De quelle manière votre association participe-t-elle à la Gamescom ?
Nous n’y prenons pas part en tant que Women in Games : nous n’avons pas de stand par exemple. J’y suis présente pour mon activité professionnelle et j’en profite pour organiser quelques rendez-vous au nom de l’association. La Gamescom est un événement européen à la fois professionnel et grand public, dédié aux jeux vidéo. Il y a deux sortes de halls : ceux réservés au B2B, consacrés aux échanges entre professionnels, et où des studios cherchent des éditeurs, des partenaires techniques ou financiers. Puis il y a les halls grand public, dans lesquels les éditeurs et les studios montrent leurs jeux aux joueurs et aux joueuses. La Gamescom est pour nous l’occasion de rencontrer nos homologues des autres territoires. Il y a par exemple WiG Italie qui a organisé un petit déjeuner vendredi matin.
Quand vous parlez de WiG Italie, cela sous-entend que votre association a dépassé les frontières et s’est implantée dans différents pays ?
Oui et non. Il y a en fait plusieurs entités qui détiennent ce nom. Pour autant, il n’y a pas de réseau global. Nous n’avons pas de cahier des charges avec des objectifs coordonnés. Ce n’est pas aussi structuré qu’une franchise. Nous utilisons le nom, nous avons globalement les mêmes objectifs et aspirations, mais nous sommes totalement autonomes comme organisation, vis-à-vis de nos actions et de nos dispositifs. En France, c’est quelque chose que nous aimerions changer : nous trouvons dommage de ne pas nous parler un peu plus. Cependant, toutes les structures n’ont pas la même forme non plus. En Angleterre, WiG est une société, qui était au départ une société de recrutement. Se mettre sur le créneau des femmes dans le jeu vidéo, c’était un positionnement professionnel et compétitif.
Vous êtes aussi directrice de l’agence de communication Minuit Douze liée aux jeux vidéo. En tant que femme, est-ce une position compliquée à assumer dans ce milieu ?
Cela dépend énormément des types de postes. De mon côté, par exemple, j’occupe une fonction de communication et de marketing dans laquelle la répartition hommes-femmes est globalement égale. Dans les entreprises du jeu vidéo, surtout dans les métiers support, marketing ou RH, il y a quasiment une parité. En revanche, lorsqu’il s’agit de métiers plus techniques ou de design, il n’y a que 6% de femmes.
Selon les professions, celles-ci sont plus ou moins représentées et moins elles le sont, plus cela peut être compliqué pour elles. Cela étant, tous les scandales qui ont éclaté post #MeToo, que ce soit chez Ubisoft, chez Activision Blizzard ou dans d’autres studios (ndlr : les deux entreprises citées ont depuis pris des mesures), ont fait évoluer les choses. Cela ne concerne pas uniquement le harcèlement auprès des femmes, mais des travailleurs et travailleuses au sens très large, comme dans toutes les industries. Tout cela fait qu’aujourd’hui il y a des choses que nous ne pouvons plus ignorer, et qui ne le sont plus. Petit à petit cela avance, même si tout n’est pas réglé.
Concrètement, avez-vous été découragée par l’attitude de certains hommes dans le cadre professionnel ?
Découragée non, déçue oui. Nous avons déjà perdu un appel d’offres parce que nous sommes deux femmes à la tête de l’agence. Cela ne nous a pas été dit de cette manière, mais nos interlocuteurs pensaient que, comme nous sommes des femmes, nous n’étions pas d’assez grosses joueuses, et donc que nous ne pouvions pas assez bien comprendre leur jeu.
Justement, que dire de la place des gameuses dans les jeux vidéo ?
L’expérience n’est pas la même s’il s’agit d’un jeu solo ou d’un jeu en ligne, et sur un jeu compétitif c’est encore différent. Dans certains d’entre eux, par exemple League of Legends on sait d’expérience qu’il y a beaucoup de sexisme, de misogynie, de harcèlement. C’est un fait. Pour autant, ce n’est pas une fatalité, les éditeurs s’emparent de plus en plus du sujet (ndlr : Riot Games, l’éditeur de League of Legends, a notamment pris des mesures en ce sens). Ils essaient de trouver des solutions, mettent en place des serveurs sécurisés pour certaines catégories de personnes qui pourraient se sentir oppressées ailleurs. Tout ce qui est automatisé n’est pas encore efficace : les systèmes de report ne sont pas encore suffisants. Les personnes nocives peuvent revenir avec des comptes différents à chaque fois.
Comment expliquer cette situation ?
Des études ont montré que le système des réseaux sociaux nous enferme dans un cercle où nous avons l’impression que tout notre entourage partage les mêmes opinions que nous. C’est l’effet des algorithmes, qui repèrent nos orientations et nos idées et vont mettre en avant les publications qui sont en cohérence avec ce que nous pensons. Nous avons souvent l’impression que tout le monde pense comme nous, et que nous pouvons nous permettre de tenir des propos misogynes. Mais les personnes victimes laissent de moins en moins passer ces actes, ce qui participe à une prise de conscience et à une éducation générale. On a quand même envie de croire qu’il y a moins de tolérance vis-à-vis de ces agissements.
Comment est née l’association Women in Games ?
Women in Games a été créée en 2017 par Audrey Leprince, directrice du studio The Game Bakers, et Julie Chalmette, directrice générale France de Bethesda, un éditeur de jeux vidéo, et présidente du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL). Toutes les deux avaient l’intuition qu’il y avait moins de femmes que d’hommes dans l’industrie de façon générale. Je parle d’intuition car il n’existait pas encore de chiffres à ce moment-là. Elles ont voulu créer Women in Games pour développer la mixité et la diversité au sens large dans les entreprises de jeux vidéo en France. Cela passe par différentes actions. Un système d’entraide et de networking pour les femmes qui sont dans l’industrie ou qui aimeraient la rejoindre a été lancé. C’était une manière de sensibiliser les différents acteurs à l’intérêt de la mixité. Tout comme l’accompagnement des jeunes filles sur la connaissance des métiers du jeu vidéo. Le but est de promouvoir des modèles féminins, des femmes qui ont déjà de beaux postes, des parcours extraordinaires et donc de les faire connaître auprès des plus jeunes qui pourraient davantage s’y identifier. L’association compte actuellement 2500 membres.
La réalisation récente du webdocumentaire Légend(e)s, au cœur de Women in Games France s’inscrit-elle dans la même logique ?
Oui, car l’association est aussi un incubateur. Nous avons trois équipes de femmes que nous accompagnons dans leur professionnalisation sur la scène esport. Elles sont coachées, mentalement, en jeux, elles font des Boot Camp, elles sont formées et accompagnées sur la prise de parole, la confiance en soi etc. Master Card et Société Générale en sont partenaires. Ils ont souhaité créer et développer ce documentaire. Ce film est à la fois une manière de montrer qu’il est possible d’y arriver, de mettre en avant les solutions et les dispositifs que l’on propose chez WiG, mais également de révéler les freins qui persistent. Cet incubateur a des effets très concrets puisque certaines de nos joueuses volent maintenant de leurs propres ailes.
Légend(e)s, au cœur de Women in Games France est disponible sur Youtube.