Comment est né Shoot the Book! ?
Nathalie Piaskowski : Dès l’origine en 1960, les éditeurs réunis au sein de la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf) – et c'était visionnaire à l'époque – se sont employés à développer des liens avec les producteurs audiovisuels, qu'ils soient français ou étrangers. Aujourd'hui, plus de 60 ans après sa création, près de 400 éditeurs adhèrent à la Scelf, représentant les intérêts des auteurs dans les adaptations audiovisuelles. En 2014, une étude de la Scelf faisait apparaître de manière très significative l'augmentation de la part des adaptations de films issues de livres de langue française (ndlr : leur part est passée de 23 % en 2006 à 32 % en 2012), alors que celle des adaptations de manière générale restait stable autour de 20 %. Après avoir développé un large réseau de producteurs sur le territoire français (notamment grâce aux Rencontres audiovisuelles du Salon du Livre), les éditeurs membres de la Scelf se sont mobilisés pour promouvoir le catalogue de littérature française au niveau international. Le programme Shoot the Book! est le fruit de cette ambition et est devenu le programme phare de notre organisation. Il a vu le jour concrètement grâce au soutien du Festival de Cannes et de son Marché du Film. Il s’est rapidement décliné dans le monde grâce au réseau de l’Institut français notamment à Los Angeles ou encore à Mumbai.
Si nous avons tout de suite perçu le potentiel de Shoot the Book!, quelques inquiétudes subsistaient néanmoins : nous n’étions pas certains de la disponibilité des producteurs, lesquels viennent à Cannes pour boucler en priorité des financements. Mais en dix ans, Shoot the Book! a prouvé sa raison d’être : son audience a triplé et chaque session de rendez-vous dépasse désormais la barre des 200 inscrits en moyenne.
Dès le départ, la volonté est d’en faire un rendez-vous international ?
Absolument ! La Scelf organise déjà, depuis 2009, Les Rencontres audiovisuelles de la Scelf, un marché de l’édition qui rassemble principalement des producteurs français et francophones. Forte de cette expérience, elle a donc étendu le format de ces rencontres à un niveau international dans le cadre du Marché du Film de Cannes. 70 producteurs issus majoritairement du territoire français se sont déplacés pour la première édition de Shoot the Book!. Dix ans plus tard, le rapport s’est inversé : nous accueillons désormais 75 % de producteurs internationaux et 25 % de producteurs francophones.
Un film sur cinq est une adaptation montrait les dernières statistiques sur le sujet réalisées par Livres Hebdo en 2018. Comment expliquer l’engouement des productions pour l’adaptation ?
D'abord, le développement d’un projet tiré d’une œuvre littéraire est souvent moins long, même s’il est difficile d’en apprécier concrètement le véritable impact. Il semble que cet aspect joue d’ailleurs en faveur de la demande importante d’adaptations audiovisuelles par les plateformes, lesquelles sont en recherche constante de contenus. Cette tendance a été renforcée par le décret SMAD (relatif aux services de médias audiovisuels à la demande) du 22 juin 2021 qui prévoit à leur charge un investissement significatif dans la production française. De manière générale, adapter à l’écran une œuvre qui repose sur le socle d’une histoire déjà écrite et documentée rassure les financiers. Et une œuvre publiée, c'est aussi une œuvre qui a gagné des lecteurs, potentiellement futurs spectateurs de la future adaptation.
La création de Shoot the Book! est-elle révélatrice de la façon dont les éditeurs ont décidé de professionnaliser la cession de droits audiovisuels au même titre que la traduction étrangère ?
La professionnalisation des éditeurs français dans le domaine des droits audiovisuels n’est pas récente. Certains éditeurs – les plus grosses structures disposent de services dédiés – étaient déjà très actifs il y a dix ans. Je préfèrerais parler de cercle vertueux : cette professionnalisation préexistante a joué un rôle dans le développement de Shoot the Book!. Mais le programme lui-même, et l’action de la Scelf à travers lui, a permis un entrainement intensif des éditeurs, des plus chevronnés aux moins expérimentés, tant dans la détermination d’œuvres au fort potentiel d’adaptation à l’écran qu’à la négociation de contrats à la complexité grandissante. Ce qui est certain – et les producteurs présents à Cannes lors de cette 10e session nous l’ont souligné – c’est que les œuvres françaises sélectionnées à Shoot the Book! ont atteint, aujourd’hui, un haut niveau de professionnalisme et d’excellence.
Quelles sont les particularités de l’adaptation cinématographique et audiovisuelle ?
Adapter une œuvre, c’est construire un pont entre deux langages très différents : l’écrit et l’image. La marque de fabrique de Shoot the Book!, c’est de conduire l’éditeur à faire les trois quarts du chemin vers le producteur et de s’adresser à lui dans un langage cinématographique. On ne pitche pas un livre, mais une histoire avec des images. Et c’est pourquoi la session de pitches de Shoot the Book! a évolué. Elle s’accompagne désormais de la diffusion de courtes capsules vidéo dont l’objectif est de traduire l’atmosphère du livre pour amorcer chez le producteur un processus qui le mènera à l'option (ndlr : le producteur « réserve » les droits jusqu’à la finalisation du financement).
Combien d’œuvres ont été pitchées depuis la création de Shoot the Book! ?
Un peu moins de 100. Aujourd’hui, 30 % soit près d’un tiers des livres présentés à Shoot the Book! sont optionnés, contre 25 % les premières années de l’événement. Si ce bilan est très positif, il faut néanmoins garder toujours à l’esprit que le temps du cinéma n’est pas celui du livre puisqu’à partir du pitch, il faut compter en moyenne une ou deux années (parfois davantage) pour signer une option d’adaptation, et, souvent plusieurs années pour voir l’œuvre en salle. À titre d’exemple, Notre-Dame du Nil, le roman de Scholastique Mukasonga (ed. Gallimard), présenté à Shoot the Book! en 2015, dont l’option a été signée en 2016, est sorti au cinéma en 2020 (adaptation réalisée par Atiq Rahimi, qui est d’ailleurs membre du jury du Festival de Cannes 2023). Autre exemple, l’adaptation du livre Hiver à Sokcho (Elisa Shua Dusapin ; ed. Zoé) pitché en 2016, est entrée en production sept ans plus tard, en février 2023. Une autre adaptation tirée du roman graphique Come Prima d’Alfred a fait l’objet d’une présentation à Shoot the Book! en 2015 ; l’option a été signée en 2017. Le film est sorti en salle exclusivement en Italie. Shoot the Book! est surtout un accélérateur d’options et facilite la mise en réseau d’éditeurs et de producteurs.
Après dix ans d’existence, comment envisagez-vous l’avenir de Shoot the Book! ?
Notre volonté est de poursuivre notre développement à travers une dématérialisation de l’offre éditoriale. Nous travaillons à la conception d’une base de données qui permettra aux producteurs de tous horizons d’accéder à un riche catalogue d’œuvres littéraires mais aussi à des informations clés (caractéristiques de l’œuvre, contact chez l’éditeur et stade contractuel de l’œuvre, optionnée ou non, en phase de production…). Ce chantier ambitieux doit permettre de faire évoluer les pratiques du secteur de l’adaptation cinématographique et audiovisuelle : c’est en tout état de cause notre ambition.
Les DIX ans de shoot the book!
suivie de la traditionnelle session de pitches Shoot the Book!
(12 livres ont été sélectionnés cette année pour leur fort potentiel d’adaptation à l’écran)