Pour sa 77e édition, le Festival de Cannes a organisé sa première compétition strictement dédiée aux œuvres immersives (réalité virtuelle et réalité augmentée), mais aussi aux œuvres holographiques et de « vidéo mapping » (projection d’images sur une œuvre ou une construction déjà existante). C’est l’expérience en réalité augmentée Noire, créée par l’autrice Tania de Montaigne d'après son roman Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, coréalisée par Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud – lequel en est également le producteur –, qui a remporté le prix de la Meilleure Œuvre immersive. Le studio français Atlas V a présenté une œuvre en compétition Evolver et cinq autres hors compétition : Empereur, Battlescar, Gloomy Eyes, Missing Pictures: Naomi Kawase, Notes on Blindness, ainsi qu’une frise chronologique pédagogique sur la place de la réalité virtuelle dans l’histoire du cinéma.
La Compétition Immersive
S’il y a souvent eu des œuvres en réalité virtuelle au Festival de Cannes (notamment l’expérience Carne y Arena d’Alejandro González Iñárritu présentée en Sélection officielle en 2017), la création d’une compétition spécifique consacrée à l'art immersif offre à celui-ci une place à part entière au sein du festival, avec une sélection de huit œuvres en compétition et une remise de prix par un jury international. « Aujourd’hui, le fait d’amener ainsi la réalité virtuelle à Cannes porte le médium à un niveau inégalable, surtout auprès des professionnels, explique Oriane Hurard. « Cette Compétition Immersive a aussi permis de rencontrer des financiers privés du cinéma. Je viens à Cannes depuis vingt ans, et je n’avais jamais pu décrocher de rendez-vous avec eux, reconnaît Antoine Cayrol. Cannes est le plus grand marché de films et le plus important festival du monde. Alors forcément, une Compétition Immersive suscite la curiosité. »
Les œuvres présentées
« Evolver est une plongée non pas scientifique – même si les données le sont – mais poétique à travers le corps humain », raconte Oriane Hurard. Evolver a été coproduit avec Dirty Films, la société de production de Cate Blanchett et Andrew Upton. « Nous avons scanné le corps humain d’une femme pendant seize heures pour savoir de façon très précise comment circule le son dans un corps », poursuit la productrice. Outre Evolver, Atlas V présentait également d'autres expériences – ou fragments pour des raisons de durée –, comme par exemple Empereur, une expérience interactive et narrative en réalité virtuelle qui invite à voyager au cœur du cerveau d’un père devenu aphasique, ou encore Battlescar, une traversée du New York underground de 1978… Le studio a aussi préparé une grande frise chronologique pédagogique expliquant la place de la réalité virtuelle dans l’histoire du cinéma. « Nous avons ressenti le besoin d’apporter de l’historique et du contexte, même s’il s’agit d’un média qui est assez accessible, parce que très sensoriel : il suffit de mettre le casque et d’essayer, explique Oriane Hurard. Nous étions très soucieux de montrer que la VR n’allait pas remplacer le cinéma. »
« L’objectif était de remettre en perspective l’histoire de la réalité virtuelle avec celle du cinéma, et de rappeler l’histoire des inventions technologiques qui ont donné naissance au médium, depuis le cinéma balbutiant d’avant les frères Lumière jusqu’à aujourd’hui. Les artistes s’emparent de chaque invention technologique, comme la steadycam par exemple que tout le monde utilise aujourd’hui », continue la productrice, pour esquisser un parallèle avec la VR. « Nous voulions mettre en perspective des avancées technologiques et des œuvres. Les œuvres présentées répondent toutes à peu près à cet aspect. Elles ont été créées entre 2015 et 2023. Elles étaient déjà découpées en forme d’épisodes ou de chapitres, ce qui était plus simple pour les montrer au public. »
L'ADN Atlas V
Créé en 2017, Atlas V a produit des expériences immersives allant de l’exploration du cosmos (Spheres, avec les voix de Léa Seydoux en version française et Jessica Chastain en version anglaise) à celle du mystère de la création artistique (Notes on Blindness: Into Darkness, sur un professeur de théologie devenu aveugle), en passant par l’animation (BattleScar) et la science-fiction avec des zombies (Gloomy Eyes). Des choix radicaux qui expriment le désir du studio de se concentrer sur l’identité de ses auteurs : « Atlas V est l’addition de producteurs et de productrices qui ont tous des ADN différents. Nous ne partageons pas exactement les mêmes goûts ni les mêmes idées, analyse Antoine Cayrol. Mais si le projet ressemble à son producteur ou à sa productrice, cela suffit. » Pour Oriane Hurard et Antoine Cayrol, la narration reste la clef : quelle histoire veut-on raconter ? « L’amour du storytelling et du cinéma relie tous nos projets », conclut le cofondateur du studio.
L’avenir, entre franchises et créations
Aujourd’hui, le studio développe une œuvre avec l’artiste contemporain Xavier Veilhan, et produit un projet réalisé par Caroline Poggi et Jonathan Vinel, les auteurs de Eat the Night, mélangeant réel et jeu vidéo (présenté à la Quinzaine des Cinéastes cette année). Atlas V travaille aussi sur deux grosses franchises : The Grand Getaway, la première expérience VR dans l’univers de Wallace & Gromit, les héros emblématiques du studio d’animation Aardman, et Mobile Suit Gundam : Silver Phantom, une histoire interactive tirée de l’univers de la légendaire franchise de science-fiction japonaise. Une expérience ambitieuse puisqu’elle aura la durée d’un long métrage. Les work in progress seront présentés au Festival d’Annecy en juin prochain. « Nous commençons aussi à nous diversifier sur des expositions immersives, ainsi que sur les salles avec projections. Aujourd’hui, notre but, notre défi même, est de savoir comment raconter des histoires dans ces espaces où le public peut entrer et sortir à sa guise, explique Antoine Cayrol. Comment raconter une histoire quand il n’y a pas vraiment de début ni de fin ? Comment créer du mouvement pour que le public ait l’impression de vivre un moment collaboratif dans une œuvre qui n’est pas interactive ? Nous voulons conserver notre ADN, celui de raconter et transmettre des émotions à une audience via ces nouvelles formes de narration et de distribution des images. »