Quelle est l’origine de cette adaptation : un désir de scénariste ou une envie de producteur ?
Tatiana Maksimenko : C’est d’abord un désir de producteur. J’ai découvert la série originale grâce à son producteur François Rozon dont je connaissais déjà le travail. Il m’a fait découvrir la série juste avant sa diffusion au Québec.
Pour vous, Thomas Boullé, c’était donc une commande. Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
Thomas Boullé : Tatiana m’a montré les épisodes originaux et j’ai tout de suite été emballé. J’ai vite vu son potentiel : c’était une formidable occasion de faire évoluer les codes du policier de TF1 vers quelque chose de moins frontalement policier, en basculant vers un thriller plus psychologique. Après, c’est vrai que l’idée de « franciser » la série m’amusait.
Par exemple, qu’avez-vous francisé ?
Thomas Boullé : Sans trop rentrer dans les détails, mais pour vous donner quand même un exemple : comme nous voulions étoffer le mystère, nous avons largement renforcé le rôle de la policière jouée par Aure Atika. Nous avons créé de toute pièce sa relation avec sa fille, impliquée dans le drame, car elle n’existait pas dans l’original. C’était très intéressant à travailler…
Pour une fiction TF1, le ressort policier était une obligation ?
Tatiana Maksimenko : Il y a en effet une exigence, mais qui n’est pas propre à TF1, d’avoir des récits tendus et prenants. C’est le contexte concurrentiel qui le veut. On nous demande de construire les récits les plus addictifs possible, pour faire revenir le spectateur d’une semaine sur l’autre. C’est d’ailleurs la même demande partout, que ce soit sur TF1 ou Arte. Après chacun interprète cette demande à sa manière… Il est clair que le genre policier est par définition extrêmement addictif. Il y avait des ingrédients policiers dans l’histoire de base, nous les avons juste rehaussés. Mais encore une fois ce n’était pas pour en faire un policier pur jus avec des indices, des analyses de peinture ou que sais-je. Le thriller porte juste le récit dramatique. Nous avons décidé de rester sur un drame psychologique avant tout.
Pourquoi avoir décidé de changer le format pour la France ?
Tatiana Maksimenko : C’est très rare les 10 X 52 minutes en France. Le 6 X 52 minutes est un format plus international. C’est vraiment une histoire de marché, de case… Au Québec, par exemple, les épisodes ne font pas vraiment 52 minutes. On est plus vers du 45. Mais ce n’est pas la seule raison : le 6 X 52 minutes se prêtait mieux à l’histoire telle que nous l’avions restructurée et au côté tendu dont je vous parlais. Et bien sûr, cela resserrait le rythme.
Est-ce que culturellement cette adaptation vous a posé des problèmes ?
Thomas Boullé : Pas vraiment. Que des points de détail, en fait. Par exemple dans la série originale, le personnage de Cédric était pris dans une université américaine pour intégrer une équipe de basket. Ça ne fonctionne pas chez nous. Nous avons aussi changé le métier des parents... Les plus gros ajustements se sont faits sur l’adaptation de l’aspect juridique de l’histoire sur la qualification des délits, les peines encourues, le déroulement du procès, ces choses-là…
Les scénaristes québécois ont-ils gardé un œil sur votre travail ?
Tatiana Maksimenko : Cela ne se passe pas vraiment comme ça. En fait, au moment où l’on prend les droits d’un format, on discute avec l’ayant droit de la marge de manœuvre que l’on aura. Cela va de l’adaptation très libre à l’extrême fidélité. C’est contractuel. Nous, ce qui nous tenait à cœur, c’était surtout les trajectoires humaines et nous étions assez d’accord avec les Québécois sur ce point. Mais nous n’étions pas contraints à une fidélité stricto-sensu. Ils n’avaient aucun droit de regard. Mais bien sûr, comme nous avons de bonnes relations, ils ont lu les scénarios quand ils sont arrivés et ils nous ont donné leur avis.
Pour cette série, il y avait un enjeu supplémentaire, car elle était adaptée d’une histoire vraie –qui plus est, celle du producteur qui nous avait cédé les droit – nous nous sommes donné comme obligation morale de respecter au maximum le personnage de Sarah et de ne pas le dénaturer.
Quelle est la particularité de travailler à une adaptation ?
Thomas Boullé : C’est excitant de se dire qu’on travaille sur un projet qui a déjà l’adhésion de tout le monde, car il a fait ses preuves. Ce n’est généralement pas le cas pour les sujets originaux qui par nature sont plus risqués. Après, en tant qu’auteur, très vite on s’approprie l’histoire et les personnages et on oublie que la matrice ne vient pas de nous et on travaille comme si c’était une histoire originale.
Tatiana Maksimenko : Vous savez, on est dans un contexte extrêmement concurrentiel aujourd’hui et quand on développe des idées originales, c’est très compliqué et très long. On a tous des projets originaux, mais travailler sur un matériau déjà existant permet de gagner du temps, surtout si on veut coller aux goûts du public qui est assez volatile. Par définition, on adapte ce qui a déjà marché. N’oublions pas que diffuseurs, producteurs et auteurs, travaillons tous avec les contraintes du marché et surtout que dans toute adaptation il y a aussi un travail de création.