D’où vient votre goût pour le jeu vidéo ?
Je joue beaucoup depuis mon enfance et j’ai toujours aimé savoir comment étaient faites les choses plutôt que les consommer. Je me suis donc beaucoup intéressé à la programmation en grandissant. L’étape suivante a été de créer moi-même. J’aime ce côté « créateur » du jeu vidéo, un media qui a l’avantage d’être à la croisée de l’interactivité et de l’image, ce qui permet d’imaginer de belles choses. C’est un art qui me plaît énormément.
Pourquoi avoir directement créé votre propre studio, sans officier d’abord dans une société existante ?
La création de Midgar Studio s’est faite par la force des choses. J’ai toujours développé des contenus et j’ai très vite eu des clients. J’ai donc créé mon entreprise et j’ai bifurqué ensuite, au fur et à mesure, vers le jeu vidéo. Je n’ai pas travaillé dans une autre société car j’aime faire ce dont j’ai envie, ce qui aurait compliqué les choses dans un grand groupe. Même si Midgar Studio réalise encore des prestations pour des clients, nous suivons rarement la vision d’autres personnes. J’aime avoir mon idée en tête et la suivre avant de partir vers un autre projet. Ma décision de créer mon propre studio est aussi liée au fonctionnement de ma société. Même si elle grandit, j’essaie de garder une organisation où chaque personne est importante et a son mot à dire.
C’est-à-dire ?
Tout le monde est impliqué dans le processus de création, personne ne se sent comme un numéro devant effectuer une mission. Un terme, entendu en déposant une propriété intellectuelle, résonne en moi. La personne qui m’avait reçu m’a parlé « d’œuvre collective ». C’est exactement ça : un jeu vidéo n’est pas seulement une œuvre industrielle, c’est un travail collectif. J’aime cette idée de créer à plusieurs et j’essaie de cultiver ça à Midgar Studio qui a 13 employés actuellement - nous avons grandi récemment -, même si je garde une partie de la direction créative. Mais je ne veux pas que l’équipe se retrouve comme dans certaines grandes sociétés, à ne travailler que sur des modules d’un jeu sans forcément avoir une vision d’ensemble. La polyvalence est vitale chez nous, même si le projet est petit.
Parallèlement à vos jeux, vous continuez à réaliser des prestations pour d’autres sociétés. Est-ce pour avoir les moyens de financer vos propres projets ?
Pour être complètement honnête, c’est surtout parce que j’aime travailler sur des choses différentes, je ne tiens pas en place. Ce n’est donc pas pour des raisons financières même si ce que rapportent ces collaborations est appréciable. Mais nous sélectionnons généralement des projets qui nous font envie, c’est notre priorité. Nous avons par exemple collaboré récemment avec Shiro Games pour le portage (l’adaptation du jeu à un nouveau système, ndlr) de Northgard et nous avons aussi réalisé la partie graphique de l’escape game jeu vidéo Echo Squad de Gear Prod.
Quelle est votre ligne directrice créative pour vos propres jeux tels que Hover : Revolt of Gamers et Edge of Eternity ?
Je ne pense pas avoir de ligne éditoriale pour les jeux que nous produisons : nos prochains projets sont d’ailleurs tous différents les uns des autres. Il y a plutôt une ligne directrice dans notre manière de procéder : tous nos jeux sont en effet sortis en early access (sortie anticipée, ndlr). Je pense que nous allons d’ailleurs continuer ainsi car ça nous permet de récolter très tôt des retours des joueurs sur le développement du titre. S’il y a un problème d’équilibrage ou une mécanique qui fonctionne mal, nous pouvons l’ajuster avant la sortie. Travailler avec la communauté des joueurs nous plaît.
Est-ce un moyen également de s’assurer une publicité grâce au bouche-à-oreille ?
Oui, et les joueurs qui s’investissent dans l’early access s’attachent vraiment au projet : ils s’impliquent, en discutent sur des forums… Ils font en quelque sorte partie des développeurs du jeu car nous le modifions selon leurs retours.
Quel impact ont eu ces retours dans le processus de création d’Edge of Eternity, projet lancé il y a 6 ans et dont la version bêta vient de sortir ?
Ce jeu nous a permis de passer de la catégorie « semi-amateurs » à « professionnels ». Il nous a permis de maîtriser nos outils et notre façon de travailler. Nous avions fait, au départ, une version mobile pour suivre l’avènement de ce type de jeux. Mais la campagne de financement participatif n’a pas fonctionné, non pas parce que le projet n’intéressait pas, mais parce que le public montrait davantage d’intérêt pour une version sur console. Nous avons donc travaillé deux ans et demi sur un prototype et avons lancé une deuxième campagne qui a bien marché. Il nous a encore fallu plus de deux ans de travail avant de sortir la version disponible sur Steam (plateforme de streaming de jeux vidéo, ndlr) et de le sortir en early access. Le code du jeu a été beaucoup modifié pour prendre en compte les retours des joueurs. Il y a eu de nombreuses galères, mais aujourd’hui, alors que le projet arrive à son terme, nous pouvons tous en être fiers.
Quelles sont les caractéristiques d’Edge of Eternity ?
Pour un joueur faisant les quêtes principales, quelques-unes secondaires et des combats, la version actuelle demande une trentaine d’heures de jeu. Celle finale en comptabilisera plus de 50. Le genre choisi – RPG (jeu de rôles, ndlr) - est un avantage car c’est un jeu « au tour par tour » (il faut attendre son tour pour jouer ndlr) et les combats sont donc plus longs. C’est également un jeu en monde ouvert, plus grand et plus compliqué à créer mais qui présente l’avantage d’avoir des temps de trajets. Il faut donc meubler avec des activités un peu moins intenses. Le monde ouvert nous aide ainsi à créer beaucoup de contenus. Avec le RPG, les choses sont enfin très codifiées, il y a donc une suite d’outils qui nous permettent de prototyper rapidement du contenu.
Pourquoi avoir choisi le RPG ?
Nos précédents jeux suivaient un peu les tendances. Mais Edge of Eternity est un peu le projet de la dernière chance. Nous nous sommes donc dit que si le studio devait continuer, c’était avec un jeu qui nous fasse plaisir.
Mais il y avait aussi une question de saturation de marché : il est aujourd’hui beaucoup plus facile d’être visibles avec un J-RPG (jeux de rôles japonais, ndlr) tour par tour car ce type de jeux est devenu rare sur le marché. Des titres extraordinaires sortent régulièrement en Triple A, il est donc plus difficile de se faire remarquer et le développement est plus complexe.
Que souhaitiez-vous raconter dans Edge of Eternity ?
Le jeu met en scène deux personnages, dont un soldat d’un monde un peu médiéval qui est en guerre contre un peuple venu de l’espace. Lorsque sa mère contracte une maladie mortelle diffusée par cette faction de l’espace, il déserte l’armée et se lance avec sa sœur en quête d’un remède.
Vous respectez la parité pour vos personnages principaux – un frère et une sœur. Est-ce un choix fait en lien avec les préoccupations actuelles de la société ?
Nous avons commencé ce projet en 2011 et il y avait déjà un frère et une sœur. Nous avions dès le départ la volonté d’avoir un personnage fort féminin, ce n’est pas lié aux différents mouvements pour la parité entre hommes et femmes. Cette héroïne a étonnamment été détestée au départ par les joueurs. Mais lorsque ces derniers ont découvert les secrets de l’histoire, ses choix et ses faiblesses, ils ont fini par s’y attacher.
Midgar Studio a bénéficié du Fonds d’aide au jeu vidéo du CNC.
une version finale en 2021
La version finale d’Edge of Eternity est attendue pour le printemps 2021. Elle comportera un chapitre de plus que la version bêta - un 7e chapitre plus important que les précédents. Midgar Studio prévoit également de rajouter, après la sortie, du contenu secondaire gratuit. « Nous avons prévu d’entretenir le jeu pendant un an ou deux », ajoute Jérémy Zeler-Maury sur ce jeu dont la BO a été réalisée par Yasunori Mitsuda, un célèbre compositeur japonais de jeux RPG, et le compositeur français Cédric Menendez (la musique a été enregistrée avec l’Orchestre Philharmonique de Bratislava).