Avec pas loin de 900 000 abonnés, Nota Bene est la première chaîne YouTube de vulgarisation historique. Son créateur et présentateur, Benjamin Brillaud, ancien cadreur et monteur dans l’audiovisuel, s’est lancé sur le net en 2014. Avec à la clé un succès qu’il n’aurait jamais pu imaginer : « On m'avait fait découvrir les émissions de vulgarisation sur YouTube, et vu qu'il n'y avait rien concernant l’Histoire et que j'avais étudié le sujet à l’université, je me suis dit que j’allais tenter de faire ma petite émission tranquille avec ma propre ligne éditoriale. Je m’étais laissé un an et finalement ça a si bien fonctionné que c'est devenu mon métier », explique-t-il. Depuis, il enchaîne les projets et notamment History's Creed, dix vidéos toujours disponibles sur Arte.tv, qui racontent la façon dont les jeux vidéo traitent de l’Histoire.
Comment avez-vous imaginé le concept d’History's Creed ?
En 2016, Arte m’a contacté parce qu'ils avaient vu ce que je faisais sur YouTube. Ils aimaient beaucoup Nota Bene et se demandaient si on ne pouvait pas faire quelque chose ensemble sur ce qui s'appelait à l'époque Arte Creative, et aujourd'hui Arte.tv. J'avais carte blanche et j’ai tout de suite pensé à un sujet qui me tenait à cœur : les jeux vidéo, auxquels je suis accro depuis tout gamin. Je trouvais intéressant d'aborder les ponts entre Histoire et jeux vidéo. Arte m’a dit oui tout de suite et dans la foulée, ils m'ont proposé de collaborer avec la société de production TVSP, que je connaissais déjà puisqu'ils font beaucoup de documentaires historiques. Très rapidement, comme j'avais beaucoup de projets à gérer à côté, je leur ai dit que je ne pourrais pas assurer la réalisation en plus de l'écriture. Donc TSVP m’a proposé de travailler avec quelqu'un que j'aime beaucoup, Régis Brochier, qui était notamment réalisateur de l'émission Escale à Nanarland.
Vous décidiez de tout ? Du choix des sujets en passant par les recherches et les personnes interviewées ?
Oui. On pouvait parfois m'envoyer un ou deux articles pour m’alerter, mais j'ai tout construit de A à Z, ce qui m'a permis de rencontrer des gens dont j'estime le travail. Mais on bossait à trois : Régis était sur le côté visuel, moi sur le fond et Christophe Brulé de chez TSVP essayait de cadrer un peu les choses pour que ça colle avec des formats de sept à huit minutes. Ce qui était d'ailleurs un peu déstabilisant pour moi au départ ! Comme on était sur le web, je pensais qu'on allait avoir beaucoup de liberté sur la durée, alors qu'Arte voulait vraiment du format court, très accessible au grand public. Une grande partie de mes recherches sont passées à l'as, j'aurais bien aimé en dire encore plus !
Le choix des thématiques a été compliqué ?
Ça a été assez naturel. Avant toute phase de recherche, il y a eu une réflexion personnelle sur les ponts que je voyais entre Histoire et jeux vidéo. Au fur et à mesure, à force de lire des articles et d’en parler avec des camarades, des pistes ont émergé. Il était évident dès le départ qu’on allait parler des clichés en Histoire, du fait qu'un jeu puisse être rigoureux ou pas... La thématique de l'utilisation du jeu vidéo comme outil pédagogique est aussi vite venue sur la table car c’est une question qui me préoccupe beaucoup.
Vous avez eu des surprises en enquêtant sur certains sujets ?
Disons que ma vision n'a pas été bouleversée, mais j'ai été surpris positivement de la part de studios comme Ubisoft. Notamment sur cette grande question autour du jeu Assassin's Creed : y a-t-il un danger de désinformation à partager des fausses histoires au cœur de la « vraie » ? Ils en sont assez conscients et je trouve ça plutôt positif, mais il y a deux visions qui s’opposent : d’un côté celle du marketing et de l’autre celle des développeurs. Ça m'a beaucoup fait réfléchir sur le sens du jeu vidéo en tant que tel, qui s'inscrit dans une thématique d'art et d’œuvre - comme l'est un film - avec ses propres interprétations, ses propres biais et ses propres choix artistiques. Mon but était de comprendre l'enjeu de la production, à quoi sert un jeu vidéo et comment s'inscrit l'Histoire là-dedans.
Et parfois le soft power n’est pas très loin, voire la propagande, comme vous l’expliquez dans un épisode particulièrement intéressant…
C’est l’épisode le plus politique. J’ai vite senti en tant que joueur qu’il y avait une vision très orientée de l'Histoire. Ce qui m'a vraiment sauté au visage en travaillant sur cette thématique, c'est la reproduction du modèle capitaliste dans le jeu vidéo. Un copier-coller de nos sociétés modernes, puisque c'est le système qui prévaut majoritairement dans le monde, en tout cas dans les pays qui produisent des jeux. Mais comme le dit le chroniqueur Usul, le jour où des pays émergents avec d'autres structures sociales et économiques vont se mettre à faire des jeux vidéo, ça donnera des choses totalement différentes. Je trouve vraiment intéressant de voir comme on peut être conditionné par des schémas reproductifs dont on n'a pas du tout conscience. Par exemple, quand on joue naïvement à des city builders comme Sim City ou Zoo Tycoon, on est clairement dans cette reproduction d'un capitalisme exacerbé. Sauf qu’on s’amuse et qu’on n'y pense pas ! Si on n'a pas de recul critique, on est forcément influencé. Certains jeux font aussi une récupération politique des grandes guerres, où les Américains sont toujours les plus forts et les plus beaux. On les critique rarement. Des jeux vidéo qui viennent pointer du doigt des questions de politiques sociales très complexes, il y en a relativement peu. Mais ça commence à venir, notamment avec des titres comme Papers, Please http://papersplea.se/.
Pour l’instant, il existe dix épisodes d’History’s Creed. En verra-t-on prochainement de nouveaux ?
Ce n'est pas prévu. Arte m’a proposé une saison 2 et j'ai refusé. Je suis très fier de cette série, mais les processus de production sont assez lourds. Très naïvement, je m'étais dit que ce serait six mois de travail intense. Et finalement, entre la prise de contact et la diffusion, il s'est écoulé deux ans ! Il y avait notamment beaucoup d’étapes de validations alors que depuis le début de mon travail sur YouTube, j'ai l'habitude d'être décisionnaire de tout ce que je fais. En même temps, la série n'aurait pas du tout été la même si je l'avais faite sur ma chaîne, notamment en matière de réalisation. C’est aussi grâce à ça et au format court qu’on s'est ouvert à un autre type de public.