Comment vous est venue l'envie de cette adaptation ?
Les premières idées sont apparues il y a sept ans il me semble. Mais le rêve de travailler sur la série est né beaucoup plus tôt, car Benjamin Dupont-Jubien [cocréateur de la société de production Big Band Story], notre producteur, est un grand fan de mangas depuis son enfance, tout comme moi. Nous nous sommes rencontrés grâce à d’autres séries, et nous avons vite compris que nous avions des goûts très similaires. Nous partagions notamment un même enthousiasme autour de Signé Cat’s Eyes, qui était l’une de nos séries animées préférées. Un jour, il m’a proposé d’essayer de l’adapter. Lui et son collègue Mehdi Sabbar avaient des contacts avec le Japon, car ils avaient déjà réalisé des adaptations de dessins animés nippons. Alors nous avons tenté notre chance.
Avez-vous pu discuter directement avec Tsukasa Hōjō, le créateur du manga ?
Non. Du moins pas au départ. Mon premier concept pour la série faisait une dizaine ou une quinzaine de pages, une sorte de petite bible que nous avons envoyée à l’équipe de Tsukasa Hōjō. Rendez-vous a été pris lors d’une convention qui se déroulait à Rome, un peu à l’image de la Japan Expo. Nous espérions serrer la main de l’auteur et finalement, nous l’avons simplement vu passer dans le hall de l’hôtel. (Rires.) Les discussions ont eu lieu avec son associé et ses producteurs, qui considéraient cette adaptation comme un honneur. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux, ils nous ont posé énormément de questions et ont vu que nous connaissions très bien l’œuvre d’Hōjō. Leur peur, je crois, était que nous ne soyons pas de véritables fans, mais des opportunistes attirés par des droits libres. Puis, après tous ces échanges, il y a eu des premières réunions en visio-conférence, où nous avons présenté des éléments visuels pour illustrer notre intention. Ce n’est qu’en juillet 2023, après la signature du contrat, que Tsukasa Hōjō est venu en personne. Les producteurs, ainsi qu’Alexandre Laurent, le réalisateur, lui ont présenté les premières planches, les décors, les costumes, et tout ce qui allait donner vie au projet. Nous avons ensuite déjeuné chez TF1 avec toute l’équipe. Un moment aussi joyeux que surréaliste pour nous.
Quel a été la clé qui vous a permis de vous emparer de cette histoire ?
La première question que l’on s’est posée – et que je me posais déjà petit, en regardant le dessin animé – était la suivante : comment sont-elles devenues voleuses ? Dans le dessin animé, c’est une énigme, puisqu’elles ont déjà des deltaplanes, des hommes de main qui travaillent pour elles… Elles ne sont pas toutes seules et sont déjà millionnaires. Donc je me demandais comment elles en étaient arrivées là. Batman, on sait d’emblée qu’il est riche et pourquoi il est devenu un vengeur masqué. Mais les sœurs Chamade, quel était leur passé ? Quand j’avais la vingtaine, j’espérais trouver des réponses dans le manga. Pas du tout : on est directement dans l’action, les filles sont déjà des voleuses et ont des compétences de ninjas. Mais la grande différence est qu’elles ont des moyens assez réalistes. Comprenez qu’elles n’ont pas d’avion à leur disposition ! Il faut passer une cinquantaine de chapitres pour apprendre qu’elles sont millionnaires et qu’elles possèdent des ressources incroyables. Alors pourquoi leur père ne les contacte-t-il pas ? C’est assez flou. Nous voulions absolument répondre à ces questions, pour aborder l’histoire avec un regard neuf : une origin story, voilà donc le point de départ.
Pourquoi avoir transposé l’action en France ?
Pour nous, spectateurs du dessin animé au moment de sa première diffusion, il n’y avait aucun doute : l’action se passait en France. Si les filles s’appelaient Alexia, Tamara, Silvia, il y avait aussi Quentin, le commissaire Bruno… Des prénoms et des noms très français. À l’époque, je croyais d’ailleurs que, lorsque la tour de Tokyo apparaissait, il s’agissait de la tour Eiffel, mais stylisée en rouge. Quand on en a parlé aux créateurs, ils ont beaucoup ri car, évidemment, ils n’y avaient jamais pensé ! Et puis en tant que production française, il nous semblait logique que l’adaptation se passe à Paris, avec des héroïnes françaises. Nous avons donc réfléchi à la façon dont ces personnages pourraient exister dans le Paris d’aujourd’hui. Ce qui a posé beaucoup de questions, car dans les années 80, la pratique de la surveillance par caméra, l’ADN et les réseaux sociaux n’existaient pas. Il a fallu adapter l’histoire à un monde moderne, ce qui a donné lieu à de nombreuses réflexions avec mes deux scénaristes, Justine Kim Gautier et Antonin Martin-Hilbert, avec qui j’ai travaillé sur les arches.
Le format série plutôt que l’unitaire est-il une évidence pour vous ?
Avec environ 70 épisodes dans la série animée et 150 chapitres dans le manga, montrer un seul casse aurait été trop frustrant. Ici, on a huit épisodes, et ce sont des formats longs d’environ 55 minutes, parfois plus d’une heure. Cela nous permet de développer vraiment les personnages et les relations entre eux, notamment la sororité. On voulait raconter l’histoire des sœurs, montrer ce lien qui va au-delà de la simple famille. L’histoire commence par le retour de Tam après une longue absence, alors qu’Alexia est une jeune femme qui a en quelque sorte été élevée par ses deux grandes sœurs. En racontant leur quotidien, on aborde des thèmes de la famille et de la parentalité de manière différente, plus moderne à mon sens.
Comment le budget conséquent de la série a-t-il influencé votre écriture ?
C’était un rêve de pouvoir faire Cat’s Eyes dans ces conditions. Sauf qu’étant moi-même producteur, j’avais tendance à me mettre des barrières, à penser que certaines choses ne seraient pas possibles, et ce dès la phase d’écriture. Mais Benjamin Dupont-Jubien et Mehdi Sabbar m’ont rassuré : « On se fait plaisir, on verra ensuite ce que l’on pourra réaliser concrètement. On chiffrera plus tard. » Nous nous sommes donc autorisés à pousser le projet très loin, bien plus que ce que l’on pensait au départ. TF1 nous a énormément aidés et Prime Video est venu ensuite pour nous soutenir, ce qui a débloqué beaucoup de situations et nous a permis de faire des choses auxquelles on ne s’attendait pas.
Comme notamment tourner dans des vrais lieux, comme la tour Eiffel, plutôt qu’en studio ?
Exactement, cela fait toute la différence en matière de spectacle. Avec l’équipe de scénaristes – nous étions neuf au total –, nous nous laissions porter par l’inspiration, malgré certains doutes qui pouvaient surgir. Il y avait toutes ces scènes d’action, avec de nombreux véhicules, des péniches, un commissariat immense… Bien sûr, nous avons dû adapter certaines choses, mais nous avons pu en réaliser tellement ! Nous avons bénéficié d’une liberté incroyable.
Qu’est-ce qui vous a guidé dans l’écriture ?
Nous avions à l’esprit de susciter l’envie du spectateur. C’est-à-dire ce que j’avais moi-même envie voir à l’écran. L’objectif principal était de respecter le manga, de ne surtout pas le trahir. Au-delà de Cat’s Eye, j’admire énormément tout le travail de Tsukasa Hōjō. Bien qu’il soit surtout connu pour l’action, notamment avec City Hunter ou Angel Heart, il excelle aussi dans la romance. Ses mangas comme Family Compo ont un côté fleur bleue très prononcé, et il a aussi produit de petites œuvres comme Le Cadeau de l’ange, de courtes histoires de dix pages sans aucune scène d’action, mais profondément émouvantes. C’est ce talent pour l’émotion que j’essaie de retrouver dans notre adaptation.
Il est amusant de noter que la série est diffusée sur TF1, chaîne qui, à travers le Club Dorothée, a fait rentrer l’animation japonaise dans les foyers français.
Pour moi, c’est totalement logique, même si Signé Cat’s Eyes a d’abord été diffusée sur FR3 ! Mais il est vrai qu’avec Benjamin, on a grandi avec le Club Dorothée, donc nous avions un attachement naturel à cet univers. Ce qui nous a avantagés, c’est le fait de travailler avec TF1 depuis quinze ans. Nous connaissons bien leur public. Nous savions dès le départ que c’était la bonne chaîne pour ce projet. Nous voulions éviter de limiter l’audience à un public de niche, qu’il s’agisse des fans de mangas ou des amateurs d’action, car le manga original et la série animée sont très populaires, au-delà des 12-14 ans ciblés à l’origine. Le projet mêle romance, action et comédie : c’est un équilibre à trouver, mais il peut plaire à un public très large.
CAT's Eyes
Créée par Michel Catz d’après l’œuvre originale de Tsukasa Hōjō « Cat’s Eye » (éditions Coamix)
Réalisée par Alexandre Laurent
Produit par Big Band Story
Avec Camille Lou, Constance Labbé, Claire Romain...
Cat’s Eyes est diffusée sur TF1 et prochainement sur Prime Video.
Soutiens du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (aide sélective à la préparation et aide automatique à la production)