Guillaume Nicloux nous expliquait qu’il aimait se laisser aller à ses intuitions, se laisser guider par ses instincts. Ne pas rationnaliser, ne rien présupposer. On imagine que pour une productrice, ce genre de réalisateur doit être difficile à gérer…
Je vous arrête tout de suite : je ne « gère » pas les réalisateurs. Le mot gérer est un mot que je n’aime pas ou en tout cas qui ne peut pas qualifier la relation que j’ai avec eux. Il induit un rapport d’autorité voire quasi conflictuel. Je préfère dire que j’accompagne les cinéastes, je les aide, je les soutiens. Mais je ne les gère pas. En tout cas, c’est comme ça que je vois mon travail et que je produis des films.
Et voyez-vous un point commun à tous les films que vous avez produit ?
Si on regarde tous ces films, j’ai l’impression que ce qui les rapproche tous c’est la relation que je peux avoir avec le réalisateur aux commandes. Elle est très différente selon les cinéastes. Mais c’est évidemment affectif, même s’il ne s'agit pas de fusion… ça, je l’ai eu dans une autre vie. C’est un lien précieux, qui se construit au fil des années et qui parfois précède la vraie rencontre professionnelle. Par exemple, je connaissais Guillaume (Nicloux, ndlr) depuis longtemps et on a fini par se lancer ensemble sur Holiday, une comédie enlevée, tournée rapidement, juste avant La Religieuse. Mais ce lien, encore faut-il le consolider. Quand les réalisateurs restent, vous accompagnent, c'est formidable parce qu’on a l’impression d’avancer ensemble. Je ne parle pas seulement des succès ou des échecs qui peuvent donner envie de partir voir ailleurs… Je parle d’une relation au long cours. Qui permet de mieux se connaître, de construire un lien plus fort.
C’est le cas avec Guillaume Nicloux ?
Oui. Prenez l’histoire des Confins du monde. C’est une idée de sujet qu’on a, quasiment en même temps, son chef décorateur et moi, et qui nous paraît coller avec les obsessions et l’univers de Guillaume. Quand on lui parle d’Indochine, de ce soldat perdu dans un pays qu’il ne connaît pas et qui se fait happer par une civilisation au point de devenir comme ses ennemis, on voit tout de suite que ça l’intéresse et que ça peut marcher. Et il fonce. On se connaît depuis tellement d’années avec Guillaume, que parfois, on n’a plus besoin de se parler pour savoir ce que l’on pense… Et ce genre de relations est magique.
C’est ça votre moteur ?
Oui. Avec les défis, et le goût des rencontres avec des artistes pour qui faire un film est une nécessité impérieuse, un truc qui vient des tripes.
C’est difficile à faire un film de guerre, sur l’Indochine, dans le contexte actuel du cinéma français ?
La difficulté n’était pas le tournage ou le casting, c’était le financement. Trouver cinq millions d’euros pour lancer un film comme ça, c’est titanesque ! D’ailleurs, pour l’anecdote, on n’en a trouvé que quatre. Et on a dû faire des coupes pendant le tournage. Il y avait par exemple une scène de massacre qui devait ouvrir le film. Nicloux réussit à ne pas la montrer mais à faire ressentir que le personnage est chargé de cette scène. Guillaume a deux qualités exceptionnelles en tant que cinéaste : il sait écrire tout seul, même si ce n’est pas le cas sur Les Confins du monde. Et il a un rapport aux acteurs et une force de conviction qui font que presque tout le monde finit par venir chez lui. Il instaure quelque chose de fort avec ses comédiens.
Comment est-ce qu’un producteur influence un cinéaste ? Quand on regarde la filmographie de Guillaume Nicloux, on a l’impression que, après votre rencontre, son cinéma change. Il passe du thriller, d’auteur ou grand public, à un cinéma plus radical.
Je ne trouve pas qu’il y ait une cassure dans son travail avant et après Holiday ou La Religieuse. C’est le même Nicloux, mais à mes côtés, j’ai la sensation qu’il est devenu « sans fioriture », avec moins d’artifice. Il a su rentrer en contact plus direct avec ses émotions ou ses sentiments. Pour être admis dans le métier, il s’était glissé dans un moule plus identifiable - le thriller. Avec Holiday, il intégrait une famille où le genre n’avait pas à être mis en avant. C’est un artiste qui se tient à l’écart des familles du cinéma français.
C’est quoi un producteur indépendant pour vous ?
D’abord, l’évidence : c’est quelqu’un qui n’est pas lié à un groupe. On peut être indépendant adossé à un groupe, voire à des groupes, ça a été mon cas avec Gaumont, qui m'a aidée à mes débuts. Mais je me suis progressivement éloignée. Pas par choix, mais pour une raison simple : je ne produis pas le genre de film ou de cinéma qui fait qu'on s’appuie à un grand groupe. Je ne produis pas régulièrement, systématiquement, les films que réclament ce genre de groupe.
Vous produisez un cinéma trop risqué ?
Non, je n’ai pas dit ça – c’est vous qui le dites. Je pratique un cinéma… différent.
Vous allez continuer à travailler avec Nicloux ?
Je ne l’accompagne pas sur sa future série télé mais je serai là pour le prochain film qu’il fera avec Gérard Depardieu. Sa rencontre avec Gérard a été tellement forte qu’ils veulent tourner tout le temps ensemble. Dès que Gérard a du temps libre, il appelle Guillaume et ils tournent. C’est forcément un peu rock’n’roll pour monter un financement… Mais c’est amusant. Et puis ça fuse. Leur prochain film a un pitch génial : Depardieu et Houellebecq se rencontrent en thalasso. Ca fait rêver non ?
Les Confins du monde sort en salles le 5 décembre et a reçu plusieurs aides du CNC : l’avance sur recettes après réalisation, l’aide au développement de projets de long métrage et l’aide sélective à la distribution.