Comment est née l’idée d'adapter Vernon Subutex en série ?
Cathy Verney : C'est Virginie Despentes et la productrice Juliette Favreul Renaud qui m'ont appelée. C'était il y a 4 ans. J'étais alors en train d'écrire un long métrage, mais c'est une offre qui ne pouvait pas se refuser ! J'ai tout arrêté et j'ai dit oui tout de suite. J'avais lu Vernon Subutex à sa sortie en librairie. J'avais adoré. Mieux : j’avais été bouleversée.
Qu’avez-vous ressenti en acceptant cette proposition ?
Cathy Verney : J'étais intimidée au départ. C'est une mission, une responsabilité de porter à l'écran un livre qui parle à ce point à toute une génération. Mais en même temps, j'avais tellement envie d'y aller... Après avoir lu les romans, je voyais très bien qu’il y avait moyen d’en faire une excellente série. Canal+ est très vite rentré dans le processus et j'ai écrit les trois premiers épisodes seule. Ensuite Benjamin a été engagé pour m'aider sur l'écriture.
Benjamin Dupas : J'avais adoré le premier tome et j'étais encore stupéfait par le deuxième volume quand on m'a appelé. J'attendais le tome 3 avec impatience... Ce fut un an d'écriture intense, absolument passionnant. On a vécu dans une sorte de bulle.
Comment est-ce que vous avez fait pour capter l'essence du premier livre ?
Cathy Verney : Ce qui m'avait marqué, c'était le mode de narration. Virginie Despentes nous place à l'intérieur de la pensée des personnages, elle passe du "il" au "je" sans prévenir... je trouvais ça fascinant comme façon d'écrire et j'étais curieuse de savoir comment on arriverait à glisser du très subjectif, du point de vue de Vernon, à quelque chose de plus choral. Mais très tôt, j’ai compris qu’on ne devait pas oublier que le point de vue de Vernon était essentiel. C’est celui qu'on suit en priorité. Il fallait pouvoir basculer, de temps en temps, vers un autre point de vue, mais pas comme dans le roman. Parce que dans le livre, on est parfois perdus. A certains débuts de chapitres, on ne sait pas où on est, avec qui on est. Un personnage qu'on n'a jamais vu arrive et nous raccorde à Vernon... Ça, dans la série, ce n'était pas possible. Il fallait que ce soit toujours Vernon qui nous relie aux autres personnages.
Vous vous êtes donc détachés de la narration de Virginie Despentes...
Cathy Verney : Oui, surtout parce qu’on a choisi d’adopter une structure chronologique. On ne pouvait pas raconter le passé très récent en flash-back. Dans le livre, il y a des flash-back qui remontent des années en arrière, mais il y a aussi des flash-back dans le présent qui reviennent sur une situation qui s’est déroulée la veille. A l'écran, ça ne peut pas fonctionner. Par contre, je tenais à garder les flash-back des années 80, pour raconter cette nostalgie des années rock. Benjamin Dupas : La série est vraiment ce que les Américains appellent "character driven". C'est-à-dire que ce sont des personnages que proviennent les évolutions, les intrigues. Quand on dit ça, on a l'impression que c'est le cas de toutes les séries, mais c’est faux. 90 % des séries sont mues par l'intrigue. Les personnages sont généralement là pour lui donner de l'épaisseur. Ici, c'est la personnalité de Vernon qui conduit l’action, qui transforme le récit. Du coup, on a une intrigue quasiment « existentielle ». Et au niveau de la réalisation aussi : Vernon Subutex est conçu comme un voyage intérieur.
C’est ce qui explique que certaines séquences ressemblent à des « trips » sur le plan visuel ?
Cathy Verney : Oui. Avec le chef opérateur, on a imaginé une lumière qui est le reflet de l'état de Vernon. Quand il est dans la rue, les lumières sont très agressives, et on cherchait ces aspérités. Quelque chose de sale, qui ne soit pas lisse, ou homogène.
Benjamin Dupas : On a dès le début refusé la précision du numérique. Dans l'écriture aussi, il y a quelque chose de quasi impressionniste, en tout cas de très musical. Sur le plan du style, on cherchait une certaine forme de liberté, plus analogique.
Cathy Verney : C'est pour ça qu'on a choisi le format 30 minutes. On avait très envie de se laisser quatre minutes de scènes où il ne se passe rien ! Ces instants où tout est dans les non-dits, dans les regards, dans la difficulté de trouver les mots quand on retrouve un ami qu'on n'a pas vu depuis 25 ans par exemple...
Quelle a été la place du Virginie Despentes dans votre adaptation ?
Cathy Verney : Elle m'a appelé au départ, parce qu'elle n'avait pas le temps d'adapter le tome 1 - elle était en train d'écrire le tome 2. Et puis elle n'avait pas envie de faire cette adaptation elle-même. Elle n'a pas du tout participé à l'écriture et m'a laissé toute liberté.
Le casting de Romain Duris a été une évidence, dès le départ ?
Cathy Verney : Quand j'ai commencé l’écriture, je n’avais personne en tête. Je voyais des visages flous. Et puis j’en ai parlé avec Virginie (Despentes), et le nom de Romain est arrivé tout de suite dans la conversation. Après, on a finalisé le script. Et quelques temps plus tard, au moment du casting, Romain a été une évidence pour tout le monde. Il incarne une époque, il symbolise la jeunesse depuis Le Péril Jeune. La série parle d’un homme qui n'a pas changé, qui est le gardien du temple d’une génération. Forcément, on pense à lui.
Comment est-ce que vous définiriez le ton de la série par rapport au livre de Virginie Despentes, qui est parfois très mélancolique ?
Cathy Verney : On a cherché à décloisonner les genres. Ce n’est pas un polar, ni une comédie, ni un drame... C'est tout cela à la fois. C'est un voyage existentiel. Il y a de la poésie, des éléments un peu mystiques, c’est parfois sexuel, parfois drôle...
Benjamin Dupas : C'est une sorte de désenchantement libérateur. C’est triste, il y a une forme de mélancolie, oui, mais avec un fond de jouissance.
Avez-vous peur de décevoir les fans du roman ?
Cathy Verney : Bien sûr et c'est toute la difficulté d'adapter un roman. Surtout un roman aussi foisonnant, qui change au fur et à mesure de la lecture. Le travail du scénariste c’est de figer tout ça pour mener à bien sa mission. Il doit définir ou fixer les contours de l'imaginaire. Rien que d'y penser, je trouve ça vertigineux. Tout le monde a « son » Vernon en tête. D'ailleurs, quand j'ai lu le livre à l'époque, je ne pensais pas à Romain Duris. Choisir les acteurs, c'est une responsabilité. Chaque décision est lourde quand on signe une adaptation.
Benjamin Dupas : Réaliser, littéralement, ça veut dire rendre réel. Et on espère que les gens vont s’emparer de la série et s'engueuler à propos de nos choix. Bien sûr, on a peur que les fans soient déçus. Mais au moins, on sait que la série ne laissera pas indifférent. Le pire aurait été que ce soit neutre.