Vous avez pu présenter la série en avant-première, dans le décor minier de Wallers-Arenberg, pendant le festival Séries Mania en août dernier. Le symbole était important ?
C’était une priorité pour nous. On s’est toujours dit qu’on voulait faire une avant-première là où avait été fabriquée la série. Là où avait été tourné le film de Claude Berri d’ailleurs. Pour le lieu, bien sûr, mais surtout pour les gens, tous ces figurants qui sont dans la série et qui sont, pour la plupart, originaires du Nord, avec un lien fort avec l’histoire de la mine. Il y avait même d’anciens mineurs qui sont assez âgés aujourd’hui, par la force des choses, mais qui ont connu cette réalité-là. Ils ont vécu presque un siècle après ce qu’on raconte dans Germinal, mais ils nous ont dit avoir retrouvé dans la série un peu de ce qu’ils avaient connu. Cela nous a soulagés, parce qu’on ne voulait pas ajouter de l’injustice à l’injustice. On voulait rendre hommage à ce monde oublié de la mine, à qui l’on doit énormément, à la fois pour le charbon, l’énergie qui a contribué au développement économique du pays à l’époque, et aussi parce que c’est avec eux qu’a débuté l’idée d’un mouvement social. On ne voulait pas prendre leur histoire pour la galvauder, mal en parler ou mal la raconter. Cela aurait été une forme de trahison. On a été rassuré de voir que la série était bien reçue par cette population directement concernée.
Trente ans après le film de Claude Berri, qui arrivait déjà trente ans après celui d’Yves Allégret, il y avait besoin de dépoussiérer Zola à nouveau ?
Ça fait longtemps que je me dis que dans les grands romans français du XIXe siècle, que ce soit Zola, Dumas, Hugo, il y a une matière fantastique pour le genre sériel. Ils sont d’ailleurs largement adaptés par les Anglais, les Américains. Alors quand on m’a proposé d’écrire une série d’après Germinal, je l’ai pris comme un défi. Un exercice de style. Est-ce qu’on peut améliorer ce qui a déjà été fait ? Quand on vous donne la chance de pouvoir faire une série qui soit en même temps un mélodrame, une série éminemment politique, violente, historique, un western, un thriller et un film catastrophe, c’est difficile de refuser.
En quoi « votre » adaptation de Germinal est-elle différente de celle de Claude Berri notamment ?
J’ai revu les films d’Yves Allégret (1963), de Claude Berri (1993) et même le film muet d’Albert Capellani (1913). Mais j’ai surtout relu le livre, que j’avais parcouru collégien en passant totalement à côté. Je l’ai lu et relu. Et en revoyant le film de Claude Berri, je me suis demandé quelle serait mon adaptation. Très vite, j’ai fait des choix. L’exemple le plus évident, c’est l’âge des personnages principaux. Dans le roman, Étienne Lantier n’a que 19 ans ou 20 ans. C’est un oisillon qui sort du nid. C’est le fils de Gervaise, baladé par le destin. Quand il arrive dans cette mine, il prend en main son destin. Or, Renaud a presque 45 ans dans le film de Claude Berri. Lantier a déjà fait sa vie. Du coup, ça ne raconte plus du tout la même histoire. J’ai tout fait pour éviter cet écueil. En me disant que, si la production me suivait sur cette idée – qui présente aussi un risque industriel, puisque ça implique un acteur peu ou pas connu dans le premier rôle – cela me permettait ensuite de dérouler une intrigue nettement plus fidèle au roman.
Dans les dialogues aussi, vous avez totalement modernisé le texte original...
Je trouvais trop théâtral de transposer directement des passages du livre à l’écran, avec l’écriture de Zola. J’ai donc décidé de ne pas utiliser, ou presque, les dialogues du livre. Il doit y avoir moins de 5 % des dialogues de la série qu’on retrouve dans le roman. Je les ai écrits comme je les entendais, avec mon oreille contemporaine. Ce n’était pas tant le fait de vouloir les moderniser à tout prix. L’idée, c’était que ça sonne juste. Lorsque l’on tourne une œuvre d’époque, il y a le risque de tout surjouer. Vous mettez une cape et un chapeau à un acteur et tout à coup, il se met à parler différemment. Il ne fait plus les élisions. Il insiste sur les négations. Il donne du coffre à sa voix. C’est un piège colossal à mon sens qui abîme certaines productions historiques. En tant que scénariste, on a tendance à écrire le même genre de clichés quand on travaille sur ce type de fiction. Des clichés qui mettent le spectateur à distance... alors que, justement, je voulais que le spectateur se mette dans la peau d’Étienne Lantier, dans celle de la Maheude ! C’est pour ça que je voulais des dialogues qui sonnent juste, des dialogues dans lesquels on peut entendre Catherine dire : « J’me casse ! » Aucun linguiste ne pourra me dire quelle était la langue orale du XIXe siècle de toute façon. Et d’ailleurs, le français qui était parlé couramment dans les corons en ce temps-là n’était ni celui d’aujourd’hui ni celui que Zola emploie dans son livre.
Qu’apporte le format série, par rapport à une adaptation cinéma ?
En deux heures de film, il n’y a pas assez de place pour adapter Germinal. On est obligé de couper des morceaux. Alors qu’en 6x50 minutes, j’ai la place nécessaire pour donner de l’importance à tous les personnages autour de Lantier, et notamment les personnages féminins. On a donc pu faire une adaptation très fidèle, même s’il est vrai qu’on a taillé dans le roman plein de fois, parce qu’on a six scripts pour six épisodes, et qu’il a bien fallu finir sur des cliffhangers à chaque fois. J’ai donc transformé la narration, mais j’ose espérer qu’Émile Zola serait heureux de voir comment on a transporté son histoire dans le monde d’aujourd’hui. Je crois qu’on n’a pas trahi l’esprit de son œuvre.
Germinal
Créée par Julien Lilti, d’après le roman d’Émile Zola
Réalisée par David Hourrègue
Scénario écrit par Julien Lilti, Loïc Barrère, Samir Oubechou, Chérif Saïs, Clémence Lebatteux, Maud Garnier, Mélusine Laura Raynaud, Cheikna Sankaré.
Musique d’Audrey Isamel
Avec Louis Peres, Jonas Bloquet, Thierry Godard, Alix Poisson, Guillaume de Tonquédec, Sami Bouajila, Rose-Marie Perreault, Natacha Lindinger...
Produit par Banijay Studios France, en coproduction avec Pictanovo