C’est en 2013 qu’Antoine Schmitt, avec le soutien d’Edith Russ Haus et du Stiftung Niedersachsen, fait naître le film génératif 7 milliards de pixels. Projetée en haute définition, cette œuvre a de quoi interpeller le public qui se retrouve, pendant 1h56’40’’, face à 7 milliards de pixels traversant l’écran, à un rythme de 1 million de pixels par seconde. 7 milliards, comme le nombre d’humains présents sur Terre à l’époque.
« En tant que spectateur, on voit passer en deux heures la totalité des humains sur Terre : c’est très court car deux heures c’est rapide. Et en même temps, c’est énorme, car en voyant ces pixels passer, on se rend compte du nombre de personnes qu’il y a sur Terre », ajoute cet ancien ingénieur ayant travaillé dans la Silicon Valley. Grâce à la programmation informatique, Antoine Schmitt a imaginé une œuvre « générative », un film « différent à chaque fois qu’il est rejoué » - même si les différences ne sont « pas très visibles » - car il est calculé par l’ordinateur à chaque projection. Chaque pixel a sa propre trajectoire qui diffère à chaque fois. Un choix voulu par l’artiste pour symboliser « l’être ensemble ». «Chaque être humain à sa propre direction, son propre chemin de vie. Et en même temps, il se passe quelque chose de global, on voit des formes apparaître », souligne ainsi Antoine Schmitt au CNC. «C’est une réflexion sur le rapport entre la liberté individuelle de chacun et les formes globales qui en naissent. C’est en quelque sorte une réflexion sur l’avenir de l’humanité », poursuit l’artiste qui souhaite, à travers ses créations, « confronter les gens à la réflexion ».
Le vertige de la multitude
«A l’origine, il y a un algorithme, une recette, du code, un programme comme pour faire un logiciel mais pour faire œuvre», souligne le critique d’art et commissaire d’exposition Dominique Moulon. «7 milliards de pixels est une manière de raconter que nous avons tous notre trajectoire. Ce qui m’a impressionné, c’est le fait de voir devant mes yeux, à un instant T et en si peu de temps - même si c’est la durée d’un long métrage -, la représentation de tant d’humains. Chez Antoine, la data visualisation (l’art de représenter visuellement des données ndlr) est au service de l’art, des idées, de la pensée, du questionnement. Voir tous ces êtres un peu comme des fourmis, avec des chemins préalablement destinés et en même temps des croisements qui vont changer notre vie, ça m’a fait penser à moi, à nous, à vous, à nos histoires », a ajouté le spécialiste en art numérique et auteur du livre de L’Art au-delà du digital paru aux Nouvelles Editions Scala (2018).
Cette œuvre, «très physique », provoque la réflexion sur notre multitude et notre propre destinée. Elle « questionne le rêve impossible d’essayer de contrôler une telle masse. Impossible mais tenté tous les jours dans tant de systèmes politiques et sociaux qui prennent tant de formes différentes », ajoute l’artiste dans la présentation de son œuvre sur son site officiel. Véritable réflexion sur le libre arbitre dans notre humanité, cette installation, où chaque pixel a sa propre trajectoire, est un exemple frappant du travail d’Antoine Schmitt sur le mouvement. «La programmation rencontre mes problématiques liées au mouvement : pourquoi les choses bougent, comment elles bougent… Ce que j’appelle aujourd’hui les processus du mouvement. Il m’a fallu du temps pour mettre des mots, une phrase simple, sur des préoccupations plus disparates. La programmation est idéale pour étudier le mouvement car on peut en fabriquer », a conclu Antoine Schmitt au CNC.