Comment avez-vous découvert Le Patient, la bande dessinée de Timothé Le Boucher (parue en 2019 chez Glénat) ?
J’avais adoré sa BD précédente, Ces jours qui disparaissent (Éditions Glénat, 2017). Mais cette œuvre, bien que formidable, est trop dense pour en faire un seul film. Elle mérite d’être adaptée en série. Et puis on a appris que Timothé Le Boucher allait sortir une nouvelle BD. On a pu lire Le Patient avant même sa parution et on a obtenu les droits. Pourtant, après Jonas , je n’étais pas parti dans l’idée d’adapter quelque chose. J’avais plutôt envie d’écrire un scénario original. Donc cette histoire m’est un peu « tombée » dessus, dans le bon sens du terme.
Vous y avez tout de suite vu le potentiel pour en faire un "bon" film ?
À vrai dire, je ne me suis pas dit les choses ainsi. J’ai d’abord vu les éléments que j’allais garder et ceux qui devaient être mis de côté à mon sens. J’ai examiné ce que je pouvais en tirer, et comment réécrire l’histoire. J’ai avancé pas à pas.
Quelle a été votre approche au moment d'adapter l'oeuvre avec Élodie Namer ?
On a pris beaucoup de libertés avec la BD. Mais on a toujours tenu au courant Timothé Le Boucher. On lui a montré nos avancées étape après étape. D’abord le synopsis, puis le séquencier, ensuite les scénarios... On a modifié pas mal d’éléments à l’arrivée : on a changé la fonction de certains personnages, on a recréé des arches narratives, on a revu le personnage de la psy... On se base surl’histoire de Timothé, mais on a pu la réécrire à notre manière. Il a totalement accepté ce principe, alors qu’il aurait pu le voir comme une trahison. Et heureusement, parce que j’adore l’auteur. C’est un homme très talentueux qui m’a énormément inspiré visuellement. On s’est fondé esthétiquement sur de nombreuses planches de la BD.
Pourquoi avez-vous souhaité chambouler les intrigues, au point de repenser totalement Thomas, le personnage principal du Patient ?
Je crois que je me suis dit que je voulais de l’empathie pour ce personnage, alors qu’il s’agit d’un total psychopathe dans la bande dessinée. Je trouvais compliqué de découvrir, au bout de quarante-cinq minutes, qu’on suivait un fou froid et méthodique : un vrai sociopathe, qui fait croire qu’il est amnésique et qui nourrit des envies de meurtre en permanence. Attention, cela peut donner de super histoires ! J’ai vu la série Dahmer, sur Netflix, que j’ai trouvé démente. Mais pour mon film, je souhaitais un récit un peu plus pop et surtout d’autres twists autour de la personnalité du personnage.
La Patient est à la fois un polar sombre et un drame familial.C'est un mélange des genres qui vous tenait à coeur ?
Le drame familial n’existe pas dans la bande dessinée effectivement. C’est un peu mon obsession, faire deux films en un, ou plutôt réussir à déplacer le récit après quarante-cinq minutes. La première partie est une sorte d’enquête mentale qui tourne un peu en rond. Et soudain, on fait entrer en scène le personnage du cousin au sein de la maison. Là on passe à un drame familial. Tout est plus lent. Il y a moins de musique. Il existe un côté presque plus naturaliste...
La musique d'Alex Beaupain apporte aussi beaucoup à l'ambiance générale du film...
De manière assez pragmatique, j’avais dans l’idée de scénariser une sorte de conte un peu horrifique. Alors j’ai dit à Alex d’y aller à fond dans le genre. On a réécouté la bande originale de Donnie Darko, il a mis des chœurs d’enfants... Cela étant, il fallait doser cette ambiance musicale. Sinon, le film devenait un clip.
Le téléfilm s'amuse à perdre le spectateur dans les souvenirs de Thomas. Est-ce compliqué d'écrire une histoire tortueuse comme celle-là ?
C’est très difficile. Mais heureusement, Élodie Namer est une parfaite technicienne de la structure. Jonas, j’avais pu l’écrire seul. Mais pour Le Patient, j’avais besoin qu’on m’aide à structurer le récit. On a travaillé sur d’immenses murs, avec différentes timelines, en collant des post-it partout... Parce qu’il ne fallait surtout pas d’erreur dans le film. Il faut qu’on puisse le revoir en connaissant les twists. Par exemple, on s’était interdit le fait que les parents de Thomas prononcent le mot « Laura » [la sœur du Patient, NDLR]. On a également pensé spécifiquement leur regard. On a ajouté de nombreux détails au fil du film et on revenait sur nos pas à chaque fois, pour vérifier que tout fonctionnait bien, ainsi que la cohérence dans la chronologie.
Brouiller les pistes doit être grisant ?
Oui, avec Élodie, on se disait : les gens vont croire ceci ou cela, ils vont élaborer telle théorie, alors on va les amener dans telle direction. Par exemple, à certains moments, on peut croire qu’on est dans Sixième Sens et que Thomas, le patient, est mort... On essayait toujours de devancer les attentes des spectateurs en s’appuyant sur la mémoire collective cinématographique. On a tous regardé plein de films, comme The Game, où tout n’est que manipulation. Et on a pris plaisir à jouer avec cela. Cela étant, ce qu’il faut, c’est récompenser le spectateur. Tant que le puzzle se met en place à la fin et que tous les totems du film ne se révèlent pas être des totems gratuits, on peut s’amuser à brouiller les pistes. Mais il ne faut pas tricher et s’arranger avec l’histoire. Je ne voulais pas qu’à la fin du film, on se dise qu’on est dans le dernier épisode de Lost... sans réponse !
Comment avez-vous pensé la mise en scène des longs échanges entre Thomas (Txomin Vergez) et sa psy (Clotilde Hesme), seuls dans cette chambre d'hôpital ?
Un peu comme au théâtre, on a beaucoup répété. On a tout préparé en amont et je me disais que la mise en scène et les mouvements de caméra devaient évoluer en même temps que le personnage de Thomas. Au début c’est très fixe, et puis, petit à petit, ça tourne. Je voulais arriver à ne jamais filmer cette chambre de la même manière. Je souhaitais faire entrer du mouvement. Je ne désirais pas faire En thérapie, avec du champ-contrechamp. Avec mon chef machiniste, on a pu faire des travelings circulaires, des montées de colonne, sans que cela soit gratuit non plus. On n’a pas réalisé du mouvement pour du mouvement, mais on a fait évoluer les plans en fonction de Thomas. Au début, c’est un corps vide, sans esprit, et plus les choses lui reviennent en mémoire, plus ça bouge.
Comment avez-vous repéré Txomin Vergez qui joue là son tout premier rôle ?
Je n’aime pas les castings, donc j’en fais très peu. Je trouve cela très dur pour les acteurs. Ma directrice de casting m’a présenté Txomin, qu’elle avait rencontré en soirée. Il était venu au départ pour le rôle du cousin, Dylan. Parce qu’il n’avait aucune expérience. Mais quand il a passé son essai, j’ai tout de suite voulu le revoir en Thomas. On a travaillé un mois ensemble, avant que je ne lui confie le premier rôle. Quand je le filmais, je ne pouvais pas m’arrêter. Il dégageait quelque chose d’unique dans sa manière de parler, de poser sa voix, son regard. Et puis sa personnalité aussi m’intéressait, en dehors du plateau.
Il vous a fallu quatre ans pour revenir après le succès de Jonas, sacré notamment au festival de La Rochelle. C'est le temps nécessaire pour mûrir un nouveau projet comme Le Patient ?
Jonas a été une sorte d’anomalie. On n’avait jamais imaginé ce succès... Du coup, on m’a dit pendant des mois qu’il fallait fabriquer une suite, faire Jonas 2... Pendant un an, j’ai avancé et reculé face à cette idée. Je n’arrivais pas à faire le tri dans ma tête et à gérer ce triomphe inattendu. À un moment, j’ai réalisé qu’il ne fallait pas que je refasse Jonas. Quitte à déplaire, je préférais surprendre. Aujourd’hui, je désire aller vers la salle de cinéma. Le Patient aurait pu sortir au cinéma. J’ai pensé le tournage de cette manière. Mais en même temps, j’ai aussi envie de réaliser un film pour une plateforme. C’est le projet qui décidera et on est déjà en train de travailler sur une idée avec Élodie Namer...
Le Patient
Réalisé par Christophe Charrier
Écrit par Christophe Charrier et Élodie Namer
Avec Txomin Vergez, Clotilde Hesme, Rebecca Williams, Audrey Dana...
Musique d’Alex Beaupain
Produit par Stromboli Films et ARTE France
Durée : 1h30
Disponible sur Arte.tv jusqu’au 26 novembre 2022
Soutien du CNC : aide à la préparation, aide à la production