Le jeu vidéo dès l’enfance
« Je suis né dans le Gers, en 1978, dans le Sud-Ouest. C’est un peu flou, mais il me semble que ma première expérience du jeu vidéo s’est déroulée chez des amis : j’ai le souvenir de quelque chose d’incroyable, un choc manette en main. À Noël 1989, mon frère et moi recevions la NES, avec Super Mario dans la boîte et deux autres jeux. Mais au début, on était déçus ! Des copains à nous avaient un Atari ST, et ce côté “sérieux” – toutes ces touches ! – nous fascinait. Finalement, on a vite été happés par la console ! On s’est mis à échanger des jeux avec les copains, et même si je vivais dans un petit village, j’avais une dizaine d’amis qui aimaient les jeux vidéo. Coup de chance, car dans le Sud-Ouest, la culture est plutôt axée sur les activités extérieures : rugby, pêche, chasse… Dans le groupe, l’un de nous avait un intérêt particulier pour le Japon et importait des consoles. On réalisait soudain que de l’autre côté de la planète, il y avait des machines bien plus performantes que la NES, comme la Mega Drive, la PC Engine, la Super Famicom… Tout cela se mêlait à notre amour pour les dessins animés japonais et la culture japonaise au sens large, qui commençait à débarquer en France à l’époque. On avait une chance incroyable car on était en avance de deux ou trois ans sur ce qui allait sortir en Europe, alors qu’on était perdus dans la cambrousse ! »
Direction Londres
« À cette époque, on jouait beaucoup en anglais car les jeux que l’on possédait n’étaient pas traduits. Cela m’a forcé à prendre régulièrement un dictionnaire pour m’en sortir, ce qui est complètement fou pour un môme. (Rires.) Au final, j’en ai tiré l’envie de devenir professeur d’anglais et je suis donc parti à Londres à 18 ans pour travailler la langue. Je bossais dans un café, je pensais rester un an et puis rentrer... Mais finalement, j’ai décroché un job chez Eidos, le studio qui avait développé Tomb Raider. L’entretien s’est déroulé par téléphone, on m’a juste posé quelques questions. À la fin, le recruteur m’a demandé si je pouvais être là le lundi suivant pour commencer, sans même m’avoir vu ! Je bossais sur le jeu de football UEFA Champions League, avec les commentaires de Roger Zabel. (Rires.) Autre époque ! Mon travail portait sur la version française : je me suis retrouvé à devoir écouter les commentaires et à leur donner une fréquence dans le jeu. Par exemple, une phrase très longue, c’était une fois tous les dix matchs, mais des petits commentaires comme “jolie passe”, pouvaient revenir deux ou trois fois par partie. C’était déjà un peu du game design, mais très simple. J’étais bien mieux payé qu’en travaillant dans mon café – même si cela n’a jamais été l’objectif – et j’avais mon bureau avec une PlayStation dessus... Le rêve ! »
D’Electronic Arts à LEGO
« Après cette expérience, je suis parti pour Electronic Arts, au sein du studio Bullfrog de Peter Molyneux, qui développait à l’époque des jeux comme Populous ou Theme Hospital. Là-bas, j’ai travaillé notamment sur Dungeon Keeper. De très bons souvenirs. Et puis, rapidement, est arrivé mon premier job permanent, chez LEGO. J’avais 20 ans, et je trouvais cela a priori moins excitant que mes précédentes expériences. Je me souviens m’être dit : “Ce ne sont pas de vrais jeux vidéo, mais on va essayer.” Et en fait, j’ai adoré, je suis resté là-bas six ans. C’est une entreprise avec de bonnes valeurs, des gens qui restent droits dans leurs bottes et qui n’incitent jamais les enfants à inventer des histoires violentes. J’y retrouvais une certaine influence Nintendo présente chez moi depuis le début : cette idée du jeu vidéo comme un jouet, un mélange de ludique et d’imaginaire. J’ai eu la possibilité de rester chez LEGO, mais je voulais quand même essayer les jeux vidéo plus traditionnels. Je m’étais donné trois entreprises où postuler : Sony, Sega et Ubisoft. »
L’arrivée chez Sony
« Chez Sega, l’entretien a été désastreux, je crois que je pourrais en faire un sketch. (Rires.) Et je n’ai même pas eu le temps d’aller toquer chez Ubisoft, puisque Sony m’a embauché. À ce moment-là, PlayStation Europe travaillait sur deux projets : Singstar, le jeu de karaoké, et EyeToy, le jeu de reconnaissance de mouvements grâce à une caméra. Comme je ne suis pas trop karaoké, j’ai pris le deuxième ! Beaucoup de choses sur lesquelles j’avais travaillé chez LEGO étaient transposables : ce n’était pas un jeu pensé pour les gamers, plutôt une expérience pour ceux qui ne jouent pas. Sans la manette, avant la Wii, mais dans le même esprit. Il fallait réussir à réfléchir de manière très ludique, très simple, et se pencher énormément sur l’accessibilité. Je me suis immédiatement senti à l’aise, et c’est là que je me suis installé dans ce créneau un peu à part dans le jeu vidéo. Même si à la maison je suis un gros joueur, professionnellement, je sentais qu’il y avait quelque chose à faire pour toucher un nouveau public. Et puis j’aime aller là où personne ne va. »
Le Japon et les débuts d’Asobi
« J’ai passé plusieurs années chez Sony à Londres. Je venais de finir un projet en réalité augmentée pour la PS3, EyePet, et l’idée de partir au Japon me trottait dans la tête. Ma femme était japonaise et c’était une sorte de rêve. Donc j’ai contacté le patron de l’époque, Shuhei Yoshida, qui chapeautait tous les studios mondiaux. Je lui ai envoyé un mail, et il a validé en quelques heures ! Je n’ai même pas eu le temps de réfléchir. J’ai déménagé avec ma famille. À ce moment-là a eu lieu le tremblement de terre de 2011. Pendant un an, il ne s’est pas passé grand-chose, tout le monde avait la tête ailleurs... mais j’ai décidé de rester. J’ai eu l’opportunité de démarrer une nouvelle équipe, toujours autour de la réalité augmentée, mais cette fois sur PS4, qui avait à la fois une caméra et une manette pouvant être traquées dans l’espace. Toute l’expérience autour d’EyeToy et de ses suites pouvait être utilisée dans ce cadre. Voilà comment est né Asobi Team, qui deviendra plus tard Team Asobi. À la base, le studio devait se focaliser sur la recherche et le développement, être un pont entre ceux qui font la technologie – le hardware – et les équipes de jeu. Nous n’étions que quatre ou cinq personnes, et l’idée était de réaliser des démos pour montrer ce dont la technologie était capable et d’inciter les développeurs à s’en saisir. Rien de plus. Mais ce qu’il s’est passé, c’est que chaque équipe des autres studios était occupée par ses propres projets. Alors, assez naturellement, la direction nous a demandé de peaufiner nos démos pour les mettre dans la console. Là, l’équipe s’est agrandie. »
La réalité virtuelle en ligne de mire
« Immédiatement après est arrivé le PlayStation VR – connu à l’époque sous le nom de code “Project Morpheus” –, qui est entré en phase de recherche et développement. Et une fois de plus, la direction est venue vers nous car nous savions utiliser la caméra de la PS4 et le tracking, qu’il fallait donc appliquer à la VR. Mais chez Team Asobi – asobi veut dire “jouer” en japonais –, nous avons cette vision du jeu vidéo comme étant quelque chose capable de réunir une famille entière sur un canapé. La technologie était impressionnante, mais je pensais que la VR était une expérience vraiment solitaire. Pour tout vous dire, je n’étais pas très convaincu... Alors, la première chose qu’on a faite, c’est de hacker la console portable de Sony, la PS Vita, pour envoyer deux flux du jeu : un dans le casque, et un sur l’écran de la Vita (qu’on répliquait ensuite sur une télévision). C’est de cette façon qu’on a dévié de l’usage original de la VR et qu’on a pu faire du multijoueur, avec cinq joueurs en même temps : un sur le casque et les autres sur l’écran normal. Soudain, on avait une plus-value par rapport aux autres casques. L’idée de The Playroom VR, un jeu complètement asymétrique, est née ainsi. Je me suis rendu compte après coup qu’on avait défriché un nouveau territoire, une façon de penser la VR comme quelque chose de social. Et dans ce jeu, il y avait notamment Astro, un personnage robotique qu’on avait imaginé. Les joueurs PS VR ont beaucoup aimé son segment plateformes en réalité virtuelle, qui changeait la donne. C’est ce qui a validé le coup suivant du studio, à savoir Astro Bot Rescue Mission, notre premier jeu commercial, toujours en VR. »
Astro et la PS5
« Astro est devenu une mascotte pour PlayStation. Plus tard, la PS5 est entrée en développement et Sony voulait un jeu – ou une petite application embarquée – directement dans la console. On s’est alors dit qu’on pouvait sortir Astro de la VR pour en faire le héros. En parallèle, nous faisions beaucoup de recherches sur la nouvelle manette, la DualSense, quand elle n’était encore qu’un prototype. On a combiné les deux pour faire Astro’s Playroom, qui est une sorte de collection de démos. Mais l’idée était de rendre cela invisible, pour que le joueur ait l’impression de vivre une aventure complète. Même si, dans les faits, ce sont plusieurs petites expériences qui montrent les capacités de la nouvelle manette de la PS5. Et comme nous avions de l’avance sur l’étude de la manette, des studios – même externes – sont venus nous voir pour essayer d’en tirer le meilleur parti. C’est aussi notre rôle. On ne nous force pas à le faire, mais c’est bon pour PlayStation et l’industrie en général. »
Des valeurs et de la diversification
« Nous avons des valeurs dans l’équipe de Team Asobi : cinq piliers. Le premier est la magie : il faut que le joueur oublie la technique et s’émerveille du résultat. Le deuxième est l’innovation, et en général, cela va de pair avec le premier. Notre troisième pilier est le “playful”, le côté joyeux et coloré. Le quatrième est l’universalisme : même un enfant ou quelqu’un qui ne joue pas doit pouvoir prendre la manette et vivre une expérience. Et le dernier est la qualité, car chez PlayStation Studios on a un nom et une marque à protéger. Quoi qu’on fasse, ces valeurs sont au cœur de nos préoccupations. Dans un futur proche, nous avons en tête de nous diversifier un peu, car dans le domaine du jeu pour tous les âges, il y a beaucoup de choses à explorer. Pour l’instant, nous sommes 60 dans le studio et nous visons la centaine de personnes le plus vite possible. Des gens de tous les horizons nous rejoignent. Du jeu vidéo évidemment, mais aussi de l’animation américaine : DreamWorks, Pixar... Je n’ai pas le droit de vous dire sur quoi on travaille en ce moment, mais l’avenir de Team Asobi est en train de s’écrire ! »