Avez-vous choisi de rendre hommage à ce jeu parce que vous en étiez fan ?
Oui tout à fait, lorsque nous avons commencé à faire ce projet-là en 2013, nous nous sommes dit qu’il y avait peu de jeux, à l’époque, qui étaient proches de la sensation qu’on pouvait avoir en jouant avec ces vieux titres tels que Wonder Boy III: The Dragon's Trap parce qu’il n’y avait pas du tout de Metroidvania (nom donné notamment aux jeux dont certaines parties ne sont accessibles que lorsque le joueur a réussi certaines missions ou gagné des éléments particuliers ndlr) sur le marché. Wonder Boy était une vraie référence pour nous et nous voulions créer un jeu qui s’en rapprocherait. Nous avons lancé une campagne de financement participatif et, sur les conseils du journaliste américain Kurt Kalata de Hardcore Gaming 101, nous avons contacté directement le créateur de Wonder Boy Ryuichi Nishizawa pour lui expliquer notre projet qui était au départ une suite de notre jeu Flying Hamster, et lui dire qu’il n’existerait pas sans ce qu’il a fait dans les années 1980-1990. Il nous a répondu en comprenant qu’on lui demandait à avoir la licence Wonder Boy et qu’il pouvait nous aider à l’avoir. Nous ne nous y attendions pas mais tant mieux, car il nous a donné l’opportunité de reprendre des éléments de l’univers de Wonder Boy : nous avons des ennemis et des personnages communs, des morceaux de level design... Au final, c’est davantage une suite qu’un hommage.
Pourquoi ne pas avoir repris le nom de Wonder Boy ?
Pour des questions de droits mais aussi parce que cette série de jeux est compliquée, nous voulions donc la compliquer encore plus (rires). En réalité, la question des noms dans Wonder Boy est un cauchemar et nous nous sommes dit qu’aujourd’hui, la licence ne parlait pas à tant de monde que ça. Changer le nom permettait de montrer qu’il ne fallait pas forcément connaître Wonder Boy pour jouer à cet épisode-là. Nous avons donc choisi Monster Boy, qui est un habile mélange entre le nom japonais du jeu (Monster World) et celui utilisé en Europe et aux Etats-Unis qui est Wonder Boy.
Après avoir eu l’accord de Ryuichi Nishizawa, avez-vous continué à travailler avec lui ?
Il nous a donné son feu vert puis nous avons travaillé de notre côté. Nous lui avons ensuite donné petit à petit des infos sur le graphisme pour avoir des retours : nous lui avons aussi envoyé des bibles et lui avons demandé son avis sur le nom du jeu. Il y a eu plusieurs allers-retours qui nous ont été bénéfiques car il avait une vision différente de la nôtre. Echanger avec ce personnage incroyable était extrêmement motivant. J’ai encore du mal à réaliser que nous avons travaillé avec lui et qu’il nous ait fait confiance.
Pour garder un lien avec le pays d’origine de Wonder Boy, vous avez aussi travaillé avec des compositeurs japonais comme Yuzo Koshiro, Motoi Sakuraba, Michiru Yamane, Keiki Kobayashi, Takeshi Yanagawa et Haruka Shimotsuki…
Nous voulions au départ travailler avec Shinichi Sakamoto, le compositeur de Wonder Boy III car cette musique me touchait depuis ma plus tendre enfance et ces thèmes sont indémodables. Je voulais retranscrire dans notre jeu cette richesse d’écriture. Malheureusement, Shinichi Sakamoto n’était pas disponible, nous avons donc envoyé notre demande à une dizaine d’autres artistes japonais. Deux ont répondu présent immédiatement – et nous ne n’y attendions pas du tout : Michiru Yamane qui a composé Castlevania : Symphony of the Night et Motoi Sakuraba (Dark Souls et la série Tales of) qui est un peu un génie de la composition de musique de jeux vidéo japonais. FDG Entertainment, notre éditeur et coproducteur qui s’est également occupé de la sous-traitance de la musique et de la création de l’introduction du jeu, nous a trouvé d’autres compositeurs tels que Yuzo Koshiro. Et lui a ramené aussi d’autres artistes japonais. Au final, nous avons une équipe improbable de musiciens (japonais mais avec aussi des Américains et Européens) pour cette BO composée de 48 titres, dont la moitié sont des nouvelles versions des arrangements des anciens jeux.
Il vous a fallu 5 ans, au lieu des 3 prévus, pour terminer le jeu. Quelles étaient les principales difficultés lors du processus de création ?
Nous avons commencé le projet avec une petite équipe, nous n’étions que 4, et nous n’avions pas anticipé l’émergence des Metroidvania sur le marché pendant le développement de notre jeu. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait donc un vrai besoin autour de ce type de jeux. Nous nous sommes donc dit que pour avoir une chance face à cette concurrence énorme, nous devions monter le niveau partout pour que le contenu soit extrêmement conséquent et convaincant. D’autre part, un de nos amis a fait un remake de Wonder Boy III avec un habillage très moderne. Nous devions donc faire quelque chose d’aussi joli. Nous avons finalement rajouté du contenu, retravaillé le personnage principal et le graphisme. Puis lorsque nous avions tout le contenu, nous avons tout refait, en animant tout à la main.
Pourquoi avoir animé à la main ?
L’animation à la main correspond également à l’univers de Wonder Boy et des jeux des années 1980-1990 qui étaient très colorés et transpiraient la bonne humeur. Nous devions retranscrire ça artistiquement et graphiquement.
Quels défis représente la création d’un Metroidvania ?
Tout doit être fluide lorsqu’on joue, ce qui nécessite de nombreux tests. Pendant 2, 3 ans, nous avons organisé beaucoup de playtests pour avoir les retours des joueurs et voir ce qui pouvait coincer. Le Metroidvania est un jeu dans lequel on donne petit à petit les mécaniques du jeu et les outils pour débloquer l’exploration. Il faut donc faire en sorte que le joueur ne lâche pas l’exploration, qu’il ne se sente pas perdu. Il faut anticiper tout ce qu’il va faire et éliminer ce qui peut l’ennuyer afin d’arriver à un résultat équilibré.
L’une des particularités de Game Atelier, c’est que vous réalisez vos propres outils de création. Pourquoi ?
Lorsque nous avons commencé le jeu, il y avait des moteurs disponibles mais la plupart étaient orientés vers la 3D alors que nous voulions faire de la 2D. Nous voulions également garder la main sur les plateformes de destination du jeu : en utilisant les moteurs existants, il faut par exemple attendre qu’ils sortent des extensions pour que le jeu soit jouable sur les nouvelles consoles. Nous ne voulions pas être dépendants de cette technologie. C’est donc d’abord un choix technique fait avec mon associé David Bellanco, co-créateur de Game Atelier. Monster Boy est un jeu en 2D et HD fait avec nos propres outils technologiques. Nous avons par exemple conçu l’outil d’animation 2D qui permet d’importer des animations faites à la main pour les optimiser, l’éditeur de niveaux permettant aux level et game designers de créer les cinématiques dans le jeu ainsi que des outils pour inclure de manière optimisée le texte dans le jeu : il est traduit dans 12 langues, dont le japonais, le chinois traditionnel, le polonais. Il y a donc des caractères spéciaux à prendre en compte.
Monster Boy a été soutenu par le Fonds d'aide au jeu vidéo du CNC.