Vous êtes chercheur au CNRS, écrivain et joueur à vos heures perdues. Qu’est-ce qui vous a donné envie de croiser le monde du jeu vidéo et celui de la science dans votre travail ?
Depuis quatre ou cinq ans, je travaille sur l’élaboration d’un jeu vidéo sur la physique des particules. Un jeu avant tout ludique, dans lequel la science sert de toile de fond, mais qui doit aussi permettre au joueur d’en découvrir les grands principes. Après avoir levé des fonds pour lancer cette activité et fait quelques rencontres avec des professionnels du secteur, en particulier de chez Ubisoft, j’ai décidé de monter une chaire sur le jeu vidéo à l’École polytechnique.
Quelle est la structure mise à votre disposition pour ce nouveau champ de recherche ?
Quatre professionnels de l’industrie vidéoludique sont au cœur du travail de cette chaire : il y a un game designer, un développeur, une graphiste et une cheffe de projet. Ils accompagnent cinq projets collaboratifs avec les étudiants. L’un deux est mené en partenariat avec l’association Mon cartable connecté, qui permet à des enfants hospitalisés de suivre une classe à distance. Une des équipes travaille sur une façon de prolonger l’expérience de la récréation en créant des petits jeux asymétriques entre un enfant sur sa tablette et ses camarades au milieu de la cour. Un autre projet, plus ambitieux technologiquement, est un jeu où l’on réfléchit à une autre utilisation de la physique que celle pour les jeux vidéo classiques (dynamique, collisions, gravité…). On s’interroge sur la manière d’intégrer la thermodynamique, l’électromagnétisme ou encore la tenue des matériaux dans un système de voxel (pixel en 3D). Cela nous permet de réfléchir à un nouveau type de gameplay et à rendre les environnements plus réalistes. C’est un énorme enjeu pour Ubisoft, notamment pour les jeux en open worlds (mondes ouverts ndlr).
Cette chaire est financée par une entreprise privée, Ubisoft. Quelles sont les motivations pour un géant du jeu vidéo d’investir dans une telle cellule de recherche ? Et serait-il possible qu’Ubisoft profite des débouchés de cette collaboration ?
Ce n’est pas exclu mais notre chaire est avant tout une chaire de mécénat. Nos découvertes iront dans le domaine public et la participation d’Ubisoft s’apparente au fond à un don pour l’avancement de la cause scientifique. L’un des plus gros enjeux pour Ubisoft, c’est d’avoir des systèmes réalistes qui peuvent tourner en temps réel, par exemple pour simuler la météo. Cela reste du domaine de la « cosmétique », même si les données météorologiques peuvent parfois influencer le gameplay.
Outre une recherche de réalisme, le jeu vidéo est-il envisagé pour résoudre des problématiques scientifiques ?
Ce n’est pas une piste que l’on suit activement. Je suis persuadé que c’est un outil fantastique pour les sciences humaines et sociales. Moins pour les sciences dures. A part quelques exceptions comme Fold It, jeu dans lequel le joueur doit plier des protéines, l’intelligence artificielle sera presque toujours supérieure à l’être humain pour les sciences dures. Il y a sans doute des tas de choses à faire sur l’étude de l’être humain, de ses comportements et des sciences cognitives.
En tant que gamer, quels sont les jeux vidéo qui vous influencent dans votre travail ?
J’ai commencé à jouer avec Civilization 1 ou 2. Je sais que le jeu, adolescent, m’a apporté une forme de complément à mes cours d’histoire. L’arbre technologique de CIV m’a également permis d’acquérir une connaissance historique et une compréhension du développement de l’humanité. Plus récemment, j’ai joué à The Witness car je trouve la variation des puzzles et le gameplay fascinants. Cela vient certainement de ma curiosité envers des jeux à composantes mathématiques.