Comment a été créé votre tout premier jeu vidéo ?
Je suis arrivé dans le jeu vidéo par l’envie de faire de la programmation informatique. Je bricolais déjà pas mal et c’est le côté technologique qui m’a attiré. L’industrie vidéoludique n’existait pas encore vraiment. C’était quelque chose de très artisanal, de très manuel, instinctif, très empirique sur la manière de faire. J’ai dû tout découvrir. Il n’y avait pas de livre, pas de tutoriel, de cours, rien. On était encore dans la période des jeux vidéo 2D à la fin des années 1980 lorsque j’ai créé PopCorn (1988) dans le magasin de mon père. C’était un casse-briques, comme un jeu d’arcade, en un peu plus évolué et en 4 couleurs. Christophe Lacaze souhaitait apprendre à programmer. Je jouais donc le rôle de professeur, de game designer, graphiste et musicien sur ce jeu qui a été notre support. On l’a distribué à quelques copains en Corrèze et il s’est baladé partout dans le monde. On a reçu des milliers de lettres manuscrites ! On était fiers de nous. C’est ainsi que Loriciel à Paris et Laurent Salmeron de Infogrames à Lyon sont tombés dessus. J’ai reçu une proposition d’embauche de chacun d’eux et c’est ainsi que je me suis retrouvé programmeur à Lyon. Maintenant, le jeu vidéo est devenu un métier à part entière avec ses écoles, une grosse concurrence et surtout beaucoup de management à prendre en compte. Dans les années 90, on n’avait même pas l’impression de travailler, même si on faisait parfois jusqu’à 15 heures par jour.
Quel élément culturel vous a d’abord inspiré ?
On n’invente rien, on ne fait que reproduire, ressasser, mélanger des choses qu’on a déjà apprises et découvertes. J’ai eu la chance que mon père, très technophile, accepte de me payer des cours d’électronique lorsque j’avais 13-14 ans. C’était à la fin des années 1970 et il a compris l’essor que prenait l’informatique. Au début des années 80, j’ai eu mon ZX80, mon premier ordinateur personnel. Le samedi après-midi, ne sachant que faire avec mes copains, j’inventais des jeux de toute sorte pour avoir une activité à partager. C’est ainsi que j’ai commencé à faire des jeux vidéo. Mais pour moi ce n’était pas un métier. Mon père de son côté, a ouvert un magasin d’informatique qui faisait vidéoclub. J’étais un peu ermite, je me suis lancé jour et nuit dans la programmation. Je m’étais installé un lit à côté de mon bureau pour éviter de rentrer chez moi et continuer à travailler. Lorsque j’en avais assez, je descendais chercher les cassettes VHS dans le magasin et les regardais. Les films de science-fiction et les films d’horreur italiens des années 70-80 m’ont beaucoup marqué, avec leur groupe de jeunes enfermés dans une maison qui tentent de survivre face à des monstres. Sur l’affiche d’Amityville (1979) le résumé dit : « sortez vivant de la maison ». C’est devenu le thème principal et la structure d’Alone in the Dark. Le côté très ludique des zombies m’a également bien aidé, notamment ceux de George Romero. Un zombie possède énormément d’avantages : il est déjà mort, fait peur, nous rappelle notre propre mort mais surtout nous donne moins de scrupules à le trucider. C’est quelque chose qui m’a suivi toute ma vie. Je n’ai jamais aimé les jeux où l’on demandait au joueur de tuer quelqu’un. Dans tous ceux que j’ai réalisés, je n’ai jamais demandé aux joueurs de tuer des humains. C’est essentiel pour moi.
Comment est né Alone in the Dark justement ?
En 1991, s’il y avait quelques démos, la 3D n’était que très peu développée. Il n’y avait pas encore la fameuse PlayStation (1995) qui l’a démocratisée. J’avais envie de tester de nouvelles technologies. J’ai travaillé chez Infogrames sur Alpha Waves (1991) de Christophe de Dinechin, qui faisait partie des premiers jeux 3D. C’est là que j’ai découvert qu’il y avait quelque chose à faire, même si aucun logiciel dédié n’existait. J’ai dû inventer toutes les routines et l’animation interpolée des personnages. Mon premier modeleur a été un véritable travail de recherche car je ne pouvais m’appuyer sur rien. On était sept au gros de la production pour Alone in the Dark. On avançait tête baissée sans documentation, sans rien : une réalisation artisanale. Didier Chanfray, mon acolyte graphiste, a fait tous les objets, toutes les animations et a aussi été le cobaye sur l’outil 3D au début.
Quel a été l’impact d’Alone in the Dark ?
Comme internet était peu développé à l’époque, nous avons regardé les résultats de sa sortie dans la presse. Le jeu a eu des notes extraordinaires. Nous étions très contents mais nous n’avions aucune visibilité sur l’appréciation des joueurs. Nous ne nous rendions vraiment pas compte de l’impact qu’il pouvait avoir sur l’univers vidéoludique, même globalement. Lorsque Paul de Senneville m’a proposé de fonder mon propre studio, Adeline Software, j’ai sauté sur l’occasion. On a tourné la page, il n’y avait plus que Little Big Adventure (1994) qui comptait. Maintenant qu’il y a internet et des évènements autour de l’univers vidéoludique, je suis confronté au public. Je découvre enfin ces retours de joueurs qui ont trouvé ça révolutionnaire, qui y ont joué 200 fois, qui sont même entrés dans le milieu grâce à Alone...
Quels projets avez-vous aujourd’hui ?
Les gadgets électroniques sont ma deuxième passion. Grâce à cette occupation, je retrouve cette démarche artisanale, proche de la manière dont j’ai découvert les jeux vidéo dans les années 80. Je renoue avec ce côté explorateur de technologie pour aller au-delà du duo classique manette/ écran. Je fabrique tout moi-même, toujours dans une volonté de créer quelque chose de ludique.