François Ozon
Lauréate du prix Médicis 1993 avec Sa femme, Emmanuèle Bernheim a signé sa première collaboration pour le cinéma en 1988 avec L’Autre nuit de Jean-Pierre Limosin. Mais c’est en 2000 que celle qui a travaillé aux Cahiers du cinéma dans les années 80 comme responsable des archives photographiques va connaître son premier succès avec Sous le sable. Tout part d’une histoire que François Ozon imagine à partir d’un souvenir de son enfance : des vacances d’été dans les Landes où le mari d’un couple de Hollandais qu’il croisait régulièrement est un jour parti se baigner… et n’est jamais revenu. Sous le sable raconte le point de vue de celle qui reste : l’épouse qui refuse de croire à la mort de son mari et se retrouve dans l’impossibilité de faire son deuil en l’absence de corps. Ozon s’associe à Emmanuèle Bernheim pour développer ce récit auquel personne ou presque ne croit, avec des comédiens qui suscitent beaucoup de réticences de la part des financiers (Bruno Cremer est jugé trop lié à la télé où il campe régulièrement le commissaire Maigret et Charlotte Rampling n’a plus la cote). Résultat : l’argent manque. Prévu pour huit semaines, le tournage doit être réduit à cinq et divisé en deux périodes, le temps de réunir le budget nécessaire. François Ozon doit aussi passer du 35 mm au 16 mm.
Malgré ces vents contraires, le film est un succès public et critique qui marque le début d’une longue collaboration entre le réalisateur et la romancière. En 2003, ils cosignent Swimming Pool, sélectionné en compétition à Cannes, un thriller cérébral et sensuel où une auteure anglaise de polars (de nouveau Charlotte Rampling) se sert des événements tragiques qui se déroulent dans sa villa comme inspiration pour son nouveau roman. L’année suivante, Emmanuèle Bernheim collabore à 5x2, récit de cinq moments clé de la vie d’un couple (le divorce, une soirée marquante, la naissance de leur enfant, leur mariage et leur rencontre) en remontant le temps. La radiographie d’une relation amoureuse inspirée au réalisateur par Two Friends, un téléfilm de Jane Campion sur une relation amicale racontée elle aussi à l’envers. Enfin, en 2009, le duo s’essaie au fantastique avec Ricky, l’histoire d’un bébé doté de pouvoirs extraordinaires, librement adaptée de Léger comme l’air, une nouvelle de Rose Tremain, tirée du recueil Les Ténèbres de Wallis Simpson. En 2020, François Ozon décide d’adapter pour la première fois un livre d’Emmanuèle Bernheim. En l’occurrence le récit autobiographique Tout s’est bien passé où elle racontait comment elle avait accédé à la demande de son père de l’aider à mourir après un AVC qui l’avait diminué. Le film est annoncé pour 2021 avec André Dussollier et Sophie Marceau.
Claire Denis
Publié en 1998, Vendredi soir est le quatrième livre écrit par Emmanuèle Bernheim. Le récit d’une aventure d’un soir qui avait valu à l’écrivaine – comme elle l’expliquait à l’époque – de nombreux courriers d’hommes qui se reconnaissaient dans cette histoire et de femmes dont c’était le fantasme. Quatre ans plus tard, Claire Denis porte à l’écran Vendredi soir et en confie le rôle central à Valérie Lemercier. Celui d’une jeune femme qui, alors que les grèves de 1995 paralysent Paris, va tomber instantanément sous le charme d’un homme qu’elle prend en stop et pour lequel elle semble prête à faire voler en éclat son existence jusqu’alors bien sage. Claire Denis qui sort d’une incursion dans le cinéma d’horreur gore avec Trouble Everyday effectue un virage à 180 degrés en signant le film le plus dépouillé de sa carrière. Finaliste du prix Louis-Delluc, Vendredi soir a quelque peu dérouté critique et public à sa sortie avant d’être réhabilité au fil du temps.
Thierry Jousse
En 1991, Thierry Jousse succédait à Serge Toubiana à la rédaction en chef des Cahiers du cinéma. Il quitte ce poste neuf ans plus tard, commence à tourner ses premiers courts métrages avant de passer au format long en 2005 avec Les Invisibles. Jousse y mêle ses deux passions – le cinéma et la musique – avec un personnage principal qui enregistre des sons de la vie de tous les jours pour les transformer en musique électronique. Il va bientôt faire la même chose avec les moments intimes qu’il passe avec une jeune femme rencontrée via un réseau téléphonique. Celle-ci a accepté de coucher avec lui à condition qu’il ne la regarde jamais et disparaît le jour où il va finalement allumer la lumière… À travers ce récit flirtant avec le fantastique, Thierry Jousse interroge les rapports entre art, réalité, désir et création. Autant de thématiques qui l’ont amené à collaborer avec Emmanuèle Bernheim pour l’écriture de son scénario.
Catherine Corsini
Trois ans après avoir scruté le milieu de l’édition dans Les Ambitieux, Catherine Corsini a envie d’une histoire à la Madame Bovary. Un récit autour du désir qui fait irruption dans une vie bien rangée. Cette idée donne naissance en 2009 à Partir où une femme de chirurgien, mère de deux enfants, tombe amoureuse de l’ouvrier venu transformer une partie de sa maison en cabinet médical pour qu’elle puisse reprendre son activité de kiné. Catherine Corsini pense immédiatement à Kristin Scott Thomas pour ce rôle. Elle écrit seule un premier traitement d’une dizaine de pages qu’elle fait lire à la comédienne pour voir si le personnage l’intéresse. Après son accord, Catherine Corsini poursuit l’écriture, mais s’associe à Gaëlle Macé (récompensée cinq ans plus tôt du prix SACD du scénario pour Brodeuses d’Éléonore Faucher) et Antoine Jaccoud (qui avait cosigné Home pour Ursula Meier) avant, dans la dernière ligne droite, de faire appel à Emmanuèle Bernheim comme consultante, sans que cette dernière ne se doute alors qu’il s’agira de son dernier travail de ce type pour le cinéma.
Alain Cavalier
Alain Cavalier est le premier à avoir voulu porter à l’écran Tout s’est bien passé d’Emmanuèle Bernheim, son amie de trente ans. Il lui demande même de jouer son propre rôle. Celle qui était apparue par deux fois devant une caméra (pour un épisode du Commissaire Maigret en 1979 et dans Le Champignon des Carpathes de Jean-Claude Biette en 1990) accepte. Mais alors qu’ils commencent à travailler sur le scénario à quatre mains, elle l’appelle pour lui annoncer qu’elle souffre d’un cancer nécessitant une opération d’urgence. Alain Cavalier décide alors de changer de sujet. Son film devient un documentaire : Être vivant et le savoir. Il va y raconter le combat de son amie contre la maladie, l’amour de son compagnon Serge Toubiana, les lettres qu’elle lui écrit témoignant de sa nécessité de continuer à échanger alors qu’elle ne veut plus se montrer, jusqu’à son décès en 2017. Deux ans plus tard, Alain Cavalier sera invité à présenter Être vivant et le savoir au Festival de Cannes.