Quelle est la genèse d’Unmaze ?
Le concept d’Unmaze est directement lié à la lecture de La Demeure d’Astérion de Jorge Luis Borges. Cette nouvelle place le lecteur du point de vue du Minotaure dont le vrai nom est Astérion. Contrairement à sa représentation mythologique, Borges l’envisage comme un être en détresse, fragile, qui vit dans des souterrains. Un jour, il voit arriver Thésée et se jette immédiatement sur son épée. Ce sacrifice est la seule façon pour lui de sortir du labyrinthe. Ce Minotaure, profondément humain, allant à rebours des idées reçues, m’a immédiatement touché. Jorge Luis Borges faisait du lecteur un acteur à part entière, il a en quelque sorte préfiguré le jeu vidéo. Je me suis donc basé sur cette nouvelle et j’ai imaginé un concept où le joueur aurait pour but de sauver le Minotaure. J’ai ensuite développé une histoire propre à notre jeu.
Justement, que raconte Unmaze ?
Le joueur doit faire attention à ne pas trop privilégier un personnage plutôt qu’un autre. Lorsqu’il se focalise sur l’un et l’aide ainsi à retrouver son chemin, l’autre, délaissé, sombre peu à peu, s’enfonce dans ses propres ténèbres pour devenir une créature menaçante. D’une certaine façon, c’est le joueur qui crée le Minotaure. Sans lui, il n’existerait pas. Ariane reste donc tiraillée en permanence entre son amour pour son frère et celui pour son amant. Impossible dilemme.
Comment se déroule concrètement une partie ?
Le joueur entre dans un monde en noir et blanc et se déplace dans cette aventure en tenant compte des variations de lumière autour de lui. Nous nous servons des capteurs de lumière dont sont équipés tous les téléphones portables. Ils permettent d’adapter la luminosité de l’écran en fonction du niveau d’obscurité. Le joueur doit donc adapter son environnement en fonction du personnage avec lequel il veut interagir. Pour communiquer avec Thésée, il va devoir se mettre dans la lumière. À l’inverse, Astérion a besoin d’obscurité. On a testé le jeu avec des enfants qui s’adaptent très bien à ce gameplay. Ils n’hésitent pas à se mettre sous une couverture pour se retrouver plus vite dans le noir. Unmaze se décompose en plusieurs phases. Les séquences dans le labyrinthe jouent avec les perspectives. Il y a également des parties plus cinématographiques avec de l’animation classique. Le gameplay mélange plusieurs directions artistiques.
Pourquoi avoir imaginé un monde uniquement en noir et blanc ?
Pour renforcer cette idée d’ombre et de lumière. La direction artistique accentue les variations. Le monde de Thésée est saturé de blanc, très lumineux, alors que celui d’Astérion est très sombre. Nous nous sommes inspirés des mangas japonais pour imaginer l’animation. On voulait, en effet, quelque chose de moderne qui ne renvoie pas forcément à la mythologie.
Cette inspiration manga apporte de la fraîcheur et de la légèreté à cette histoire plutôt dramatique. Les deux références principales sont Amer Béton de Taiyo Matsumoto et Blame! de Tsutomu Nihei.
Comment avez-vous développé Unmaze ?
Il nous a fallu cinq ans pour le concevoir. Le développement d’un jeu vidéo est un work in progress permanent. À toutes les phases de la création, nous organisons des tests et faisons évoluer le concept en fonction des retours. Au départ, Unmaze tenait plus du livre interactif. À la demande des joueurs, il nous a fallu, par exemple, développer la profondeur du labyrinthe. Les joueurs voulaient pouvoir aller très loin. Cela nous a donc obligés à revoir notre plan de travail et le budget. De plus, cette idée d’interagir avec la lumière ambiante est un concept entièrement nouveau et il a fallu beaucoup de travail pour le conformer aux différents types de téléphones portables. À ma connaissance, seule la Game Boy de Nintendo avait utilisé ce concept avec un jeu de vampires à la fin des années 90. Unmaze a été écrit avec le scénariste Thomas Cadène qui est un auteur de bande dessinée. Trois ans ont été nécessaires pour en venir à bout. Unmaze contient plus de 100 000 mots pour un jeu de plus de six heures. Il y a huit fins différentes. Frédéric Jamain, qui s’était déjà occupé de la photographie de mon court métrage interactif Ordesa, a signé la direction artistique. Le dessinateur Florent Fortin a, lui, tout illustré et animé. Dans le jeu vidéo, il faut savoir rester humble, car tous les intervenants sont des auteurs du projet à part entière. Un projet est remis en question en permanence par les utilisateurs. Il faut l’accepter. Entre les intentions de base, la promesse du projet et le résultat, il y a parfois un monde.
Et en termes de production ?
Unmaze a été coproduit par Upian, une société de production interactive, Arte et ma propre société Hiver.
La présence d’Arte est-elle surprenante ?
Nous avions déjà travaillé ensemble sur Ordesa. Arte aime vraiment le jeu vidéo et développe un savoir-faire. La place de l’auteur est centrale et la démarche artistique très forte. La chaîne produit mais édite également. Ainsi, ils peuvent accompagner les projets jusqu’à leur mise sur le marché en s’occupant du marketing et de la communication. Le monde du jeu vidéo sur les téléphones portables est très concurrentiel. Il y a environ 500 applications qui sortent par semaine. C’est important d’avoir un partenaire comme Arte pour exister.
Le jeu est prévu pour le 21 juin. Où en êtes-vous ?
Le jeu est techniquement terminé. Il faut maintenant s’assurer que tout marche. Il y a donc la phase dite de QA [pour Quality Assurance, ndlr]. Des testeurs essaient d’explorer toutes les phases du jeu pour tenter de révéler d’éventuelles failles. Unmaze sera disponible en cinq langues : anglais, français, allemand, portugais et russe. Le jeu sera gratuit dans sa forme allégée et payant pour une utilisation plus poussée.
Vous avez d’abord travaillé pour le cinéma et la publicité avant de passer au jeu vidéo. En quoi ce monde vous attirait-il ?
L’univers du jeu vidéo et du transmédia de manière générale est finalement assez jeune et permet de nouvelles formes d’écriture. Le champ des possibles semble infini. C’est lors d’un voyage en Asie que j’ai été attiré par le jeu vidéo. De retour en France, j’ai essayé de me faire accepter dans ce monde très spécifique et assez fermé aux non-initiés. Je me rendais alors dans tous les évènements professionnels... Je suis reparti de zéro pour avoir une légitimité. Aujourd’hui, je suis très heureux d’évoluer dans ce territoire où l’expérimentation est la règle.