Vous avez étudié à l’Ecole spéciale de mécanique et d’électricité (Paris). Qu’est-ce qui vous a ensuite conduit vers l’art et la programmation ?
Mon père, Yann Berriet, était un pionner de l’audiovisuel : il a inventé, avec son associé, un système pour faire des multi-projections, ce qui n’existait pas avant. Il était également photographe tandis que ma mère dessinait. J’ai donc grandi dans une famille d’artistes, ce qui m’a beaucoup influencé. Je voulais au départ faire une école de cinéma, mais je n’en avais pas les moyens et j’ai dû rapidement gagner ma vie. Après avoir reçu une bourse, je me suis inscrit à l’Ecole spéciale avec l’idée que j’apprendrais des choses qui me seraient utiles. Mais ma passion pour l’ordinateur est née bien avant, en 1977. J’ai toujours programmé pour faire des images. J’ai dévié vers l’interactivité en découvrant le temps réel et la potentialité de la connexion entre le cerveau et les machines grâce à ma rencontre avec Manorine, une machine transformant les images en sons, inventée par un de mes cousins, Sylvain Aubin.
Vous avez malgré tout travaillé dans plusieurs domaines différents – informatique, dessin et jeu vidéo – avant de vous lancer pleinement dans l’art numérique…
J’ai mis le pied à l’étrier en travaillant comme assistant du directeur informatique de l’association Imédia chargée de développer l’audiovisuel interactif. J’ai ensuite rejoint Media6, l’une des premières sociétés faisant à la fois de l’animation traditionnelle et de la 3D. J’ai finalement bifurqué vers le jeu vidéo lorsque j’ai été contacté par le vice-président d’Electronic Arts pour des conseils sur la 3D. La société devait faire face au passage des consoles à cartouches aux machines avec DVD et elle a constitué une équipe d’une centaine de personnes, que j’ai rejointe après cet appel. J’ai ainsi passé deux ans et demi dans la Silicon Valley.
Est-ce cette expérience qui vous a donné envie, par la suite, de créer avec une Kinect ?
Ce périphérique est le meilleur rapport qualité/prix pour avoir un nuage de points grâce à sa caméra de profondeur très précise. Je faisais la même chose avant avec des caméras infrarouges ou stéréo, mais la Kinect permet surtout de se servir de la forme du corps sans contraintes d’éclairage. Elle est malgré tout un peu compliquée à gérer.
Qu’entendez-vous par là ?
Il y a des aspects techniques à prendre en compte, ce qui peut compliquer son utilisation pour un néophyte. La Kinect a une déformation programmée en usine et il faut la corriger : il faut donc savoir où chercher pour régler ce paramètre.
La Kinect n’est pas votre seul outil de création. Vous avez également produit votre propre logiciel…
J’ai appris à devenir artiste en regardant ma femme, peintre, travailler. Elle m’a appris l’obstination que demande l’art. Le temps réel est au cœur de mon travail : j’aime jouer avec la matière numérique en interaction et je crée toutes mes pièces depuis 22 ans grâce au même logiciel. Je l’ai baptisé AAASeed, qui signifie graine de qualité AAA, comme les andouillettes (rires). Son nom, qui est également un jeu de mots avec « acide », permet aussi d’être en tête de liste lorsqu’il y a un classement alphabétique.
Comment est né ce logiciel ?
Lorsque je me suis rendu compte, il y a 15 ans, de tout ce qu’on pouvait faire en temps réel, j’ai créé une société avec l’ambition de produire des kits de Lego virtuels pour les enfants et adolescents. A l’époque, il n’y avait ni smartphones, ni applications. On me prenait pour un fou - j’étais un peu trop en avance - et j’ai cherché des fonds pendant des années. J’ai gardé cet embryon de concept et j’ai commencé à produire des choses avec. J’ai continué à m’en servir et je l’ai affiné de production en production.
Si vous créez seul, vous collaborez également avec d’autres artistes tels qu’Hugo Verlinde avec lequel vous avez créé Le Rayon Vert. Est-ce important pour vous de travailler à plusieurs ?
Les programmeurs sont habitués à travailler en groupe. C’est la même chose dans le jeu vidéo et le dessin animé : chacun a sa place mais tout le monde travaille ensemble. Il y a une dynamique dans le processus créatif : chacun amène ses idées, ses convictions et nous nous nourrissons les uns des autres.
Lors de l’entretien qu’il nous avait accordé, Hugo Verlinde (artiste et cofondateur de l’agence d’art numérique Le Pixel Blanc qui représente Mâa) évoquait les réticences du monde de l’art face aux nouvelles pratiques de création. Avez-vous eu le même ressenti lors de vos débuts d’artiste ?
Il ne faut pas oublier que l’art est un marché, même si ce n’est pas que ça. Les œuvres numériques sont compliquées à vendre car il y a un problème de pérennité. Il y a également des contraintes de dimension mais également de techniques. Comment fait-on pour qu’elles marchent encore dans 5, 10 ans ? Comment les stocker et les préserver alors qu’il faut maintenir les plateformes et que les machines ont une durée de vie limitée ? Dix ans plus tard, il sera difficile de retrouver la machine avec le bon système d’exploitation. La Kinect par exemple n’est plus fabriquée. Il faudra un jour, lorsque je ne pourrai plus en acheter, la remplacer par une autre technique. Ces aspects compliquent la vente d’où les réticences du monde de l’art. Mais il y a également des raisons économiques. Faire un prix à la minute pour un court métrage ne choque personne, mais c’est plus compliqué pour une œuvre interactive qui a un budget plus proche de celui du jeu vidéo. Au départ, il était donc difficile d’avoir un budget permettant d’aller loin dans la finesse, l’émotion et la production. Certaines œuvres étaient pour moi davantage des démonstrations technologiques que des créations passant de l’émotion.
Les évolutions technologiques ont-elles changé la donne ?
Tout le monde parle maintenant de révolution technologique. Oui, à l’échelle de l’Histoire c’est une révolution, mais pour moi qui suis dans ce domaine depuis 1977, les choses changent en réalité lentement. En termes de concept, il ne s’est pas passé grand-chose alors que la loi de Moore (le fait de doubler le nombre de transistors tous les 18 mois) est en action. Les premières machines sur lesquelles j’ai pu faire de la 3D coûtaient 4 millions de francs. Aujourd’hui, votre portable est plus puissant que ça. La baisse du coût des outils informatiques a entraîné une démocratisation.