Focus sur « Blanc », un conte vidéoludique en noir et blanc

Focus sur « Blanc », un conte vidéoludique en noir et blanc

18 avril 2023
Jeu vidéo
Tags :
Le jeu vidéo « Blanc » adopte une esthétique épurée en noir et blanc.
Le jeu vidéo « Blanc » adopte une esthétique épurée en noir et blanc. Gearbox Publishing

Comment réaliser un jeu en noir et blanc ? Quels enjeux graphiques et artistiques ? Rémi Gourrierec, le game designer de Blanc (studio Casus Ludi) revient sur les origines, les spécificités et les ambitions de ce projet pas comme les autres.


À la mi-février 2023, le studio nantais Casus Ludi sortait Blanc, un jeu visuellement époustouflant où un faon et un louveteau deviennent compagnons d’infortune après une violente tempête de neige. Taillé pour la coopération, ce conte en noir et blanc s’adresse aussi bien aux joueurs occasionnels qu’aux plus confirmés. Décryptage avec son game designer, Rémi Gourrierec, également scénariste et illustrateur de bandes dessinées.

Vous n’êtes pas salarié de Casus Ludi, et pourtant vous êtes le game designer de Blanc

Ce type de fonctionnement existe peu dans le milieu du jeu vidéo, mais il fonctionne ! En fait, j’avais déjà travaillé avec les équipes de Casus Ludi. Cette nouvelle collaboration s’est donc faite de manière assez naturelle. Au départ, il s’agissait d’une forme de coproduction car nous n’étions pas certains de pouvoir récolter suffisamment d’argent. Durant la phase préparatoire, qui a duré une année, je ne me suis pas payé. On a vraiment pu se lancer officiellement après avoir signé avec un éditeur.

Cette dimension visuelle particulière à Blanc – un mélange de zones blanches et de zones hachurées – était présente assez tôt dans la genèse du jeu.

À l’origine du jeu, il y a une game jam… Pouvez-vous détailler la genèse de Blanc ?

Oui, à Québec, en 2019. Nous y avions été envoyés par Atlangames, le réseau des professionnels du jeu vidéo de l’Ouest. Je m’étais fait connaître en tant que « game jamer » ainsi que pour mon efficacité dans ce domaine. J’avais notamment décidé d’y emmener un dessinateur, Raphaël Beuchot, un collègue d’atelier. La game jam avait comme thème celui de la tempête (« A Perfect Storm »), et nous avons pris la décision de traiter l’après. La première image qu’on avait en tête était composée de personnages qui sortent du blanc, de la neige. Nous voulions un jeu fait de vide et de plein – mais du plein un peu chaleureux. Cette dimension visuelle particulière à Blanc – un mélange de zones blanches et de zones hachurées – était donc présente assez tôt. Nous avons fait un point ensemble avec Raphaël Beuchot avant de partir. À ce moment-là, il était dans une démarche personnelle, au-delà de son travail sur la BD, qui portait sur des illustrations très hachurées. Je l’avais à l’esprit quand il a fallu commencer à mettre en place le style graphique du jeu. Sur la game jam, nous avons également fait travailler en illustration un graphiste. Cela avait donc du sens de partir sur du noir et blanc pour uniformiser l’ensemble. Notre travail s’est fait sur la base des illustrations de Raphaël Beuchot, qui ont nourri la direction artistique.

Blanc ressemble-t-il au jeu initial de la game jam ?

Non, pas du tout ! On a développé Blanc par la suite, car on était un peu frustrés : c’était la première game jam où je ne réussissais pas à finir un jeu. On n’avait pas atteint nos objectifs. C’était plus une note d’intention qu’autre chose. Cela peut arriver en game jam, quand on comprend soudain le potentiel de ce qu’on est en train de créer. On se met déjà à imaginer ce que le jeu pourrait être, et on conceptualise du game design ! En fait, il y avait trop d’idées pour une game jam, ce n’était pas cohérent. Mais beaucoup d’entre elles ont été conservées par la suite. Quelques mois après, j’ai repris le projet en retravaillant certains aspects. On avait notamment des personnages en 2D et le décor (les volumes) en 3D. Mais on n’avait pas réussi à faire en sorte que ce soit de la 3D avec du rendu dessiné. Donc le premier choix fait a été de se passer totalement de 2D.

Pourquoi ?

On n’avait pas forcément les moyens en interne d’animer de la 2D. Sans compter qu’il est beaucoup plus simple de trouver des talents pour faire de l’animation 3D ! Et puis cela apportait beaucoup de contraintes techniques par rapport à la mise en scène. Donc j’ai fait moi-même la conversion en 3D des personnages, et à partir de ce moment-là, les choses sont devenues plus aisées. Une fois que tout est sur le même plan de fonctionnement, ça devient forcément plus facile à développer. Même s’il reste des défis techniques sur la façon de gérer l’outline et les hachures en fonction des ombres et de la lumière… Ces systèmes demandent un peu plus de calculs en termes de rendu. Plus tard, il a fallu encore beaucoup travailler le jeu pour qu’il s’adapte au mieux sur Switch.

Il était impossible de ne sortir le jeu que sur PC ?

La Switch est une console qu’on a eue en tête tout de suite, à cause de ses deux manettes et de cette intention qui nous guidait de proposer aux joueurs des contrôles les plus simples possibles. Les deux Joy-Con devaient suffire. Il ne fallait pas commencer à utiliser le stick droit, par exemple.

Cette envie de simplicité remonte-t-elle à la game jam ?

Tout à fait. Nous nous sommes vite mis d’accord sur ce principe, car il semblait cohérent de rester fluide dans la manipulation. Au départ, il n’y avait même qu’un seul bouton d’action, contre deux aujourd’hui ! C’est sûrement la partie sur laquelle nous avons eu le plus d’évolutions en fonction des retours qu’on a pu nous faire. Typiquement, dans les premiers prototypes, le saut offrait plus de liberté au joueur, qui se dirigeait comme dans un Mario en 3D. Si cet usage fonctionne très bien pour les habitués des jeux 3D, il ne convient pas aux enfants ou adultes qui ne jouent jamais, des publics que l’on visait également. C’est pour cela que nous avons mis en place un système qui détecte le saut possible de manière à le rendre automatique une fois le bouton enclenché. Il s’agissait d’éliminer tous les freins à la manipulation. L’ambition était de rendre le jeu accessible au plus grand nombre. Avec le choix du noir et blanc, cette idée est restée un pilier central. La lisibilité et la compréhension de ce qui se passe à l’écran ont énormément influé sur la production du jeu.

Même sur la représentation graphique ?

En partie, oui. On avait notamment plusieurs options sur la mise en valeur des éléments, sachant qu’en enlevant la couleur on se retire forcément des possibilités. On a fait le choix de partir sur des bulles d’information régulières présentes tout au long du jeu. Et comme nous proposions plusieurs actions au choix, ce système nous permettait aussi d’afficher en permanence les boutons. Ce qui nous a fait tendre vers un jeu plutôt orienté sur les recherches d’interactions. On est sur des aspects très noirs pour l’interaction autour du loup, et à l’inverse très blancs quand il s’agit du faon.

Le noir et blanc est-il aussi une façon de se démarquer dans un monde du jeu vidéo hyper concurrentiel ?

Au départ, on ne l’a pas pensé avec cette idée-là. En revanche, cet aspect a compté au moment où l’on a imaginé pouvoir créer un jeu commercial. Le tout était de trouver une forme élégante à l’usage. Et si en plus on pouvait se démarquer graphiquement… Il y a dix ans, ce choix aurait peut-être été un inconvénient. Aujourd’hui c’est un avantage.

L’ambition était de rendre le jeu accessible au plus grand nombre.

Les jeux accessibles aux non-joueurs forment-ils un marché de plus en plus important ?

Je préfère parler « d’approchabilité » plutôt que d’accessibilité. L’accessibilité renvoie aux jeux auxquels auront accès des personnes atteintes de handicap. Mais effectivement : le fait que des gens qui jouent peu ou jamais se sentent désormais à l’aise avec certains titres est un mouvement très fort en ce moment. Je pense que tout le monde a envie jouer, mais qu’on a fait fuir – ou pas suffisamment emmené – une partie des joueurs potentiels. Parfois à cause des thématiques abordées, parfois en raison de la complexité de certains contrôles. Il y a de nombreux jeux sur mobile qui ont eu un impact très important. Je pense notamment à Monument Valley. Au fond, il s’agit de jeux vidéo « standards », mais qui grâce à leurs contrôles simplifiés et leur esprit ont trouvé un plus large public. En revanche, cela demande aux développeurs de penser différemment : ils ont souvent une culture de gamer. Il faut évoluer, faire travailler des équipes qui ne sont pas issus de cette culture. Quand Stray est sorti – avant Blanc –, nous nous sommes rendu compte que beaucoup de leurs choix dans les contrôles correspondaient aux nôtres. Le saut automatique, notamment. On avait appliqué les mêmes solutions sur une même problématique. Je pense que cette intention va constituer un standard à terme afin de toucher le plus large public possible.

Blanc est disponible sur Steam et sur Nintendo Switch - Le jeu a bénéficié du Fonds d’aide au jeu vidéo (FAJV) du CNC.