curieuse, et véhiculait une joie de vivre. Le titre de l’exposition, Viva Varda ! traduit cette énergie.
Vous évoquiez à l’instant « la jeune génération ». Comment expliquez-vous que celle-ci soit si curieuse du travail de votre mère ?
Il y a d’abord la longévité exceptionnelle de son œuvre qui s’étend sur plus de soixante ans… Elle a ainsi traversé plusieurs générations et essayé à chaque fois d’être synchrone avec son temps. Son œuvre témoigne d’une grande indépendance d’esprit. Agnès semblait dire à celles et ceux qui découvraient ses films : « Allez-y, lancez-vous… » Et même si derrière chacun de ses projets, il y avait beaucoup de travail, elle tenait à cette idée de la simplicité du geste. Chez elle, tout semblait naturel. De plus, Agnès s’est toujours intéressée aux anonymes et ne mettait aucune distance entre elle et les gens qui venaient la voir. Cette proximité avec une artiste est finalement assez rare. C’était aussi une globe-trotteuse qui a parcouru le monde entier pour accompagner son œuvre, échanger avec le public… Enfin, n’oublions pas de citer ses différents combats et notamment son féminisme très actif qui parle à une jeune génération reprenant à bras-le-corps ces questions.
Il y avait aussi ce personnage qu’elle s’était créé…
Lorsque Christophe Vallaux a imaginé représenter ma mère sous la forme d’une silhouette dessinée, personne ne se doutait que celle-ci deviendrait iconique un peu partout dans le monde. Son film-portrait Les Plages d’Agnès, en 2008, où cette silhouette apparaissait sur l’affiche, a été un tournant. Ma mère avait alors déjà 80 ans, on la voyait continuer d’expérimenter des choses, s’amuser avec les matières, les formes… C’est à ce moment-là qu’elle s’est fait cette coiffure si reconnaissable. Elle ne voulait pas passer pour la vieille dame grincheuse qui répéterait sans cesse : « C’était mieux avant… » Non, elle était constamment dans le présent, curieuse de tout ce qui se passait autour d’elle. Partout, tout le temps. On en revient à votre précédente question, cette énergie-là était communicative.
Agnès Varda parlait à la première personne, faisant notamment de sa maison de la rue Daguerre un lieu caractéristique de son œuvre. Quel lien entretenait-elle avec cet endroit ?
La rue Daguerre [située dans le 14e arrondissement de Paris – ndlr] n’était pas qu’un lieu de vie. C’était aussi son outil de travail, elle y avait son atelier, ses bureaux de production… De la cuisine où elle faisait une ratatouille jusqu’à la salle de montage, il n’y avait que quelques pas. La cour de la rue Daguerre était un espace où elle se montrait, se faisait prendre en photo. Dans les années 1960, elle donnait même des entretiens dans sa chambre… Ce mélange entre la sphère a priori intime et son travail était une façon de dire que quand on est une femme, contrairement à un homme, il faut pouvoir élever ses enfants, cuisiner et en même temps travailler. Il y avait clairement une revendication politique derrière.
Elle restait toutefois discrète sur sa vie intime…
Sa vie privée est bien sûr évoquée dans l’exposition sans en devenir un sujet pour autant. Nous disposons finalement de très peu de documentation à ce propos. Mathieu et moi avons nos souvenirs, il faut que nous les écrivions. Agnès estimait, par exemple, que faire des photos restait une activité professionnelle. Elle n’a donc pas spécialement documenté sa vie de famille. Il existe ainsi très peu de clichés de vacances comme dans la plupart des familles.
Nombre de ses films, signés à différents moments de sa carrière, sont devenus des marqueurs d’une époque. Comment expliquez-vous cet intérêt du public au fil des générations ?
Pour les moins de 30 ans, la porte d’entrée à son cinéma a été Les Glaneurs et la Glaneuse en 2000. Ma mère avait alors plus ou moins décidé d’arrêter la fiction. Ce film rendait compte de la précarité mais aussi des gâchis de nourriture dans la société. Des thèmes malheureusement toujours très actuels. Avant cela, il y avait eu la génération Sans toit ni loi dans les années 1980, et encore avant, celle de Cléo de 5 à 7… Voilà pour les plus emblématiques, mais l’intérêt suscité par son œuvre tient aussi à des films a priori plus confidentiels comme Black Panthers en 1968, sur les mouvements des activistes afro-américains, qui a aujourd’hui beaucoup de succès. Enfin, d’autres spectateurs me disent avoir découvert le travail de ma mère via un court métrage disponible sur YouTube.
Son œuvre est aujourd’hui étudiée dans les écoles…
… de cinéma et d’art de manière générale ! Certains de ses films sont également au programme du baccalauréat ou de l’agrégation. D’autres [comme Les Glaneurs et la Glaneuse – ndlr] ont intégré le dispositif École et cinéma, l’un des programmes d’éducation aux images du CNC, ce qui participe également à cette transmission. C’est fondamental.
De son vivant, évoquait-elle le devenir de son œuvre ?
Non, car elle connaissait le savoir-faire de l’équipe de ciné-tamaris [la société de production d’Agnès Varda – ndlr]. Nous avions déjà travaillé sur l’œuvre de Jacques Demy. Elle était donc soulagée à ce niveau. C’est d’ailleurs pourquoi elle a pu continuer à travailler jusqu’à la fin de ses jours sans se préoccuper de ce qui se passerait après. Agnès Varda était une artiste, elle était dans l’instant. C’est à nous, ses proches et ses enfants, d’assurer cette pérennité. Mais aussi, aux spectateurs…
Exposition Viva Varda !
Produite et réalisée par la Cinémathèque française en collaboration avec ciné-tamaris
Avec l’aimable autorisation de Rosalie Varda et Mathieu Demy
La Cinémathèque française bénéficie du soutien du CNC
Plus d’informations sur l’exposition : https://www.cinematheque.fr/exposition.html