Recoding Entropia est en noir et blanc comme votre film VR I Saw The Future, et explore le même domaine – l’espace – que votre création précédente Odyssey 1.4.9. Ces trois œuvres sont-elles dans la même lignée ?
J’ai constitué en effet une anthologie dont I Saw the Future et Odyssey 1.4.9 sont les deux premiers volets. Le troisième, Beta Aquarii, sera un film VR interactif se déroulant dans les abysses, un peu dans l’univers de Jules Verne. Recoding Entropia, lui, n’était pas prévu au départ. Il a en quelque sorte débarqué grâce au confinement qui m’a contraint à interrompre le travail avec Small by Mac Guff sur Beta Aquarii. J’étais un peu frustré car à cette époque Odyssey 1.4.9 venait de sortir et je devais accompagner le film dans les festivals du monde entier. C’était important pour moi car je travaillais sur ce projet depuis des années. C’est d’ailleurs par ce film qu’est venue l’envie de travailler sur la destinée de l’homme et de l’univers ainsi que sur l’évolution. Recoding Entropia est né de cette frustration. A défaut de pouvoir travailler à l’extérieur avec d’autres studios, je me suis retrouvé seul avec mon outil. J’ai malgré tout voulu continuer mes recherches établies précédemment, d’où la familiarité avec les trois autres éléments de l’anthologie. J’ai travaillé très simplement, d’autant plus que mon intention de départ n’était pas d’en faire un film. Je m’étais lancé comme défi de travailler sur la matière procédurale, un système de fonctionnement pour le temps réel au cœur de Beta Aquarii. Le confinement m’a offert du temps pour explorer ce concept et, petit à petit, des images sont apparues. Je les ai montrées à mon producteur, Jeremy Sahel qui m’a dit de foncer et d’en faire quelque chose d’autonome.
J’y ai vu comme un défi et ça m’a donné la force de creuser un peu plus loin. Au fur et à mesure de mon travail sur ce système, je voyais naître des formes. C’est l’idée du film : j’observe en quelque sorte la vie et je vois comment les choses peuvent s’engendrer.
En quoi consiste ce « système procédural » ?
Il repose sur des formules mathématiques, des choses simples. Ce sont des points aléatoires qui s’organisent avec des lignes de code. Je peux, par exemple, d’un ensemble abstrait de points, générer un mouvement d’ondulation et créer des vagues puis un océan. Ce système peut être appliqué à tous les matériaux qui se trouvent dans la nature : l’écorce, le goudron, la pelouse… Il permet aussi d’imiter les matériaux, comme ceux que j’utilise pour le film. Tout est généré par le système qui a un réel intérêt car bien que difficile à programmer, il est très facile à manipuler une fois que tout est mis en place. On peut vraiment jouer avec, et c’est ce que j’ai fait. J’ai réussi à mettre en place cette matière qui s’auto-organise.
Après avoir mis en place les lignes de code, vous avez donc laissé les éléments de votre film se créer librement ?
Oui, mais les opérations que j’ai engagées sur la machine se font à l’intérieur des séquences. Il y a bien évidemment un travail d’écriture en parallèle. J’ai déterminé les grandes phases du film : le fait qu’il se passe dans l’espace, qu’il y ait une grande figure qui va petit à petit se désagréger… Mais à l’intérieur de chaque séquence, j’observe la surprise qu’est ce moment où les choses sont en train de se reformer, de se cristalliser, de se multiplier et de prendre forme. Avec l’outil que j’utilise, mon acte créatif devient une mise en abyme de ce que raconte le film. C’est comme si j’observais moi-même les choses prendre vie face à moi. C’est ce qui rend passionnant et prodigieux le travail sur la matière digitale.
Vous étiez un peu comme un astrophysicien observant l’univers à travers un télescope…
Exactement… Je me place parfois comme un spectateur. L’analogie avec les astrophysiciens est juste.
Mon producteur m’a poussé à le faire mais je n’avais aucune contrainte de production. Je suis donc allé puiser dans ce que j’avais à cœur de raconter. J’ai fait ce film pour moi, et en combinant le récit, il s’est petit à petit étoffé.
D’où vient votre intérêt pour les microscopes et l’astronomie ?
Il y a pour moi une phénoménale analogie entre les deux systèmes. Les électrons, observés au microscope, qui tournent autour des atomes, font évidemment penser aux grandes phases de l’univers avec le mouvement des planètes. Les notions d’échelle me fascinent, l’infiniment grand comme l’infiniment petit. Outre le fait que la VR est immersive, elle offre aussi une capacité au spectateur pour appréhender cette notion d’échelle. Ce qui fait qu’elle est parfaitement adaptée à Recoding Entropia. Avec la VR, en modifiant simplement la puissance du relief, le spectateur saura s’il a en face de lui un cube gigantesque ou quelque chose de grand comme un dé.
Recoding Entropia est un film en 360° peu interactif. Le spectateur peut seulement déplacer son regard. Est-ce pour des raisons de contraintes de production ou pour que le public se sente comme vous, assistant à la création de vos séquences avec le système procédural ?
Il y a effet eu une contrainte de production énorme dû au confinement. La VR a plusieurs niveaux d’interaction. Ici, j’ai donc dû me contenter du plus faible d’entre eux. Ceci dit, j’ai pris la contrainte telle qu’elle était et je l’ai utilisée. Je revendique de pouvoir faire des films 360° non interactifs. J’ai d’abord été monteur, designer et graphiste et j’ai travaillé pour le cinéma. J’aime raconter mon point de vue de réalisateur au travers d’un film et je l’offre au spectateur. Je pense que même si le film n’est pas interactif, on peut guider ainsi le public. Lui donner une sensation de vivre un déplacement, une aventure. Je pourrai dans un deuxième temps transformer ce projet pour le rendre encore plus interactif, permettre le déplacement autour des formes, laisser le public s’en approcher. Je pourrai même carrément, dans un troisième temps, faire en sorte qu’un geste de main modifie la trajectoire des particules ou interagisse avec la matière. Mais aujourd’hui, je revendique le film tel qu’il est et c’est très bien ainsi. D’autant plus que, conscient de cette non-interactivité, j’ai quand même essayé, par quelques subterfuges, de laisser croire au spectateur que le film est en fait interactif. C’est l’une des subtilités de Recoding Entropia que je ne mets pas en avant mais qui est là, de façon inconsciente. Lorsqu’il y a une modification du point de vue, la matière se transforme en fonction, de manière imperceptible. Dans l’une des séquences, on s’approche ainsi de cette espèce de cylindre codé qui vient tout d’un coup nous envelopper. Virtuellement, le spectateur a l’impression de se déplacer.
La musique renforce encore davantage cette immersion. Comment a-t-elle été imaginée ?
Je collabore depuis longtemps avec Pascal Bantz, qui a composé la musique de mon premier long métrage de fiction ainsi que celle de projets plus expérimentaux et avec qui j’ai travaillé pour des soirées thématiques d’Arte. Il travaille à Strasbourg. Nous sommes habitués à travailler à distance, le confinement n’était donc pas gênant. Je lui ai demandé de composer un boléro, une musique qui repose sur des cycles et qui se complexifie au fur et à mesure. Car mon récit lui-même travaille sur des cycles : à chacun d’entre eux, la matière se diversifie. Grâce au sound design, j’ai pu également amener une incarnation avec des chœurs féminins - qui sont pour moi l’analogie des sirènes de l’Odyssée - et masculins. Ce sound design est très important : lorsque la musique se met de temps en temps en retrait, on peut se rapprocher de la matière et l’entendre vibrer et vivre autour de nous. Le boléro permet de créer des moments très chargés et d’autres plus épurés, qui tendent même presque vers le silence. Pour ensuite se développer jusqu’à une sorte de paroxysme qui constitue le climax du film à la fin.
Recoding Entropia (Da Prod) est à découvrir jusqu’au 2 janvier 2023 à l'Atelier des lumières.
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