Le Baptême, un thriller d’anticipation en VR

Le Baptême, un thriller d’anticipation en VR

22 janvier 2020
Création numérique
Le Baptême de Laurent Bazin
Le Baptême de Laurent Bazin Svend Andersen - Gengiskhan Production

Présenté du 22 au 26 janvier 2020 au Centquatre-Paris dans le cadre du festival Les Singuliers et de Némo, la Biennale des arts numériques de la Région Île-de-France, Le Baptême est un dispositif immersif VR qui interroge le sentiment de culpabilité et le phénomène de contrôle social. Artiste associé du Centquatre-Paris, Laurent Bazin revient pour le CNC sur cette création qu’il a écrite et réalisée.


Quel est le sujet du Baptême ?

Cette œuvre suit un homme qui rentre chez lui un soir très mal à l’aise, car il a le sentiment d’avoir commis un crime abominable. Il a des remords, mais la raison lui échappe complètement. Pourtant, ce sentiment d’angoisse et de culpabilité est tellement puissant qu’il décide de se rendre à la police. C’est le point de départ d’une fable à la fois surréaliste et fantastique sur le remord, le repentir et le contrôle social des émotions. Mais il est plus facile pour moi de parler de la forme et des enjeux que du scénario qui repose sur une succession de révélations. Le Baptême, c’est 40 minutes en VR et 15 minutes de spectacle vivant. C’est une expérience immersive de fiction, en VR, 360 degrés et noir et blanc. Et, plus important, la voix off qui raconte la descente aux enfers du personnage est assurée en live par un narrateur.

Pourquoi avez-vous choisi le noir et blanc ?

Les Falaise de V, ma précédente création avec ma productrice Line Bruceña (Gengiskhan Production), était en couleur car il y avait une forme de naturalisme dans le jeu des acteurs. C’était un huis-clos dans un seul espace dans lequel nous voulions vraiment inscrire le spectateur : il était très important pour nous qu’il vive une expérience dans une chambre d’hôpital. Nous avions donc mis de la couleur qui renvoie à la douceur équivoque du milieu hospitalier. Ce n’est pas le cas pour Le Baptême où une instance extérieure raconte l’histoire. Les images suivent le rythme de sa pensée, elles peuvent parfois s’accélérer dans ce film qui repose sur un montage plus rythmé que le précédent qui était composé de plans-séquences. Ici, il y a davantage de prises, de formats – du 360 degrés et du 180 degrés -  et j’attire parfois l’attention sur une portion d’espace extrêmement ténue. Pour répondre à la question, le noir et blanc est d’une part plus favorable au temps du récit et permet d’autre part un travail plastique très subtil. J’ai fait de l’encre et de la peinture, et le noir et blanc me permet de travailler le film presque comme un tableau : il y a un travail de fondu, de confusion des lignes, d’accent sur l’espace et du reflet. Je trouve intéressant de prendre un support technologique et d’utiliser, d’une certaine façon, moins de propriétés pour mieux les travailler. Je trouve enfin que le noir et blanc est capable de rendre compte de la fluidité de la matière.

Dans Le Baptême, vous mêlez une nouvelle fois théâtre et VR. Comment appréhendez-vous ce mélange ?

Le Baptême Svend Andersen/Gengiskhan Production


Le théâtre que je fais est résolument sensoriel et immersif. J’ai l’impression avec la VR de réagencer les mêmes éléments. Je fais du théâtre visuel dans lequel je combine du son, de la sensation, de l’image. J’essaie de me mettre tantôt en face du spectateur, tantôt de l’entourer, de l’enrober, de le surplomber. Tous les enjeux de narration dans l’espace de la VR me sont très familiers grâce à mon travail au théâtre. Je ne fais pas du théâtre de la distanciation – cette école de théâtre qui affirme que le spectateur doit être mis à distance pour apprécier les situations. Je crois davantage à un théâtre de l’hallucination : j’ai envie que le spectacle imprime quelque chose de très fort, que du sens puisse se dégager à partir d’une première impression plastique. C’est ce que permet la VR. Se dire qu’on peut prendre le contrôle de tout l’espace auditif et visuel des spectateurs peut potentiellement être terrifiant. Mais ce contrôle est en même temps difficile à prendre car le spectateur a une grande liberté en VR. En réalité, la télévision est un instrument beaucoup plus captivant que la VR. Une série est dix fois plus aliénante que n’importe quelle expérience en VR car il y a toute une syntaxe et une rythmique que cette technologie ne maîtrise pas encore.

En VR le corps fait partie de l’expérience, ce qui est moins le cas au théâtre. Comment s’adapte-t-on à cette contrainte ?

Au théâtre, nous pensons aux corps des spectateurs, ne serait-ce que pour les angles de vue : si on met un acteur dans la salle, on fera attention à sa position pour que les spectateurs n’aient pas de difficultés à le suivre. Mais la réflexion sur le corps est effectivement moins marquée qu’avec la VR que j’adore car elle fait de nous, avec ce travail sur le corps, des chorégraphes invisibles, presque des ergonomes. C’est génial de se dire que notre travail n’est pas que de peindre des images, contrairement au cinéma où le spectateur regarde un cadre en face de soi. Je peux décider au théâtre que le public sera assis sur des poufs, ou de part et d’autre de l’espace de jeu, ce qui ne sera jamais possible au cinéma. Le théâtre permet d’inventer ces configurations et ces dispositifs de perception. Pour moi, c’est la même chose pour la VR.

Sauf qu’en VR, le spectateur peut se retrouver au milieu de la scène, comme un metteur en scène lors de la création d’une pièce.

C’est une des choses qui m’a bouleversé avec la VR : c’est comme du théâtre augmenté. J’adore diriger de près des comédiens et être au milieu du flux des échanges. Mais il y a toujours un deuil au moment où on ne peut plus être au milieu. En VR, je peux mettre le public au plus près des comédiens, à la place du metteur en scène. C’est très fort. L’orthodoxie de la VR consiste à ne pas trop se rapprocher des acteurs – tous les spécialistes nous ont conseillé de ne pas les placer à moins d’1,4 m de la caméra. Mais nous avons ce parti-pris très radical de nous rapprocher énormément, ce qui déforme parfois les acteurs, pour créer une expérience d’intimité.

Vous avez mis en scène des pièces de théâtre et de la comédie musicale avant de vous lancer dans la VR. Comment avez-vous découvert cette technologie ?

Grâce à Line, mon amie et productrice que je connais depuis une quinzaine d’années - elle chantait dans mon premier spectacle qui était une comédie musicale. C’est elle qui m’a parlé de cette technologie et nous l’avons découverte ensemble. L’idée d’en faire quelque chose s’est rapidement imposée à moi : c’est comme si tout ce que je cherchais à obtenir dans le théâtre au prix d’efforts démesurés, pouvait être fait en VR. Au théâtre, il est impossible de mettre le spectateur au centre et les acteurs autour car ce dispositif demanderait beaucoup de comédiens pour très peu de public, ce qui est financièrement impossible. On s’interdit donc de penser à ce type de mise en scène immersive mais on peut la faire en VR. Je me suis tourné vers cette technologie pour son pouvoir narratif et sensible. C’est cet impact qui me plaît et non la technologie en elle-même même si elle vient combler un manque pour certains raconteurs d’histoires comme moi. Et ce n’est que le début : il y a toujours des problèmes de grain, de netteté de l'image et des choses qui posent problème. C’est aussi pour cela que nous faisons du noir et blanc. C’est presque un bras d’honneur à la technique, une manière de lui dire : « tu n’es pas parfaite mais allons travailler ton imperfection ; et peut-être arriverons-nous à produire de la beauté ».

Le Baptême a bénéficié d’une aide à la production du DICRéAM (Dispositif pour la Création Artistique Multimédia et Numérique).