Comment est née cette série documentaire ?
Cédric Bonin : En 2019, le réalisateur Zouhair Chebbale me propose le projet avec l’envie de tourner un documentaire de 52 minutes pour la télévision. C’est une proposition intéressante et prometteuse mais qui arrive un peu tôt dans le contexte de l’époque. Deux ans plus tard, j’en discute avec Marianne Lévy-LeBlond, directrice de l’unité Créations numériques d’Arte France, à la suite du procès contre l’État français intenté par plusieurs ONG dans le cadre de « l’Affaire du siècle ». La forme du projet reste encore à définir, mais l’objectif est clair : il s’agit de s’adresser à la jeunesse qui attend des réponses sur les enjeux climatiques. Léa Ducré, autrice expérimentée dans l’écriture de formats web interactifs, nous rejoints pour travailler en binôme avec Zouhair Chebbale. Ensemble, ils élaborent une proposition de web-série qui permet d’entrer en coproduction avec Arte France.
Pourquoi avoir accompagné cette série d’une campagne d’impact ?
C.B : La série raconte un mouvement en marche, celui de la justice climatique, porté par des citoyens qui attaquent leurs gouvernements pour « inaction climatique » devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg. En 4x15 min, elle suit quatre affaires majeures : l’Affaire du siècle en France, le cas Urgenda aux Pays-Bas, le collectif Youth for Climate au Portugal, et le mouvement des Aînées pour la protection du climat en Suisse. Le sujet de la série est intrinsèquement un sujet « à impact ». Réaliser et produire ce type de programme implique déjà une volonté de « faire bouger les lignes » et de « mobiliser » l’opinion publique autour d’une cause. Mais au moment où nous lançons le projet, nous n’avons pas encore réfléchi à pousser plus loin le film. L’appel à projets du CNC et du Fipadoc a changé la donne : il a agit comme une étincelle. Nous avons donc fait appel à Giulia [Boccato-Borne], dont je connaissais déjà l’engagement sur les questions d’impact, et à l’équipe de Best Impact Movies pour candidater ensemble et imaginer une mobilisation citoyenne autour de la série.
Giulia Boccato-Borne : C’est un beau concours de circonstances. Le tournage de Justice climatique a coïncidé à la fois avec le lancement de ce fonds spécifiquement dédié aux œuvres à impact et avec celui de l’Année du documentaire. Nous échangions avec Cédric [Bonin] depuis plusieurs années sur les enjeux de ce type de campagne. J’ai commencé à travailler sur ces questions comme productrice d’impact au sein des Films du Balibari-Point du Jour avant de cofonder Best Impact Movies il y a quatre ans. La campagne d’impact a pour but de prolonger et d’amplifier l’impact réel d’un film documentaire. C’est un outil au service de la problématique qu’il soulève. Les équipes de Best Impact Movies suivent une ligne de conduite qui est de ne jamais dénaturer le film et son récit.
C.B : « Comment je peux m’impliquer concrètement en tant que spectateur ? » : la campagne d’impact vise à répondre à cette interrogation. Nous pouvons avoir été émus, bouleversés par une histoire ou une cause mises en lumière dans un film ou une série, et se sentir démunis dans notre pouvoir d’action. C’est une manière de donner des outils aux publics pour approfondir le sujet et les informer des moyens qui sont à leur disposition s’ils souhaitent agir. Ce type de mobilisation offre également l’opportunité de montrer qu’il existe une attente de la société sur différentes problématiques sociales et environnementales (droits humains, écologie, respect des États vis-à-vis de leurs engagements…) même si un film n’est évidemment pas là pour mettre une pression au pouvoir judiciaire. Justice climatique n’affirme pas un point de vue, mais raconte un mouvement en train de se dessiner.
Comment avez-vous imaginé cette campagne ?
Jessie Petret : Notre premier objectif est de mobiliser la société civile européenne en faveur de la justice climatique et de valoriser les initiatives qui se montent sur le sujet. Nous avons déployé des kits de sensibilisation à ce propos en partenariat avec Amnesty international et nous organisons aussi, entre autres, des projections-débats partout sur le territoire notamment dans les universités. Nous avons également créé un site ressource [justiceclimatique.eu – ndlr] qui rassemble toutes les informations relatives à la série et à sa campagne d’impact. Notre second objectif est d’encourager les échanges entre professionnels du droit (juristes, avocats, magistrats…) et leur montée en compétences sur la question de la justice climatique. Nous travaillons, par exemple, avec le chercheur Ivano Alogna du BIICL (British Institute of International and Comparative Law), qui vient de mettre en ligne une boite à outils consacrée aux dispositions de fond et de procédure autour de ces enjeux. Elle a été imaginée en collaboration avec des juristes et des scientifiques de 17 pays dans le monde. Quand on accompagne un film d’une campagne d’impact, l’ambition est de cibler celles et ceux qui peuvent « faire bouger les lignes ». C’est ce qui différencie cette stratégie d’un schéma de diffusion classique.
G.B-B : Dans une campagne d'impact, la phase de recherche et développement est essentielle : il s’agit de l’étape préalable où le producteur met un premier coup de starter financier pour nous permettre de définir les outils les plus pertinents à adopter. C’est ce qui a été rendu possible grâce à cet appel à projets.
C.B : Ce Fonds IMPACT a effectivement permis de développer des outils de promotion spécifiques : des affiches, des bandes annonces, des capsules de sensibilisation spécifiquement pensées pour le digital. Nous avons pu, par exemple, recourir à du motion design pour réaliser des « entretiens augmentés » avec des éléments de data visualisation dans le but d’accompagner et de vulgariser les propos des experts qui interviennent dans la série. Ces interviews ont été réalisées dans le cadre de la série en studio et ont été retravaillées en format « reel » destinés aux réseaux sociaux.
Un producteur d’impact peut-il intervenir dès la phase d’écriture du projet ?
G.B-B : Bien sûr. Tout dépend du projet – est-il dès le départ pensé ou non en termes d’impact ? –, mais aussi du budget alloué à la phase de recherche et développement qui nous permet de commencer à travailler. Chez BIM, nous adaptons notre offre à la demande. Où en est le réalisateur ? Le producteur ? Ce dernier a-t-il besoin ou non de matière pour candidater à des fonds internationaux ?
J.P : Le plus tôt est toujours le mieux, et surtout il est nécessaire de le faire en amont de la diffusion du programme. Rejoindre le projet a minima au moment du tournage permet d’interroger les protagonistes du film sur des aspects très concrets de la problématique ou de la cause en question, pour avancer au mieux dans la campagne. C’est la façon dont nous avons procédé sur Justice climatique.
Comment avez-vous construit le budget de cette campagne ?
C.B : Il s’agit d'un budget à part de celui lié aux dépenses de production de l’œuvre, même si parfois certains outils de promotion déjà produits pour accompagner le programme peuvent aussi servir la campagne. Sur le volet budgétaire de celle-ci, nous avons pu bénéficier du soutien d’Arte France, qui s’est investi à hauteur du Fonds CNC-Fipadoc. Seppia, notre société de production, a aussi contribué à financer cette campagne.
G.B-B : Madline Rubin, qui a travaillé sur la campagne d’impact de la série documentaire Les Gardiens de la forêt [elle aussi lauréate du Fonds IMPACT – ndlr] nous a également appuyés dans la levée de fonds. L’objectif était de diversifier au maximum nos ressources en allant également au-delà de l’aspect financier, puisque nous avons aussi fait appel à du mécénat de compétences.
C.B : Cette bourse IMPACT a mis en confiance les partenaires : il est difficile de mobiliser des contributions sur une campagne sans avoir encore diffusé le film. Ces derniers engagent en effet leur image et leur éthique en rejoignant ce type de projet.
Justice climatique a obtenu le label « Ecoprod Pionnier ». Quelles dispositions avez-vous prises pour diminuer son empreinte carbone ?
C.B : Quand nous avons commencé à produire la série, les outils d’homologation carbone étaient encore en phase pilote pour les documentaires. Ecoprod a lancé un appel à projets destiné aux documentaires en production, qui a permis à Justice climatique d’être le deuxième documentaire français à avoir obtenu ce label Ecoprod pionnier [après Bornéo, la forêt miraculée – ndlr]. Le tournage de la série s’est déroulé sur un peu plus d’une année à travers l’Europe. Nous avons notamment tourné en équipe réduite et sollicité des équipes de tournage locales quand nous tournions hors de France. Seuls le réalisateur et l’autrice se déplaçaient en privilégiant les transports en commun et les mobilités douces.
G.B-B : L’éco-production et la campagne d’impact s’inscrivent dans une démarche globale en faveur d’un futur soutenable, portée par les équipes de réalisation et de production de la série. Nous avons établi un pré-bilan carbone des émissions de CO2 de l'oeuvre dès 2022 et finalisons le bilan définitif conformément à la politique du CNC en matière de transition écologique. Nous avons choisi de rendre nos actions transparentes sur le site justice.climatique.eu.
Comment envisagez-vous la suite ?
C.B : Justice climatique va être diffusée dans une version 52 minutes en France sur Ushuaïa TV, et sur plusieurs chaînes européennes grâce à notre distributeur ZED. Nous avons également mis à jour la fin du quatrième épisode de la série pour tenir compte du verdict du 9 avril de la CEDH [La Suisse a été condamnée pour « inaction climatique » dans l’Affaire des Aînées suisses pour la protection du climat ; la requête des jeunes Portugais de Youth for the Climate quant à elle a été rejetée – ndlr]. En France, la pratique de la campagne d'impact est moins développée qu'en Grande-Bretagne et en Suisse, ou encore outre-Atlantique, aux États-Unis et au Canada, où les fondations philanthropiques qui peuvent soutenir ce type de projet sont très répandues. Il est précieux d'accompagner les producteurs sur ce sujet.
G.B-B : C'est aussi aux professionnels du secteur de s’emparer de la question et d’aller sensibiliser les fondations aux campagnes d’impact. Nous notons un intérêt grandissant des acteurs de l’industrie sur la question. Saluons l’alignement des planètes dont nous avons pu bénéficier avec la création de ce Fonds FIPADOC-CNC, l’investissement d’ARTE France sur les deux volets (production et impact), l’engagement d’Ushuaïa et des chaînes européennes en faveur de sa diffusion, ainsi que l’implication de ZED.
justice climatique, quand la lutte pour le futur entre dans les tribunaux
Réalisée par Zouhair Chebbale, en collaboration avec Léa Ducré
Coproduction : Seppia, Arte France
Production campagne d’impact : Best Impact Movies (BIM)
Sur arte.tv, YouTube et les chaînes sociales d’ARTE depuis le 9 avril 2024
Soutiens du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (FSA), Fonds IMPACT CNC-Fipadoc