Dans quelles conditions avez-vous découvert Trenque Lauquen de la cinéaste argentine Laura Citarella ?
Louis Descombes : Le film était présenté à la dernière Mostra de Venise dans la section Orizzonti. Il était clairement identifié comme le nouveau projet d’El Pampero Cine, le collectif derrière La Flor de Mariano Llinás. Trenque Lauquen n’avait alors pas de distributeur en France. Et comme il arrive traditionnellement, une projection spéciale a été organisée à Paris en amont de sa présentation vénitienne. Le film d’une durée de 4h22 y était montré dans sa totalité, interrompu par quinze minutes d’entracte. Chez Capricci, nous sommes tout de suite tombés amoureux du projet. On en a fait l’acquisition durant la Mostra. À ce moment-là, se posait déjà la question de savoir si nous avions entre les mains un seul long métrage ou deux films. Nous avons opté pour la seconde option qui correspondait à la manière dont nous l’avions nous-même découvert. Nous avions déjà expérimenté ce type d’exploitation avec Les Travaux et les Jours d’Anders Edström et C.W Winter, découpé en trois parties. Cette manière d’opérer est suffisamment identifiée par le public et les exploitants.
Loris Dru-Lumbroso : Le collectif El Pampero Cine avait d’ailleurs anticipé le travail en réalisant en amont deux affiches différentes, déclinées en deux couleurs, une noire et une rouge, afin que le vendeur international du film puisse proposer le projet ainsi. Ce découpage s’imposait.
La Flor fut un évènement cinéphile. La concurrence a dû être rude pour obtenir l’exploitation de Trenque Lauquen ?
L.D : Si le film était, en effet, très attendu, il faut tout de même rappeler que El pampero Cine a réalisé plusieurs autres projets depuis La Flor, lesquels ne sont jamais sortis en France. Depuis sa création, le collectif a près de vingt films à son actif. Lors de la projection que j’évoquais, plusieurs autres distributeurs découvraient le film en même temps. Nous avons immédiatement exprimé notre intérêt à Luxbox, la société responsable des ventes internationales. Nous avions déjà une vision très claire de la façon dont nous voulions sortir ce film. Notre regard leur a plu. En accord avec Laura Citarella, Luxbox a décidé de nous faire confiance.
Justement, pouvez-vous nous détailler cette vision ?
L.D : Il était primordial pour nous que les deux parties du film sortent la même semaine afin que le public puisse appréhender l’œuvre dans sa totalité s’il le désirait. Cette exigence concernait surtout Paris, car pour le reste de la France nous avons agi au cas par cas afin de laisser la liberté aux exploitants de choisir la chronologie qu’ils jugeaient être la plus adaptée à leur public. Certains pouvaient par exemple décider d’alterner les parties une semaine sur deux.
L.D-L : Finalement, tout le monde a joué le jeu et respecte le plus possible cette double sortie. Du moins pour la première semaine d'exploitation, les salles font en sorte d'aménager les séances pour que les spectateurs puissent vivre l'expérience à leur rythme. Certains cinémas, dotés de seulement deux ou trois écrans, ne peuvent pas se permettre de bloquer leurs salles avec une seule et même œuvre mais proposent tout de même une alternance des deux parties sur plusieurs jours ainsi que la possibilité de voir les deux parties à la suite, notamment le week-end.
Avez-vous le sentiment que Capricci est devenu avec le temps un label qualité ?
L.D-L : Ce qui est sûr, c’est que nous entretenons une relation de confiance avec les exploitants qui nous suivent quelle que soit la sortie. Pour d’autres, en revanche, nous sommes une société parmi tant d’autres. Il faut donc les convaincre, négocier... Pour Trenque Lauquen, nous avons clairement bénéficié du succès de La Flor et de la renommée du collectif El Pampero Cine. En revanche, Trenque Lauquen est plus facile à insérer dans une grille que La Flor qui comptait quatre parties pour douze heures de film.
La Flor a été exploité en quatre parties entre le 6 mars et le 3 avril 2019. Trenque Lauquen sort un 3 mai. Pourquoi cette date ?
L.D : Il est de plus en plus difficile de trouver la bonne date. Nous avions toutefois l’intuition qu’une sortie juste en amont du Festival de Cannes serait un moment opportun. Durant la période du Festival, il y a étonnamment peu de concurrence, hormis bien sûr avec les films qui sortent au même moment que leur présentation sur la Croisette. Les professionnels du secteur ont pour beaucoup la tête ailleurs. Pour autant, le public des salles art et essai continue d’aller au cinéma. Nous voulions donc leur proposer une aventure cinéphile en dehors des radars du Festival de Cannes.
L.D-L : Sortir en amont de Cannes nous permettait également de capter la presse avant qu’elle ne se tourne, elle aussi, complétement vers la Côte d’Azur. Vanessa Fröchen, l’attachée de presse du film, a fait en cela un travail remarquable. Au départ, Trenque Lauquen devait sortir à la mi-avril, car le 3 mai, il y avait deux concurrents directs potentiels : Showing Up de Kelly Reichardt et Stars at Noon de Claire Denis, lequel a été finalement décalé. Malheureusement, travailler un film de cette durée nécessite un important travail de fond. Il faut bien sûr travailler les sous-titres mais aussi le faire exister dans des festivals français. Trenque Lauquen est passé au Cinélatino de Toulouse, au Festival International du Film de Femmes de Créteil où il a obtenu le Grand prix du jury...
Est-ce que Capricci s’était intéressé à La Flor à l’époque ?
L.D-L : Thierry Lounas, le directeur de Capricci et Julien Rejl, l’ancien responsable de la distribution de Capricci, aujourd’hui délégué général de la Quinzaine des cinéastes, l’avaient vu au festival de Locarno. Ils voulaient le distribuer mais leur offre n’avait pas été retenue…
Comment s’est déroulée la collaboration avec Laura Citarella, la réalisatrice de Trenque Lauquen ?
L.D : Nous n’avons jamais été en contact directement avec elle au moment de l’achat proprement dit. Les discussions se faisaient avec le vendeur en qui elle avait placé toute sa confiance. Luxbox cherchait évidemment des distributeurs en adéquation avec le profil du film. C’est après avoir signé que nous avons pu échanger avec elle. Elle était curieuse de ce que nous allions faire mais n’est pas intervenue dans les décisions. Nous avons noué une relation très saine.
L.D-L : Nous l’avons rencontrée physiquement mi-mars lors de la présentation du film au Festival International du Film de Femmes de Créteil. Nous lui avons alors présenté tous les éléments de promotion du film : l’affiche, la bande-annonce…
Comment avez-vous réfléchi la réalisation des outils promotionnels ?
L.D-L : On s’est longtemps demandé si nous devions réaliser une ou deux affiches. Comme il s’agissait d’un seul film en deux parties, nous avons choisi de ne faire qu’un visuel. C’était déjà le cas de La Flor. Nous avons confié l’élaboration de l’affiche à la graphiste Juliette Gouret. Elle a travaillé sur celle de la ressortie de Jeanne Dielman, particulièrement bien reçue…
L.D : À partir du moment où nous avions décidé de ne faire qu’une seule affiche, il fallait qu’il y ait le maximum d’éléments de compréhension du film. Nous pensions y faire figurer tous les personnages, mais ça devenait très vite trop compliqué…
L.D-L : Tous les éléments du film sont là : les grands espaces et surtout le personnage de Laura, quasi-mythologique perdu au milieu de cette aventure. Elle tient à la main une carte qui renvoie à l’idée du jeu de piste... Les Cahiers du Cinéma, lesquels soutiennent le film, nous ont proposé cette phrase d’accroche : « Un jeu de piste envoûtant par la productrice de La Flor ». Cette citation répondait parfaitement à notre visuel.
Et pour la bande-annonce ?
L.D-L : Nous avons repris la structure du trailer argentin en l’adaptant à notre cible française. Le film annonce était, en effet, extrêmement bavard avec de nombreuses superpositions de dialogues, ce qui rendait la compréhension complexe pour un public non hispanophone. Nous avons conservé ce qui pouvait guider le futur spectateur dans les méandres du film : la disparition du personnage principal, la part de mystère, l’aspect fantastique… Trenque Lauquen possède mille facettes. La musique du film est très belle, nous ne nous sommes donc pas privés de l’utiliser pour rythmer nos plans.
Vous êtes-vous aussi posé la question d’un changement de titre ?
L.D-L : Avant de savoir que Trenque Lauquen était le nom d’une petite ville argentine de la province de Buenos Aires, je me demandais ce que cela signifiait. S’agissait-il d’une formule latine accentuant un côté mythologique ? Il a été question à un moment donné d’ajouter un sous-titre, mais finalement nous avons choisi de conserver cette part de mystère inhérente au film.
Quels objectifs visez-vous en distribuant ce type de projet ?
L.D : La Flor a fait 35 000 entrées en France. Trenque Lauquen reste un film atypique. Cette part de risque a été considérée dès l’achat du film avec le vendeur. Nous savions par exemple qu’en choisissant une exploitation en deux parties, les coûts techniques pourraient être dédoublés. On craint toujours de ne pas être suivis par les journalistes et de subir la comparaison avec La Flor. Au moment de l’acquisition du film, à la fin de la Mostra, on découvre un article des Cahiers du Cinéma qualifiant Trenque Lauquen de meilleur film du Festival de Venise. Nous avons été tout de suite rassurés.
L.D-L : Nous avons pu compter sur un triple partenariat idéal avec : un mensuel, Les Cahiers du Cinéma ; un hebdomadaire, Télérama et un quotidien, Libération. Trenque Lauquen a également reçu des critiques positives de la part du Figaro ou de Paris Match, qui ont défendu le film. Cela ouvre le champ du public visé. Trenque Lauquen est à la fois un film Noir, un film surnaturel, un mélo, une comédie… C’est foisonnant.
L.D : Il y a la promesse d’une belle aventure en salles.
Trenque Lauquen
Réalisation : Laura Citarella
Scénario : Laura Citarella et Laura Paredes
Photographie : Augustin Mendilaharzu, Inès Dua-castella et Yarara Rodriguez
Musique : Gabriel Chwojnik
Producteur : Ingrid Pokropek et Ezequiel Pierri pour El Pampero Cine
Distribution et programmation : Capricci
Sortie en salles : 3 mai 2023
Soutien du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme 2022)